|
ACCUEIL -
SALON DE LECTURE - FRANCO-SEMAILLES -
CRÉAPHONIE - UNE VIE, UN
POÈTE LECTURES CHRONIQUES - VUES DE FRANCOPHONIE - GUEULE DE MOTS & LES PIEDS DE MOTS - SUIVRE UN AUTEUR - PUBLICATIONS SPÉCIALES - LIENS &TROUVAILLES - ANNONCES LISTES DES AUTEURS PUBLIÉS & COMMENTAIRES - LES FRANCOPOLIS - POÈMES DU FORUM -
|
Chaque mois, comme à la grande époque du
roman-feuilleton, NOUVELLE :
SIÈGE
par Éliette Vialle Partie I Les
locataires et leurs voitures étaient partis progressivement tout
au long de la matinée. Les occupants de mon appartement avaient
arrimé leurs bagages sur le toit de leur véhicule et,
après un bref au–revoir, avaient décampé, le terme
employé traduit exactement leur état d’esprit à
cet instant. Quant à moi, je n’arrivais à me
résoudre à quitter
l'immeuble sans me préoccuper du sort d’Avyel . Il résidait au premier étage, au numéro cent neuf. Moi, j’occupais le trois cent vingt quatre. À présent, j’étais seule dans l’immeuble, appelé « La Barre » , l’immeuble était un long parallélépipède de deux cents et quelques mètres de long pour trois étages de hauteur, il coupait littéralement la vue de l’immense plaine qui s’étalait au centre du pays. Ce surnom avait été préféré à son nom véritable qui était «Ondulations résidence ». Son architecture nouvelle le faisait ressembler à une tôle ondulée en raison des renflements, ou avancées de verre correspondant chacune à la partie séjour des appartements et de ses retraits intermittents, pourvus de balcons, qui faisaient suite à la partie repas. À l’origine, cet aspect inusité de l’architecture du pays avait fait couler beaucoup d’encre ; puis, on l’avait baptisé selon le point de vue public, certainement plus conforme à la réalité. Il va sans dire que la résidence « Ondulations » s’était beaucoup dégradée, et plus personne, sauf les services postaux n’y voyait plus son patronyme premier mais celui, plus réel de « La Barre ». Je
savais qu’Avyel demeurait encore, avec ses compagnes Tillia et
Leah, prisonnier de la résidence. En fait, ils en
étaient, avec moi, les derniers résidents. Si
j’étais libre de mes mouvements : sortir, rester ou m’en aller ;
il n’en était pas de même pour eux. Face à
l’immeuble, des rangées de journalistes les guettaient, et aussi
certainement, des tireurs embusqués qui n’attendaient qu’un
signe des précédents pour donner l’assaut. « La
Barre » semblait devoir être leur dernière demeure.
Avyel était mon ami et j’aimais aussi ses compagnes. Je me
devais de les aider, avais-je pensé le matin même, lors du
départ de mes compagnons. Qu’allaient-ils devenir dans cet
immeuble énorme, coupés de tous secours ?
Je
regardais par la baie vitrée, mais, aucun mouvement
n’apparaissait à l’entour. Nous savions tous qu’ils
étaient là, planqués, invisibles à notre
vision humaine, et cependant au moindre mouvement de fuite, ils
surgiraient et ce serait le carnage.
Dans la
mesure où je n’étais pas visée, je devais aller
voir Avyel et ses compagnes, je redoutais le lent
égrènement des journées d’attente, si corrosives
pour les nerfs. Je descendis par la plus proche volée
d’escalier, puis à l’étage suivant, je m’avançais
le long du couloir sinistre ponctué de portes d’entrée
numérotées. Pensant être presque au niveau de la
première dizaine, je sortis par un palier voisin, et quelques
pas me permirent d’atteindre la porte de mes amis. J’écoutais
d’abord, l’oreille collée au battant. Le silence me
décida : un coup, puis trois ; on ouvrit. Le spectacle
était tel que je l’imaginais : Avyel, soudé au mur,
faisait face à la grande baie, assez loin pour que sa
présence ne soit pas décelée, ses deux compagnes
effondrées sur les lit superposés accrochés en
deçà. Des canettes jonchaient la partie séjour,
mais j’étais sûre d’en trouver autant dans le coin repas.
Aucun ne bougea à mon arrivée sauf Tillia qui
dégringola du lit supérieur pour me regarder de ses yeux
vaincus. Je m’approchais doucement de ces trois êtres aux abois,
aucun n’osait affronter mon regard.
- Pourquoi
es-tu resté ? , me demanda Avyel.- Pourquoi t’abandonnerai-je ? Avyel
hocha la tête, toujours sans me regarder, il me montra une
bouteille. Ce n’était plus la solution, mais c’était
l’alternative pour en finir, la mort était pour eux
inéluctable. Je regrettais aussitôt d’avoir oublié
d’aider à adoucir leur détresse. Je repartis donc, en
prenant toutes les précautions pour ne pas être
repérée : les armes nouvelles de détections se
font fi des parois de béton. Passant par les sous-sol, remontant
et redescendant, je revins chez moi : il me restait deux bouteilles,
que je pris sous chaque bras, mais au moment de claquer la porte, je
pensais qu’il fallait manger. Hélas, mes compagnons avaient
nettoyé le frigo avant de partir. Je jetai un œil dans la
poubelle et trouvé quelques légumes, il y en aurait assez
pour ce soir, car l’angoisse nouerait tous les estomacs, mais il
fallait se forcer. Je raisonnais déjà en captive.
Mon
retour fut aussi compliqué : attisé par la peur, mon
esprit me suggérait tant de détours, que je me perdis
dans mon propre dédale. Je dus reprendre mon calme pour
m’orienter, et je fus affolée par mes méandres qui
pouvaient faire accroire à mes amis que j’avais
décidé de partir ; ce qui aurait été pour
moi la solution sage : mais, peut-on laisser ceux que l’aime, seuls,
dans l’attente d’une mort programmée ?
Je ne
réfléchissais pas sur la justesse ou l’injustice de leur
sort : c’était le sort, il n’y avait ni perdant ni gagnant,
c’était la loi, tantôt bonne pour les uns, tantôt
cruelle ; mais, telle est la vie ; pas de révolte inutile, il
faut s’y soumettre. Nous le savions tous : car tous, sauf moi,
étaient partis. Mais, ils n’étaient pas les amis de ces
trois-là. Je me devais de rester; les laisser seuls soutenir le
siège face à la grande faucheuse aurait été
lâche. Cependant, mon sacrifice n’avait que la valeur d’un geste
aimable, dans la mesure où je ne craignais rien. Je n’avais
jamais eu l’étoffe d’une héroïne.
à
suivre....
Éliette Vialle |
Créé le 1 mars 2002
A visionner avec Internet Explorer