Chaque mois, comme à la grande époque du
roman-feuilleton,
nous vous présenterons un court conte
ou nouvelle
:
NOUVELLE :
SIÈGE
par Éliette Vialle
Partie 1
Partie II
Partie III... fin
Cette
remarque porteuse d’un espoir fou : « ils allaient revenir…
» fit naître en moi une tornade de sentiments irrationnels.
Je courus sans crainte de me faire remarquer jusqu’à
l’appartement d’Avyel et de sa "Généria". Je frappai
violemment et poussai la porte dans un même mouvement d’ivresse…
trois armes me tenaient en joue, 3 hommes tenaient ces armes… Puis,
au-delà, apparut Avyel, l’air contrarié ! Avyel…l’air
contrarié ? Mécontent ? Oui ! Il m’interpella sans
aménité :
- Tu
devais partir ce matin, Ella…
Tu n’es plus la
bienvenue, comprends-tu ?
J’ouvrais
les yeux tous grands, tellement écarquillés que j’avais
l’impression d’absorber, dans sa totalité, la scène qui
se
déroulait devant moi.
Je ne répondis
pas à Avyel, je ne comprenais pas : les armes… Avyel
contrarié… ses paroles. Où étais-je ? Cette vie,
ce moment n’étaient pas les miens. Je n’en voulais pas. Les yeux
toujours béants vidés de leur expression, la bouche
entrouverte sur une réponse qui n’arrivait pas à se
formuler, j’étais un pantin, une marionnette sur laquelle je
n’avais aucun pouvoir. Mais qui tenait les ficelles ? Qui
étais-je ? Que se passait-il enfin ?
Les
hommes me tenaient en joue : pourquoi ? Avyel ne voulait plus de moi :
ses paroles s’enfonçaient comme des lames pour lacérer
mon cœur…
Avyel se
déplaçait dans la pièce, ses aller-retour
étaient assurés, il n’avait plus l’air inquiet comme
auparavant. Il discourait posément :
- Ella, tu as été mon élève, et je
connais ton esprit… timoré, tatillon, sans envergure…
Chaque adjectif me tuait… mais parlait-il de moi ou d’une autre ? Qui
était ce "moi", immobile et hébété face
à lui, mon ami ?
… Ella, tu n’étais pas née à l’époque de la
Grande Vague qui a ravagé nos côtes et détruit nos
ports. Mais tu en as entendu parler, puis de la grande
sècheresse qui a ruiné la plaine cultivée et l’a
transformée en désert. Depuis le gouvernement de notre
cité choisit les meilleurs éléments pour trouver
des scientifiques qui travaillent à améliorer la vie de
ce
pays. Tu as fait partie des "élus", mais tu nous as
déçus… Tous !...
Avyel se tut et s’immobilisa, son regard allait au-delà de la
fenêtre, revisitant un passé encore récent : le
mien, mon arrivée à la "Barre" ma Généria
imposée avec laquelle je n’avais jamais eu trop
d’intimité, que je survolais, que je supportais…
- J’ai souvent discuté avec les membres de ta
Généria, ils s’affolaient de l’Enigme que tu
représentais pour eux. Tu n’en avais pas conscience. Tu n’avais
pas de rêve, tu subissais, obéissais sans essayer de
libérer ton esprit. Tu n’étais qu’une petite
fonctionnaire de la "pensée", jamais innovante mais
sérieuse, étouffée par je ne sais quel "surmoi".
Qui étais-tu ?
Tous ici, nous nous posions la question, qui se cachait derrière
cette façade lisse et agréable. Tous nous nous
méfions de toi… Profil d’espionne… Trop parfaite, donc
totalement suspecte…
Je ne réagissais pas à ce procès. Il s’agissait
d’une inconnue : je n’avais rien à répondre à son
sujet.
Moi ? J’avais toujours eu à cœur mon travail de recherche, il
avait été vain jusque là, certes. Mais il pouvait
s’épanouir d’un coup, les découvertes si
précieuses se font, au hasard, d’un ensemble de recherches : une
étincelle jaillit. J’étais encore trop jeune, je n’avais
pas eu assez de responsabilités donc de possibilités
d’aller au-delà de ce qui m’était demandé… Je ne
pouvais parler.
Allais-je me retrouver sans défenseur, vouée à une
condamnation sommaire ?
Et Avyel discourait toujours allant et venant dans la grande
pièce comme dans une salle de tribunal. Hypnotisée par
son va et vient régulier en accord avec le rythme lourd de son
discours, je n’avais pas eu la lucidité de réagir, de
regarder, d’observer la situation dans laquelle je me trouvais.
Un effort inouï de concentration me fit tourner les yeux vers les
hommes armés qui me tenaient toujours en joue. Des disciples
d’Avyel. Je les reconnaissais pour les avoir vus dans la "Barre" mais
dans des services autres que le mien. La colère souleva en
moi une
vague violente et destructrice :
- Avyel tais-toi et explique moi la situation.
Ma voix tonna dans le silence brusquement revenu.
Immobilité brutale d’Avyel. Silence…
L’interruption du Réquisitoire montrait une volonté de me
défendre, nouvelle et bien réelle. Ma voix n’avait pas
tremblée ; grave, mesurée, elle attestait ma
compréhension infinie.
- Ella, comment oses-tu ? Jamais tu n’as répondu à mes
sollicitations, bien sûr, faites à mots couverts ou
codés. Ta "Généria" n’a eu de cesse de t’ouvrir
les yeux, sur la situation nouvelle, la possibilité de renverser
un pouvoir obsolète, pour le Bien de Tous. Tu
t’enfonçais, me disaient tes proches, dans le refus, le
déni, accrochée aux valeurs anciennes et stériles
depuis longtemps…
La diatribe continuait, mais je n’écoutais plus, un doute
m’envahissait. Mes proches m’avaient-ils "réellement" mise au
courant, avais-je réellement "refusé" de saisir les
"indices" "codés" ?
Bientôt, affluèrent dans mon esprit, toutes les
âpres discussions avec ma Généria. Discussions
volontairement absconses. Je compris que l’on m’avait
délibérément écartée de la
réalité. J’étais un danger. Mon poste était
important. Ils le voulaient
-surtout mon compagnon- se tailler la part du lion dans une
révolution à venir. J’avais été trahie. Et
c’était moi qui devenait le "traitre", on ne pouvait rêver
mieux comme évincement radical !!!
- Je ne voulais pas te condamner pour naïveté et
rigidité d’esprit. Tu aurais dû partir ce matin. Les
autres résidents reviennent en masse. Tu n’es plus admise dans
notre nouvelle vie, tu n’y as plus ta place, tu l’as refusée.
C’est trop tard !
Un homme leva son arme. C’était la fin. C’était la mort.
Déjà une vague rumeur emplissait les couloirs du
bâtiment déserté. Ils revenaient.
Je regardais l’arme. Être digne. C’est moi qui avais
été trahie.
"Tu n’y as plus ta place" fut ma dernière et consolante
pensée.
FIN
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Francopolis janvier 2015
Éliette Vialle
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