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Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton,
     nous vous présenterons un court conte ou nouvelle : 


NOUVELLE :  UNE AMITIÉ

Partie I... (avril 2015)

par Éliette Vialle

Partie II... suite

Surexcitée, je rentrai en hâte à la ferme et racontai à la famille cette rencontre exaltante. Mes cousins rigolèrent, vaguement intéressés : les amies que j’avais présentées étaient reparties au bout d’une heure, terrorisées. Jouer aux indiens en se battant, se coloriant les joues et grimpant aux arbres, n’étaient pas de leur domaine de filles à poupées, et à jeu de marchande ; ni les parties de cachette dans les bois profonds où le soleil n’arrive pas lui-même à percer les épaisses ramures des sapins.

Donc, je restais seule avec eux, car leurs jeux me semblaient ô combien plus intéressants, mais j’avais besoin, dans cet univers masculin, d’une amie, d’une âme sœur, car à onze ans la distance entre les garçons et moi, s’accroissait et je me sentais souvent seule, comme étrangère à eux, nous qui avions été si unis dans l’enfance.

Mes parents prirent des renseignements auprès du curé qui connaissait la grand-mère. Et je pus inviter ma belle amie à venir jouer avec nous.

Je me souviens d’un visage simple et clair, traits bien dessinés avec des yeux de chat ; d’un marron clair brillant et subtil, je disais qu’elle avait des yeux dorés et qu’elle devait voir la nuit. Je me souviens de ses chevilles si fines, avec un mollet bien galbé, enfin sa silhouette était pour moi à la fois source d’étonnement, et d’un sentiment d’infériorité : donc d’admiration et d’envie.

Et je me souviens de  ses mains ! Avec des ongles longs parfaitement ovales, bien entretenus, alors que les miens coupés à ras étaient souvent noircis et salis par la terre sur laquelle j’avais rampé, ou cassés aux écorces des arbres sur lesquels j’avais grimpé.

*****
Les garçons l’acceptèrent vite, curieux de savoir jusqu’où elle pourrait tenir avec eux et endurer leur rudesse. Elle vint se serrer contre moi, sa protectrice, et puis tout se passa bien, durant nos longues errances à travers champs et bois, jamais elle ne se plaignit. Plusieurs fois, les garçons épatés lui proposèrent de la prendre un peu sur leur dos pour qu’elle se repose, elle déclina en souriant. Bien sûr nos courses folles furent ralenties par respect pour l’étrangère si courageuse… Etaient-ils sous le charme ? Je ne sais pas s’ils la trouvaient jolie, mais pour moi, elle représentait tout ce que j’aurais voulu être : « décrassée  de la paysannerie ! »

Nous partions souvent ensemble pour bavarder, se confier, nous étions toutes deux au collège, pensionnaires chez les religieuses et nos avenirs n’allaient pas au-delà de quelques mois : la rentrée, l’année scolaire et on faisait silence sur les prochaines vacances, où, sans se l’avouer,  on espérait bien se retrouver.

Quelques fois on se tenait la main, moi, imitant sa démarche : je cheminais à ses côtés à petits pas élégants. C’étaient des moments merveilleux : seules, dans la nature amie, les fayards pointaient déjà des bulbes rouges sur leurs feuilles, c’était la fin de l’été… nous étions heureuses, complices…

Nous avions l’habitude, en bande, de traverser un tunnel construit, autrefois, pour une voie ferrée qui n’avait jamais vu le jour. Trois kilomètres dans l’obscurité, à se cacher, quand survenait une voiture, dans les anfractuosités ménagées pour les secours : le tunnel était interdit aux piétons. C’était notre quête du Graal.

Au bout d’une heure environ, nous débouchions de l’autre côté de la montagne. Le côté ensoleillé : les adrets. Là un incommensurable chaos de pics montagneux et de précipices, formaient un cirque préhistorique, avec de rares végétaux, des genêts, et, surtout, des herbes folles et drues. Nous descendions tout au fond du val : rude glissade, sur les fesses, les genoux ou les mains dans une verticalité éprouvante. Et là, au fond, le ruisseau formait un gourd inaccessible aux humains, un plan d’eau de quelques dizaines de mètres qui nous appartenait totalement.

Dès notre arrivée, nous quittions nos vêtements, et nous nous jetions à l’eau. On s’éclaboussait, on riait, on sautait du rocher le plus haut, c’était innocent, sans problème. J’avais craint que mon amie ne soit gênée et j’étais restée en dehors, près d’elle.

- Pourquoi on en fait pas autant ? me dit-elle
- Tu voudrais te déshabiller, toi aussi ?
- Ne me dis pas que tu ne le fais pas quand tu es avec eux ? Alors, on sera deux !

On était deux, nues avec les garçons à rire, plonger, se faire dorer au soleil sur les roches blanches en écoutant le frais murmure de l’eau qui cascadait de bloc en bloc, jusqu’à s’abîmer dans la "marmite" de sorcière que formait le gourd.

Notre été fut ensoleillé, frais, tellement beau et secret que nous n’avions pas de mots pour en parler, blotties l’une contre l’autre, dans l’herbage dru.

On se retrouvait dès l’après-dîner et on revenait après l’angélus. Chaque jour nous unissait un peu plus que la veille, et au jour le jour, grandissait notre amitié.


à suivre...

Francopolis mai 2015
Éliette Vialle
 

Créé le 1 mars 2002

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