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Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton, nous vous présenterons un court conte ou nouvelle : 

    OCTOBRE  2016

 

JUNON OU UNE IMPROBABLE RELATION

par

ÉLIETTE VIALLE


Partie 1

L’amphi était bondé, des jeunes hommes et femmes étaient installés sur les travées, comme sur les marches. Un brouhaha permanent régnait, interrompu par des appels plus sonores et violents.

François-René DONNER s’amusait fort, il avait quitté sa Fac de droit et ses cours pour s’immerger dans ceux de la Fac de lettres à haute teneur révolutionnaire. Il avait envie de vivre cette révolution loin de la tiédeur, du cocon de la famille DONNER, et de ses condisciples – futurs magistrats – ou hauts fonctionnaires –

Un mot d’ordre fut lancé : « il faut aller à la rencontre des ouvriers !... », tous gesticulaient. Devant lui, une jolie brune levait le poing et approuvait. Perdu, François-René s’exclama : « mais je ne connais pas d’ouvrier !... ».
La brune se retourna, lui lança un regard ironique où il lut un peu de mépris.

« Eh bien, viens avec moi, je t’en ferais rencontrer ». Son regard était sévère, désapprobateur. François-René pour la première fois de sa vie se sentit mal à l’aise, comme, quand, étant enfant, il rendait visite à une grand-mère très stricte. Où était passé son entregent avec les filles ? En voilà une qui ne ressemblait pas à ces petites oies gloussantes ou snobinardes qu’il fréquentait. Elle, elle avait l’air de prendre au sérieux la "révolution". "Une vraie Junon" pensa-t-il… et il la surnomma ainsi.


L’assemblée générale s’éternisait, et François-René observait son futur mentor, grave, sage, prenant des notes, ne criant pas comme les autres sauf pour approuver. Elle avait un beau visage hiératique, des sourcils épais, des yeux bruns aux longs cils soyeux, ses cheveux d’un brun mordoré tombaient souplement sur ses épaules, un nez fin et légèrement retroussé au bout, des lèvres pleines. Qui était cette fille étrange ? Il est vrai que tout lui paraissait étrange, éloigné de son milieu. Déjà lui-même détonnait parmi ses condisciples de promo, il ne portait plus de cravate à cause de la chaleur, et surtout il tenait à se conformer à la mode de l’époque, il n’avait pas encore porté le jean mais affectait une décontraction qui n’était pas de mise chez ses condisciples.

François-René appartenait à une famille de magistrats et c’est tout naturellement qu’il se retrouvait en ces études de Droit…

L’assemblée générale se terminait, le public se désagrégeait, petits groupes bavards et rieurs. François-René allongea le pas pour rejoindre la jeune fille, il craignait brusquement – et d’une manière irrationnelle – que celle-ci ne l’oubliât. Il se présenta d’un ton très détaché mais il maitrisait mal cette nonchalance.

La jeune fille se prénommait Alexia

- Comme c’est original s’exclama-t-il.

- Non. C’est normal, mon père s’appelle Alexis donc moi c’est Alexia…

François-René bafouilla une platitude, du genre : « dans votre famille aussi les prénoms suivent une lignée… »
Mais elle ne parut pas l’entendre.

- Où allons-nous ? demanda-t-il
- Dans ma ville, les ouvriers sont en grève, je vous les ferais connaître… l’usine est occupée.
- Mais c’est loin…
- Bien sûr, on va prendre le train
- J’ai ma voiture, on peut y aller plus commodément .

Alexia fit un léger signe d’approbation et toujours sérieuse, elle le suivit. François-René était fier de sa petite voiture anglaise, cadeau de ses parents pour son 20ème anniversaire. Il conduisit Alexia à travers le dédale des voitures garées sur les quais, elle ne semblait pas impressionnée et prit place près de lui sans commentaire. Le jeune homme l’interrogea et apprit qu’elle était boursière et avait passé un concours d’élève/professeur qu’elle espérait réussir pour continuer ses études, que son père était délégué syndical FO et s’occupait activement du mouvement ouvrier.

 

Alexia avait une beauté grave, mais une parole facile et sérieuse. Étrangement François-René se sentait à l’aise avec elle, bien qu’elle ne ressemblât en aucune manière aux filles qu’il côtoyait à la fac ou dans son cercle amical


– "Une Junon" se répétait-il…

Il n’y avait pas de circulation, peut-être en raison du manque de carburant, et ils parvinrent à F…. assez rapidement. Alexia le guida et le fit se garer derrière l’église, bâtisse sans intérêt. Là, des stands étaient installés en deux rangées parallèles.


Un homme d’une quarantaine d’années s’activait.

- Papa ! Héla Alexia

L’homme se retourna et vint vers eux, serra sa fille contre lui

- Je te présente François-René un copain de fac… comme il ne connaissait pas le monde ouvrier je l’ai invité.

Le père d’Alexia était un grand bonhomme, simple et bon ; sa poignée de main était franche et vigoureuse. Il entraîna les jeunes gens, expliqua la demande des syndicats, la grève illimitée, les foyers sans ressources et l’aide alimentaire qu’on leur apportait grâce aux dons en nature… Il présenta François-René à ses collègues et à l’heure venue de se quitter, tous allèrent boire un «  canon «  de rouge au bar voisin.


- Venez dîner à la maison, on pourra parler.

