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Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton,
     nous vous présenterons un court conte ou nouvelle : 


NOUVELLE :  SIÈGE

par Éliette Vialle

Partie 1 Siège

Partie II... suite

Je coupais les poireaux, prenant bien soin d’enlever les parties fanées ; et je me mis à songer que, dans quelques jours, nous serions là à fouiller les poubelles à leur nécessaire recherche. Un mot taraudait ma conscience : « Scorbut », il était indispensable de se procurer des vitamines. Tilia, qui m’aidait, ne disait rien ; mais, sa parcimonie dans le nettoyage des légumes, montrait avec éloquence, sa peur de l’avenir. Nous évitions de nous regarder et, surtout, d’observer Avyel et Leah téter, par petits coups, leur bouteille d’alcool comme si leur vie en dépendait. Avyel avait, à l’heure exacte, baissé les stores des fenêtres et fermé les épais rideaux, prenant bien soin de laisser quelques lampes faiblement allumées, afin que, dehors, on sache bien qu’ils étaient toujours là. En fouillant dans les placards et le frigo, je notais  que les provisions n’avaient pas été renouvelées avant que la décision de leur bannissement fût connue de tous comme d’eux-mêmes. En  avaient-ils senti  venir l’horreur et s’étaient-ils réfugiés dans le déni, ou, au contraire, en étaient-ils restés totalement ignorants comme des agneaux innocents ? Comme pour tous, la surprise avait  été telle que nous n’avions songé qu’à préserver nos vies. Les commandements tombaient  sans que nous les comprenions, sans que nous les anticipions ; c’était la loi, nous gravissions des échelons et les dégringolions sans que notre désir et notre volonté y contribuât ; se soumettre aveuglément à cette force inconnue qui dirigeait nos vies était notre lot.

Je trouvais un peu de riz que nous fîmes gonfler, ce fut notre repas. Leah restait prostrée, je comprenais son attitude : elle venait d’être admise dans la Famille d’Avyel et de TIlia, heureuse de son sort, lorsque cette condamnation brutale, l’obligea à partager leur tragique destinée. Il n’y avait pas de recours possible ni d’argumentation, car il n’y avait pas de procès, c’était ainsi : innocent ou coupable selon des décisions brutales et sans appel.

Nous mangeâmes avec beaucoup de bonne volonté, chacun de nous perdu dans ses songeries oubliait les autres. A la fin de cet intense effort de mastication, Avyel prit la parole :

-    Merci, Ella, pour cette sollicitude, pour ces soins, ce repas, qui nous font croire à un sentiment plus fort que notre loi aveugle. Mais tu dois retourner chez toi, à présent, il faut partir, tu ne peux rien pour nous, comme, nous-mêmes, ne pouvons rien pour toi. Vas.

-    Mes compagnons sont partis dans notre voiture ce matin. C’est tout. Que veux-tu que je fasse ? Où irais-je sans véhicule ? La plaine est vaste, la poussière m’aura étouffée ou brûlé les yeux avant que je n’atteigne la grande Cité.

-    La loi y pourvoira, laisse-nous maintenant.

Je me levai et les embrassai tous les trois. De retour dans mon séjour, je me sentis étrangement soulagée comme si j’avais échappé à un grave accident, et, je décidais de partir le lendemain. Il n’y avait plus rien que je pusse faire pour eux. Je savourais pendant de longues minutes cette impression incroyable de bien-être que je n’avais plus ressentie depuis la proscription de la « guénéria », ou « famille » d’Avyel. La peur m’avait rongée, diminuée, affolée et le retour dans ce cadre ordinaire  m’apaisait, mon corps se détendait et je m’endormis. Je fus réveillée par l’ouverture automatique des stores qui laissèrent pénétrer la lumière rougeâtre à laquelle nous étions habitués. J’eus du mal à me souvenir de la journée précédente : je devais partir, car qui pouvait me promettre d’être écartée de la condamnation qui frappait ceux que j’aimais ? Il me fallait donc songer à quitter la Résidence : je sortis ma tenue d’extérieur : combinaison en matière in tissée qui protégeait de la chaleur ou du froid, et enveloppait tout le corps et pourvue d’un  épais hublot, permettant la vue à longue distance et protégeant les yeux de la  poussière. Devant la Résidence s’étendait une vaste esplanade en forme de demi-cercle, de larges marches lui conféraient une allure aristocratique si l’on ne tenait pas compte de leur décrépitude. A l’arrière, les résidus d’un parc alignaient des troncs noircis et défoliés, sur un sol dépourvu de végétation et recouvert de cette poussière  rouge portée par les vents du  Sud. Mes bagages avaient été préparés avec ceux de mes compagnons et je n’avais plus qu’à choisir de quelle manière j’allais retrouver les autres : les non-proscrits. Sortir par l’issue avant montrait mon désir de les laisser à leur sort et je serais vite recueillie et emmenée loin d’ici par ceux qui nous surveillaient derrière l’épais nuage de poussière rouge, la ’’générai’’ condamnée assisterait à mon départ sans animosité, sans révolte. Sortir par l’arrière aurait pour moi un résultat identique, mais mes amis ne me verraient pas partir, je serais déjà effacée par le brouillard pourpre lorsqu’ils en prendraient conscience.

      Une bonne tasse de café m’aiderait dans ma réflexion. Je commençais à fouiller dans les placards, rien, il ne restait rien ; ma généria avait tout enlevé pour être bien assurée de mon prochain départ. Après une nuit de discutes et de disputes, ils m’avaient laissé croire que j’avais gagné ma cause, mais n’avaient négligé aucun élément pour être vainqueurs de mon entêtement d’idéaliste ignorante de la vie. Une rage sauvage s’empara de moi, je m’attaquai à tout ce qui me tombait sous la main, je brisais et déchirais ce qui était possible de l’être ; je me mis à hurler si fort que je pensais  que quelqu’un viendrait de l’extérieur mettre un terme à cette pantomime. Mais le silence succéda à mes cris, j’étais seule dans la résidence. Je sortis sur le palier, personne. Sans chercher à cacher mes allées et venues, je me promenais le long des couloirs vides : le sol commençait à recéler des agglomérats de diverses saletés : le personnel de nettoyage allait-il passer ? Sinon, ce serait la fin de la Résidence.

Poussée par une extraordinaire audace, celle qui nous vient quand on sait que tout est fini, celle de la connaissance de l’inéluctable, je tournais le loquet d’un appartement au hasard et la porte s’ouvrit, je m’avançais avec précaution, et fouillais les placards, ils débordaient d’épicerie, et, hormis le frigidaire bien vide, le département congélation débordait de pièces de viandes et de légumes. Ils étaient partis comme en vacances, pour revenir quelques jours plus tard. Un espoir insensé me saisit violemment : ils avaient été avertis que cela ne durerait pas. Je visitais fébrilement un autre appartement, puis un autre et un autre encore. Tout n’était pas encore perdu : les résidents avaient conservé  l’essentiel,  mêmes des vêtements encore neufs, ils pensaient donc revenir…



 à suivre....


Francopolis décembre 2014
Éliette Vialle
 

Créé le 1 mars 2002

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