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Juin 2013

Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton,
     nous vous présenterons un court conte : 

LE MARIAGE DE LA COUSINE (Conte du Vivarais)   -  Partie I

LE MARIAGE DE LA COUSINE (Conte du Vivarais)  -  Partie II


et voici .... la suite  Partie III

   

    par Eliette Vialle



CHAPITRE 3

Ainsi passèrent les vacances, ainsi finit la saison d'été ; Alicia apprenait la solitude, le vide affectif ; elle avait aussi perdu le sommeil : lorsque une douce torpeur l’emportait, un sursaut d'angoisse l'éveillait : Lili était-elle partie ? - Non. Mais cela viendrait, ou cela était déjà venu. Et si Lili ne revenait pas ? Alicia alors se levait, sortait du grenier et surveillait la masse sombre qui s'agitait sous le pommier. Quand grondait l'orage, les amoureux se réfugiaient au févier.

La journée, Alicia gagnait le paradis de sa cousine en récitant son rosaire et bavardait avec le chien, quelquefois elle se hasardait jusqu'au flanc roux des vaches, les caressait, souhaitant qu'un dieu bon pût leur donner la parole. Bientôt la rentrée, et... qu'aurait-elle à raconter dans son premier devoir ? Elle était si affligée qu'il lui semblait impossible de décrire avec des mots la tristesse de son état. La saison d'été se finissait avec les orages, les petits matins frileux, les poires et les raisins que l'on cueillerait bientôt.

Un matin, Alicia se réveilla tardivement, le lit voisin était vide. « Lili a dû être enlevée par son amoureux », pensa-t-elle immédiatement. Elle regarda par le fenestron : tout était paisible aux alentours. Une impression fugace de malheur la saisit. Elle se vêtit en hâte et dégringola l'escalier intérieur, s'arrêtant devant la porte qui débouchait sur le pétrin, juste avant la grande salle. On criait. L'oncle tonnait, la tante et la cousine pleuraient. Elle ouvrit précautionneusement la porte et se glissa derrière l'énorme pétrin de bois. Le spectacle la sidéra : l'oncle frappait en hurlant la tante, qui pleurait et geignait et frappait en même temps la cousine qui sanglotait et essayait d'échapper à ses tortionnaires. Alicia se tint coite ; elle n'était pas prête à affronter ce drame familial où l’oncle, tel un Jupiter déchaîné, cognait autant sur les membres de sa famille que sur les éléments du mobilier, tout en hurlant des imprécations en patois, qu'Alicia ne voulait pas entendre tant elles étaient grossières et impies.

Lili se dégagea et s'accrocha à sa mère qui l'embrassait et la giflait tout en même temps, tandis que l'oncle, les bras au ciel, entamait une sorte de danse tribale autour des deux femmes, et l'on pouvait reconnaître les mots : « Honte... mort... j'vas te tuer... drôlesse... coquine sans honneur !».

Quand le trio, épuisé, se tut enfin, l'oncle dit dans un souffle : « j'vas faire c'qu'il faut ! ».

Les deux femmes opinèrent. Profitant de cette trêve, Alicia osa sortir de sa cachette, mal lui en prit car les trois lui tombèrent alors dessus : «Petite menteuse ! » « On te prend pendant les vacances, et v'là c'que tu nous fais ! » Le dos baissé, Alicia reçut les coups que son absence de reconnaissance envers sa famille méritait : «  Diable, elle aurait pu tout nous raconter ! On aurait évité le drame. » «  Vermine sans cœur ! criait la tante. Lili tenta de protéger sa cousine car l'oncle, toujours pris de fureur, talochait la petite à qui mieux mieux.

Soudain, tous se calmèrent et Alicia, n'osant plus bouger, ne comprenait pas leur conciliabule. Enfin, l'oncle alla dans sa chambre et revint, muni de sa taillole qui, bien que soulignant sa bedaine, lui conférait un air certain de dignité. Il saisit son chapeau et s'en alla à grands pas ; les femmes s'effondrèrent alors sur les chaises de paille et s'enlacèrent en silence.

Jamais Alicia n'oublierait cette scène, cette prise à partie violente, tous ces reproches injustes qu'on lui avait adressés. Elle n'avait pas tout compris, seulement que la situation était grave et qu'elle y était mêlée, qu'elle le voulût ou non.

L'oncle marchait à grands pas. Il arriva au village, le traversa d'un bout à l'autre sans répondre aux salutations de ses administrés car - nous avions oublié de le mentionner - il était depuis toujours le maire du village. La marche forcée qu'il avait soutenue avait fait retomber sa colère : le souffle lui manquait. Il arriva en face de l'école. Il eût bien voulu lancer quelques imprécations, mais il ne pouvait tout à la fois jurer et respirer. Donc, il empoigna avec détermination le penne du portail puis fonça, tel un taureau, dans la salle de classe.

Il en ressortit la bouche fleurie d'un sourire satisfait, retraversa le village en saluant chaleureusement ses administrés ébahis...

Cependant, dans la salle de classe, le maître qui préparait ses cours semblait frappé par la foudre : il venait d'apprendre qu'il serait bientôt papa, mais aussi marié très vite, sinon il perdrait son poste.

Comme il n'était que remplaçant, il avait encaissé toutes ces nouvelles au garde à vous devant son maire et futur beau-père. Puis, l'étonnement passé, il réfléchit et calcula : sa mère était veuve et vivait chichement. Pour eux deux, c'était une bonne fortune. Il allait être titularisé sur place, évité, en tant que soutien de famille, le service militaire dans une Algérie en guerre, et il épousait l'unique fille d'un des plus gros fermiers de la région ! Ce n'était pas négligeable. Évidemment, cela mettait fin à ses rêves de progression sociale et citadine. Mais qui sait ? Avec une famille bien nantie, peut-être pourrait-il un jour recevoir les palmes académiques ou devenir inspecteur et vivre en ville? …

On maria donc Lilli, la fille de Monsieur le Maire de Saint A..., dès les premiers jours d'automne. En grand blanc, la jolie mariée, à peine arrondie, franchit le parvis de l’église au bras de son notable de père. Et Alicia, tout de bleu vêtue, tenait avec beaucoup d'élégance et de sérieux la traîne de dentelle ancienne.

Le mariage de la cousine dura 3 jours de beuverie, de ripaille et de danse. Les photos qui en restent témoignent de l'opulence de la fête.  



Francopolis juin 2013
Éliette Vialle
 

Créé le 1 mars 2002

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