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Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton,
     nous vous présenterons un court conte ou nouvelle : 


NOUVELLE :  SIÈGE

par Éliette Vialle

Partie I

Les locataires et leurs voitures étaient partis progressivement tout au long de la matinée. Les occupants de mon appartement avaient arrimé leurs bagages sur le toit de leur véhicule et, après un bref au–revoir, avaient décampé, le terme employé traduit exactement leur état d’esprit à cet instant. Quant à moi, je n’arrivais à me résoudre à quitter 
l'immeuble sans me préoccuper du sort d’Avyel . Il résidait au premier étage, au numéro cent neuf. Moi, j’occupais le trois cent vingt quatre. À présent, j’étais seule dans l’immeuble, appelé « La Barre » , l’immeuble était un long parallélépipède de deux cents et quelques mètres de long pour trois étages de hauteur, il coupait littéralement la vue de l’immense plaine qui s’étalait au centre du pays. Ce surnom avait été préféré à son nom véritable qui était «Ondulations résidence ». Son architecture nouvelle le faisait ressembler à une tôle ondulée en raison des renflements, ou avancées de verre correspondant chacune à la partie séjour des appartements et de ses retraits  intermittents, pourvus de balcons, qui  faisaient suite à la partie repas. À l’origine, cet aspect inusité de l’architecture du pays avait fait couler beaucoup d’encre ; puis, on l’avait baptisé selon le point de vue public, certainement plus conforme à la réalité. Il va sans dire que la résidence « Ondulations » s’était beaucoup dégradée, et plus personne, sauf les services postaux n’y voyait plus son patronyme premier mais celui, plus réel de « La Barre ».

Je savais qu’Avyel demeurait  encore, avec ses compagnes Tillia et Leah, prisonnier de la résidence. En fait, ils en étaient, avec moi, les derniers résidents. Si j’étais libre de mes mouvements : sortir, rester ou m’en aller ; il n’en était pas de même pour eux. Face à l’immeuble, des rangées de journalistes les guettaient, et aussi certainement, des tireurs embusqués qui n’attendaient qu’un signe des précédents pour donner l’assaut. « La Barre » semblait devoir être leur dernière demeure. Avyel était mon ami et j’aimais aussi ses compagnes. Je me devais de les aider, avais-je pensé le matin même, lors du départ de mes compagnons. Qu’allaient-ils devenir  dans cet immeuble énorme, coupés de tous secours ?

Je regardais par la baie vitrée, mais, aucun mouvement n’apparaissait à l’entour. Nous savions tous qu’ils étaient là, planqués, invisibles à notre vision humaine, et cependant au moindre mouvement de fuite, ils surgiraient et ce serait le carnage.
 
Dans la mesure où je n’étais pas visée, je devais aller voir Avyel et ses compagnes, je redoutais le lent égrènement des journées d’attente, si corrosives pour les nerfs. Je descendis par la plus proche volée d’escalier, puis à l’étage suivant, je m’avançais le long du couloir sinistre ponctué de portes d’entrée numérotées. Pensant être presque au niveau de la première dizaine, je sortis par un palier voisin, et quelques pas me permirent d’atteindre la porte de mes amis. J’écoutais d’abord, l’oreille collée au battant. Le silence me décida : un coup, puis trois ; on ouvrit. Le spectacle était tel que je l’imaginais : Avyel, soudé au mur, faisait face à la grande baie, assez loin pour que sa présence ne soit pas décelée, ses deux compagnes effondrées sur les lit superposés accrochés en deçà. Des canettes jonchaient la partie séjour, mais j’étais sûre d’en trouver autant dans le coin repas. Aucun ne bougea à mon arrivée sauf Tillia qui dégringola du lit supérieur pour me regarder de ses yeux vaincus. Je m’approchais doucement de ces trois êtres aux abois, aucun n’osait affronter mon regard.

-    Pourquoi es-tu resté ? , me demanda Avyel.
-    Pourquoi t’abandonnerai-je ?

Avyel hocha la tête, toujours sans me regarder, il me montra une bouteille. Ce n’était plus la solution, mais c’était l’alternative pour en finir, la mort était pour eux inéluctable. Je regrettais aussitôt d’avoir oublié d’aider à adoucir leur détresse. Je repartis donc, en prenant toutes les précautions pour ne pas être repérée : les armes nouvelles de détections se font fi des parois de béton. Passant par les sous-sol, remontant et redescendant, je revins chez moi : il me restait deux bouteilles, que je pris sous chaque bras, mais au moment de claquer la porte, je pensais qu’il fallait manger. Hélas, mes compagnons avaient nettoyé le frigo avant de partir. Je jetai un œil dans la poubelle et trouvé quelques légumes, il y en aurait assez pour ce soir, car l’angoisse nouerait tous les estomacs, mais il fallait se forcer. Je raisonnais déjà en captive.

Mon retour fut aussi compliqué : attisé par la peur, mon esprit me suggérait tant de détours, que je me perdis dans mon propre dédale. Je dus reprendre mon calme pour m’orienter, et je fus affolée par mes méandres qui pouvaient faire accroire à mes amis que j’avais décidé de partir ; ce qui aurait été pour moi la solution sage : mais, peut-on laisser ceux que l’aime, seuls, dans l’attente d’une mort programmée ?

Je ne réfléchissais pas sur la justesse ou l’injustice de leur sort : c’était le sort, il n’y avait ni perdant ni gagnant, c’était la loi, tantôt bonne pour les uns, tantôt cruelle ; mais, telle est la vie ; pas de révolte inutile, il faut s’y soumettre. Nous le savions tous : car tous, sauf moi, étaient partis. Mais, ils n’étaient pas les amis de ces trois-là. Je me devais de rester; les laisser seuls soutenir le siège face à la grande faucheuse aurait été lâche. Cependant, mon sacrifice n’avait que la valeur d’un geste aimable, dans la mesure où je ne craignais rien. Je n’avais jamais eu l’étoffe d’une héroïne.


 à suivre....


Francopolis novembre 2014
Éliette Vialle
 

Créé le 1 mars 2002

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