François-René ne se fit pas prier, il se sentait à l’aise, de plain-pied avec ce monde qu’il découvrait, un monde chaleureux et sincère, un monde sans fioritures.

 

Le père les conduisit face à l’usine, où s’élevaient trois bâtiments, blocs de béton gris et ternes qui constituaient les logements des ouvriers. Des piquets de grève montaient la garde au portail. Le père les salua d’un geste. La rue était déserte, sinistre ; quelques marronniers encore jeunes apportaient une faible touche de verdure dans cet univers lugubre. François-René sentit son cœur se serrer, le hall du bâtiment mal éclairé ajoutait à son malaise, de même l’ascension des quatre étages par des escaliers grisâtres et chaque palier donnant sur deux portes de logements identiques, avec un long balcon ouvrant sur la largeur de l’immeuble sur lequel étaient étendues les lessives familiales sur les séchoirs accrochés à une rampe de béton sans couleur ni ornements. Des odeurs de cuisine s’exhalaient des fenêtres à demi-ouvertes.


Le père toqua à une porte et l’ouvrit.
- Maman, s’exclama-t-il, je t’amène de la visite.

Et l’on fit les présentations. La mère d’Alexia était petite et sèche, elle se répandait en civilités qui incommodèrent François-René, il préférait de loin l’attitude chaleureuse et simple du père et de la fille.
On servit l’apéritif. Pastis pour les hommes, eau de noix pour les dames.
François-René examinait l’appartement exigu, meublé avec le modernisme de ceux qui n’ont ni le goût ni les moyens de posséder du chic.

Des dessins au fusain ornaient les murs, ainsi que des images pieuses ou des photos d’Alexia et de ses parents à diverses périodes de leur vie.

 

La jeune fille mit le couvert sur une table en bois recouverte d’une nappe plastifiée aux motifs criards.
Puis, elle lui montra sa chambre, petite cellule en longueur comprenant un lit étroit, une armoire penderie et un bureau secrétaire où étaient empilés livres et classeurs.

 

Puis vint l’heure du départ. Alexia et son père le raccompagnèrent et l’invitèrent à revenir le lendemain, donner un coup de main, s’imprégner de la révolution… François-René, était ravi et rêveur, Alexia et son père lui avaient fait une forte impression, se retrouva brutalement devant l’imposant immeuble où demeurait sa famille, près du parc de la Tête d’Or. Il mesura symboliquement la distance qui séparait sa famille de celle d’Alexia, en termes de superficie, de confort ou de luxe. Demain il irait rendre visite à d’autres familles mais il savait à l’avance que tous les ouvriers avaient peu ou prou le même niveau de vie, mais dans cette grisaille, il y avait tellement de présence, de générosité et de convivialité.

 

Il avait envie de raconter et amorça une discussion que personne n’entendit, chacun, pris par ses propres problèmes, n’émettait que quelques monosyllabes polies sans observer les autres pour n’avoir pas à les comprendre.

François-René songeait au lendemain.

*****

Il parvint très tôt à la fac à une heure peu habituelle, Alexia n’arriva que plus tard, tranquille et sérieuse à son habitude, mais elle affichait un doux sourire et François-René se sentit réconforté, ils bavardèrent gentiment et se rendirent ensemble à toutes les assemblées, à la fin de la journée, il la raccompagna à F…

 

Ainsi chaque journée de la longue grève fut une journée de gai partage… François-René se sentait enfin chez lui… sa vie avait pris un rythme paisible et plein, tout semblait couler de source… et puis vinrent les vacances, le mouvementt révolutionnaire se dilua rapidement. La fac était fermée, seuls quelques étudiants venaient lire les panneaux qui affichaient les résultats ou annonçaient les cours de l’année à venir. François-René se sentit brutalement désemparé, il ne voulait pas que cela cesse. Il fut surpris par Alexia au détour d’un couloir alors qu’il commençait à désespérer.


- Je suis acceptée, s’exclama-t-elle lui sautant au cou. Je peux continuer… ouf. Je suis si soulagée !

Et de lui expliquer que sans ce concours où elle avait été reçue, elle n’aurait pu continuer ses études de Lettres. François-René fut étonné puis enchanté, la parenthèse ne se refermait pas, le bonheur continuait.

 

Il ne partit pas avec sa famille dans leur domaine de la Côte d’Azur. Il resta en ville et put voir tous les soirs Alexia qui s’occupait de centre de vacances pour gagner un peu d’argent. Il passa les fins de semaine chez elle où il était reçu comme une vieille connaissance, voire un membre de la famille… ainsi s’écoula l’été, riche en conversations avec le père, en promenades citadines ou campagnardes avec la jeune fille.

 

Puis, sa famille reprit ses quartiers d’hiver. Le grand appartement reprit vie, les sœurs le lycée et lui, la Fac de droit sur les quais du Rhône. Et Alexia était à deux pas, ils mangeaient ensemble au restaurant universitaire, se retrouvait au "Bar de l’Université", duo assorti et complice.

 

Très vite François-René eut besoin d’être avec Alexia, comme avec sa famille, et ce besoin le poussa à envisager un projet plus sérieux. Des camarades de cours passaient des concours de la fonction publique et percevaient un salaire qui leur permettait d’être indépendants donc pour certains de se marier.

 

à suivre.....
 

http://www.francopolis.net/librairie2/VialleEliette-Junon-suite_Dec2016



Francopolis octobre 2016
Éliette Vialle



 

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Créé le 1 mars 2002

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