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Chaque mois, comme à la grande époque du
roman-feuilleton, nous vous présenterons un court conte ou nouvelle : JUNON
OU UNE IMPROBABLE RELATION
L’amphi
était bondé, des jeunes hommes et femmes étaient installés sur les travées,
comme sur les marches. Un brouhaha permanent régnait, interrompu par des
appels plus sonores et violents. - Où allons-nous ? demanda-t-il Alexia
fit un léger signe d’approbation et toujours sérieuse, elle le suivit.
François-René était fier de sa petite voiture anglaise, cadeau de ses parents
pour son 20ème anniversaire. Il conduisit Alexia à travers le dédale des
voitures garées sur les quais, elle ne semblait pas impressionnée et prit
place près de lui sans commentaire. Le jeune homme l’interrogea et apprit
qu’elle était boursière et avait passé un concours d’élève/professeur qu’elle
espérait réussir pour continuer ses études, que son père était délégué
syndical FO et s’occupait activement du mouvement ouvrier. Alexia
avait une beauté grave, mais une parole facile et sérieuse. Étrangement
François-René se sentait à l’aise avec elle, bien qu’elle ne ressemblât en
aucune manière aux filles qu’il côtoyait à la fac ou dans son cercle amical
Il n’y
avait pas de circulation, peut-être en raison du manque de carburant, et ils
parvinrent à F…. assez rapidement. Alexia le guida et le fit se garer
derrière l’église, bâtisse sans intérêt. Là, des stands étaient installés en
deux rangées parallèles.
Le père
d’Alexia était un grand bonhomme, simple et bon ; sa poignée de main était
franche et vigoureuse. Il entraîna les jeunes gens, expliqua la demande des
syndicats, la grève illimitée, les foyers sans ressources et l’aide
alimentaire qu’on leur apportait grâce aux dons en nature… Il présenta
François-René à ses collègues et à l’heure venue de se quitter, tous allèrent
boire un « canon « de rouge au bar voisin.
François-René
ne se fit pas prier, il se sentait à l’aise, de plain-pied avec ce monde
qu’il découvrait, un monde chaleureux et sincère, un monde sans fioritures. Le père
les conduisit face à l’usine, où s’élevaient trois bâtiments, blocs de béton
gris et ternes qui constituaient les logements des ouvriers. Des piquets de grève
montaient la garde au portail. Le père les salua d’un geste. La rue était
déserte, sinistre ; quelques marronniers encore jeunes apportaient une faible
touche de verdure dans cet univers lugubre. François-René sentit son cœur se
serrer, le hall du bâtiment mal éclairé ajoutait à son malaise, de même
l’ascension des quatre étages par des escaliers grisâtres et chaque palier
donnant sur deux portes de logements identiques, avec un long balcon ouvrant
sur la largeur de l’immeuble sur lequel étaient étendues les lessives
familiales sur les séchoirs accrochés à une rampe de béton sans couleur ni
ornements. Des odeurs de cuisine s’exhalaient des fenêtres à demi-ouvertes.
Et l’on
fit les présentations. La mère d’Alexia était petite et sèche, elle se
répandait en civilités qui incommodèrent François-René, il préférait de loin
l’attitude chaleureuse et simple du père et de la fille. La jeune
fille mit le couvert sur une table en bois recouverte d’une nappe plastifiée
aux motifs criards. Puis
vint l’heure du départ. Alexia et son père le raccompagnèrent et l’invitèrent
à revenir le lendemain, donner un coup de main, s’imprégner de la révolution…
François-René, était ravi et rêveur, Alexia et son père lui avaient fait une
forte impression, se retrouva brutalement devant l’imposant immeuble où
demeurait sa famille, près du parc de la Tête d’Or. Il mesura symboliquement
la distance qui séparait sa famille de celle d’Alexia, en termes de
superficie, de confort ou de luxe. Demain il irait rendre visite à d’autres
familles mais il savait à l’avance que tous les ouvriers avaient peu ou prou
le même niveau de vie, mais dans cette grisaille, il y avait tellement de présence,
de générosité et de convivialité. Il avait envie de raconter et amorça une
discussion que personne n’entendit, chacun, pris par ses propres problèmes,
n’émettait que quelques monosyllabes polies sans observer les autres pour
n’avoir pas à les comprendre. François-René songeait au lendemain. Il
parvint très tôt à la fac à une heure peu habituelle, Alexia n’arriva que
plus tard, tranquille et sérieuse à son habitude, mais elle affichait un doux
sourire et François-René se sentit réconforté, ils bavardèrent gentiment et
se rendirent ensemble à toutes les assemblées, à la fin de la journée, il la
raccompagna à F… Ainsi
chaque journée de la longue grève fut une journée de gai partage…
François-René se sentait enfin chez lui… sa vie avait pris un rythme paisible
et plein, tout semblait couler de source… et puis vinrent les vacances, le mouvementt révolutionnaire se dilua rapidement. La fac
était fermée, seuls quelques étudiants venaient lire
les panneaux qui affichaient les résultats ou annonçaient les cours de
l’année à venir. François-René se sentit brutalement désemparé, il ne voulait
pas que cela cesse. Il fut surpris par Alexia au détour d’un couloir alors
qu’il commençait à désespérer.
Et de
lui expliquer que sans ce concours où elle avait été reçue, elle n’aurait pu
continuer ses études de Lettres. François-René fut étonné puis enchanté, la
parenthèse ne se refermait pas, le bonheur continuait. Il ne
partit pas avec sa famille dans leur domaine de la Côte d’Azur. Il resta en
ville et put voir tous les soirs Alexia qui s’occupait de centre de vacances
pour gagner un peu d’argent. Il passa les fins de semaine chez elle où il
était reçu comme une vieille connaissance, voire un membre de la famille…
ainsi s’écoula l’été, riche en conversations avec le père, en promenades
citadines ou campagnardes avec la jeune fille. Puis, sa
famille reprit ses quartiers d’hiver. Le grand appartement reprit vie, les
sœurs le lycée et lui, la Fac de droit sur les quais du Rhône. Et Alexia
était à deux pas, ils mangeaient ensemble au restaurant universitaire, se
retrouvait au "Bar de l’Université", duo assorti et complice. Très
vite François-René eut besoin d’être avec Alexia, comme avec sa famille, et
ce besoin le poussa à envisager un projet plus sérieux. Des camarades de
cours passaient des concours de la fonction publique et percevaient un
salaire qui leur permettait d’être indépendants donc pour certains de se marier.
Francopolis octobre 2016
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Créé le 1 mars 2002
A
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