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Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton,
     nous vous présenterons un court conte ou nouvelle : 

     DÉCEMBRE
2015


MEURTRE AU CHÂTEAU

par

ÉLIETTE VIALLE


PARTIE 1

La nuit. Un bruit mat.
Le choc mou de l’eau qui s’ouvre et se referme.
Au bas du précipice, le marais, comme un monstre aquatique, absorbe méthodiquement une masse sombre, tombée du sommet. Cette masse a dévalé la pente raide depuis la chapelle St-Martin. La lune complice l’a suivie. Elle roulait comme un fût de vin, entraînant dans sa chute maintes pierres sèches, quelques éboulis.
Contre la chapelle, une silhouette s’est détachée un instant, penchée sur la crête, elle semble suivre l’événement, puis elle s’esquive en rampant.

Tout est obscur. Le château est endormi.
Dans la basse-cour, hommes d’armes et chevaux sont profondément assoupis. Leurs ronflements rompent le silence nocturne. La chouette hulule. « Mauvais signe, c’est la mort », songe un soldat qui se rendort. S’éteignent aussi les cierges qui brillaient faiblement à la chapelle. Tout est noir.

Quelques heures avant :
 « Le Seigneur de Castillon prend la croix »  « Messire Guilhem prend la croix ».
Depuis dix mois cette annonce est répétée de village en ville et dans les campagnes avoisinantes; dans le pays d’Arles.

Aujourd’hui la fête bat son plein au château. Demain Messire Guilhem embarque à Aigues sur la nef française qui va à Jérusalem défendre les lieux saints. Déjà, il y a un lustre le chevalier Robert, père de son épouse Dame Aloïs, est parti et n’est jamais revenu.

Ménestrels et jongleurs se succèdent. Dame Aloïs est assise près de son époux, l’air dolent. Son seigneur s’en va demain pour délivrer les terres lointaines du Christ, dans un Orient de légendes, horribles ou fascinantes selon les paroles de ceux qui en sont revenus.

Discrètement, elle se lève et sort par une porte à l’arrière. Elle se réfugie dans sa garde de robe, et oubliant son chagrin, s’affaire d’un air déterminé, elle plie une large étoffe de lin très douce, et sortant une fiole de son aumônière en répand inégalement le sang qu’elle contenait. La tâche rougeâtre qui s’étend lui arrache une grimace. C’est à une autre tâche de sang qu’elle pense, une large flaque sombre sortant de la tête éclatée de son mari le sire Guilhem ; elle le hait et rêve depuis son mariage de lui écrabouiller le crâne à coups de masse d’armes.

Aloïs a quinze ans, elle a été " vendue " dit-elle au Seigneur de Castillon,  orpheline, elle possédait de riches terres même si son lignage n’était pas haut, elle lui apportait puissance en argent et il avait rapidement levé son ost et pris la croix.
Et elle ?
Sous la férule bienveillante de son beau-frère, le moine Robert, elle pourrait vivre seule commodément mais la surveillance du seigneur des Baux et de sa dame l’inquiète, il a été même envisagé de la mettre à l’abri dans un couvent.

Mais de peur que son suzerain ne capte ses biens, Guilhem a refusé, sauvant malgré lui la liberté de son épouse.

Ses atermoiements ont aggravé les mauvais sentiments d' Aloïs à son égard. Grand, bien bâti, brutal, Guilhem ne pense qu’à la guerre. On le craignait, on le redoutait, mais elle le haïssait. Elle espérait fort le départ de ce mari violent qui la malmenait quotidiennement.

Las ! Ce jour, une lune était passée et le sang de la jeune femme n’avait pas coulé. Terrorisée, Aloïs avait décidé de cacher ce fait et de duper ses chambrières. Son mari '' doit '' partir. Elle assujettit entre ses cuisses le linge souillé, elle est satisfaite de son stratagème, cela lui  évitera d’avoir à subir, cette dernière nuit, les assauts de son détestable époux. Elle regagne la haute salle.

Après la fête, les hommes abrutis par la ripaille et la beuverie s’endorment souvent où ils se trouvent, sur la jonchée ou la paille des écuries. Guilhem de Castillon et son frère jumeau, le moine Robert, veillent et prient à la chapelle Saint Martin. Dame Aloïs les accompagne une longue heure, puis retourne dans la chambrée avec ses femmes.
A l’aube, frère Robert s’en est allé sur sa mule faire de son coté un long pèlerinage pour soutenir l’ardeur de son frère au combat.

Au matin, Aloïs monte sa haquenée. En tête de son ost, chevauche Guilhem, sa bannière claque au mistral. Avant de traverser le bras du Rhône, Aloïs met pied à terre, son époux descend lourdement, la baise au front, puis crie « Montjoie » et les hommes se ruent sur le pont de barques, d’abord la piétaille, puis les chevaliers tirant leurs chevaux. Les armures, les heaumes, les armes, étincellent au soleil.

Sur l’autre berge, Aloïs regarde l’armée et son époux s’éloigner. Puis elle tourne bride et rentre au château. Elle a déjà mandé deux messagers, l’un doit trouver le père Anselme curé du village de Paradou et l’autre la Bertrande, la guérisseuse. L’un est l’autre sont des fidèles, elle connaît leur loyauté, ils sauront se taire.

Quelques années ont déroulé leurs jours d’un Noël à l’autre. La vie au château est rythmée par les saisons : les cultures, la récolte des olives, la vigne, les moissons. Depuis qu’il n’y a plus d’armée à nourrir, c’est enfin la prospérité. Aloïs ouït le matin une messe basse dite par le curé de Paradou, son confesseur, puis s’occupe des comptes du château avec le même curé, c’est lui qui a été son maître dans son enfance, elle lit, écrit, compte, parle le latin, chante fort bien, écrit des vers.

Elle a fait venir des troubadours de tous les coins du Sud en particulier d’Avignon dont la cour d’amour est célèbre. L’après dîner, elle vêt une toilette plus délicate et écoute les musiciens, chante avec eux.

Bernard de Ventadour le célèbre troubadour demeure pour donner l’élan à cette cour débutante. La quintaine qui servait aux exercices des écuyers est abandonnée, vestige muet du passé. La vie est bonne, la belle voix de Bernard qui chante l’amour et la reverdie résonne dans la grand salle, sort par les croisées et régale les paysans au travail.

Un moine demande Dame Aloïs, il vient du prieuré de la Montagnette. Curieuse elle le reçoit, non pas de nouvelles du frère Robert parti en pèlerinage, on pense qu’il a dû créer une abbaye dans un pays au-delà de la Loire. Le moine vient à parler à la dame du domaine, les moines au-delà de la montagne ont asséché les marais et la terre est bonne, c’est devenu un grenier à blé. Dame Aloïs songe à la prospérité et à la gaîté qui en découlerait pour tous. Elle pourrait retenir Bernard de Ventadour au château, lui verser une rente, elle se voit mécène, sa cour concurrencer celle des dames de Provence. Elle accepte.

Les moines encadreront les travaux menés par les plus solides.

ÉLIETTE VIALLE

Francopolis décembre 2015


Créé le 1 mars 2002

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