Vos textes publiés ici
après soumission au comité de poésie de francopolis.

ACCUEIL  SALON DE LECTURE  -  FRANCO-SEMAILLES  -  CRÉAPHONIE  -  UNE VIE, UN POÈTE

APHORISMES & BILLETS HUMOUR  -  CONTES & CHANSONS LANGUE EN WEB  -   

 LECTURES CHRONIQUES  -  VUES DE FRANCOPHONIE  -  GUEULE DE MOTS  & LES PIEDS DE MOTS  -

 SUIVRE UN AUTEUR  -  PUBLICATIONS SPÉCIALES  - LIENS &TROUVAILLES  -  ANNONCES

 LISTES DES AUTEURS PUBLIÉS & COMMENTAIRES  -  LES FRANCOPOLIS POÈMES DU FORUM  -


Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton,
     nous vous présenterons un court conte ou nouvelle : 


NOUVELLE :  UNE AMITIÉ

Partie I... (avril 2015)

Partie II ... (mai 2015)

par Éliette Vialle

Partie III et fin

L’automne vint à pas feutrés, sans que nous en ayons conscience. Il y avait d’autres jeux, d’autres proximités. Nous avions changé : moi, moins garçonne et elle, moins citadine. Nous nous promenions main dans la main, à travers le village, amies reconnues et saluées par jeunes et vieux…

Mémoire, ô étrange mémoire, cette amie dont le souvenir déverse tant d’images intenses et lumineuses, quel était son prénom ? Il sonnait haut clair comme un appel à  la joie  et à l’insouciance !

En écartant et triant tous les fils entremêlés de mon passé à la fois si pauvre et si riche, seuls les jeux de lumière reviennent : les éclats du soleil réverbérés par les rochers, l’obscurité inquiétante du tunnel, le délicat soleil d’automne rebondissant sur les feuilles rougies des fayards… oui, elle n’est pour moi qu’une image de clarté, d’intensité diverse à la mesure de mes sentiments.

L’automne était là et nous nous quittâmes. Chacune regagna sa pension. Nous nous écrivîmes un peu, mais les religieuses lisaient nos lettres et nous ne pouvions pas communiquer à notre gré.

Aux Pâques suivantes, mon amie me dit qu’elle allait venir en juillet ou en août. Je l’attendais…

En juillet, j’appris par le curé que la grand-mère arriverait en août avec deux de ses petits-enfants, j’espérais…

La grand-mère vint mais sans mon amie qui était partie en Angleterre dans un centre linguistique. Je trouvais que c’était une punition, bien cruelle. Où s’amuserait-elle plus qu’ici,  avec nous ?

Je reçus une carte. J’en envoyais une autre censée illustrer nos folles escapades.

Puis, le fil déjà ténu de notre amitié s’abolit doucement. L’école exerçait pour moi des séductions nouvelles, les examens me tenaient en haleine.

J’avais alors seize ans, lorsqu’un de mes cousins me dit :

- Ton amie est déjà mariée, le savais-tu ?

C’était pour moi inconcevable…

- Qui te l’a dit ?

- Sa grand-mère qui est venue pour la saison.

- C’est sûr ? C’est bien sûr ?

Je ne savais comment réagir.

J’en parlais à ma mère, qui me proposa de lui offrir un cadeau. C’était un évènement grave et délicat, finalement j’optais pour une nappe à thé (elle était allée en Angleterre) et ses six serviettes en dentelle du Puy.

Un soir, j’apportais le cadeau à la grand-mère. Nous babillâmes un moment et elle me fit comprendre que le mariage avait été une nécessité.  Ce que tout le monde avait compris sauf moi… Elle avait épousé un gentil mécano qui reprendrait le garage familial.

Je devins triste sans raison. La plupart des cousins partait pour la guerre, ils ne restaient plus que les jeunes, et, aux courses folles dans la nature, succédaient des courses folles à moto. C’était toujours excitant, mais je me sentais vite de trop.

Mes cousins me firent sentir qu’il y avait d’autres filles à promener que leur cousine, et je fus abasourdie de découvrir que d’autres jeux   remplaçaient  les nôtres, ce que mon obsession des jeux virils et mon engouement pour mon amie avaient dénié.

J’eux dix-sept ans, je venais d’obtenir mon bac et songeais avec fierté à la possibilité d’aller à "la Fac".

Un jour, cet été là, en traversant la place du village, j’aperçus une jeune femme, extrêmement mince qui criait le nom d’un enfant.

Je m’approchais et la reconnus, nous nous reconnûmes. Même étonnement douloureux, et nous ne pûmes nous épancher car, nerveuse et inquiète, elle m’expliqua que son fils de dix-huit mois s’était sauvé, je la rassurais, il ne pouvait aller bien loin.

- Mais il n’est pas comme les autres, il ne répond pas. Il est autiste !...

Elle était au bord des larmes.

On aperçut le petit près de l’église, elle le rattrapa comme s’il allait disparaître à jamais. Alors l’enfant se mit à hurler, à se rouler par terre, en s’arrachant les cheveux.

Elle le tenait serré contre elle malgré les coups qu’il lui assénait, elle me dit avec un désespoir sauvage : « c’est une maladie mentale, en as-tu entendu parler ? Toute la vie il sera ainsi, il n’y a pas de remède ».

Des larmes coulaient doucement sur ses joues, je m’aperçus qu’elle avait vieilli. Comment peut-on être vieille à dix sept ans ? Ses joues rebondies étaient devenues flasques, sur le front, des rides d’anxiété s’installaient déjà. Où étaient la finesse et les rondeurs qui m’avaient tant séduites ?

Trop tôt elle avait été rejetée à jamais à côté de la vie, loin de l’éclat de la jeunesse, loin de l’insouciance qui aurait dû être son lot.

Elle partit sans me dire au revoir.

Je ne la revis plus, elle était rentrée chez elle. Le village était trop dangereux pour l’enfant.

Il y a de cela bien un demi-siècle, la vieille dame que je suis, qui a vécu bien ou mal selon les époques, n’oubliera jamais ni la jolie fillette qui m’apparut un jour d’été nimbée de soleil, harmonieuse silhouette gravée au fond de mes souvenirs, ni la jeune femme traquée par les soucis et les chagrins qui outrepassaient ceux de son âge.

Image ensoleillée et image fanée, retourneront toutes deux dans un des tiroirs de ma mémoire.

<<et quand souvenance en ai , peu s’en faut que le « cœur ne me fend » !>>

Ainsi ce termine ceste geste que Eliette décina .

                                                     FIN                                      


Francopolis juin 2015
Éliette Vialle

 

Créé le 1 mars 2002

A visionner avec Internet Explorer