R ENCONTRE


H É L È N E     S O R I S



"Il allait un jour par la rue Madame
Un jour elle allait par la rue Monsieur
Dans la rue Madame y a du macadam
Il n’y en a pas moins dans la rue Monsieur."

Jacques ROUBAUD




 

Cendres vives


Elle
habillée de presque transparence
tourterelle blessée
égarée à la brune des tempêtes échues
entend des résonances aux pauses étalées
avachies
discordantes
au son moite
où sur des varechs desséchés tremble l'horizon de frayeurs enflammées
où crépite une ligne de peau qui se desquame
au vent agonisant doucement à la nuit.


La banquise la brûle d'une blancheur trop vive elle tremble
pourtant d'effroi de solitude
de fièvre inassouvie aux échos de l'absence
qui empourpre ses voiles.

Elle ,
épouse le ciel cramoisie à son tour

Fusion de cendres vives .

Lui ,
d'un pas lourd
chargéde semelles de pierre
foule sans précaution
les reliefs d'un repas pourtant digne d'un prince

Lui
rassasié trop vite
indigne de ces fleurs
ces parfums de vie éblouissants de brise
d'un murmure d'étoile éprise du soleil
de ces épices roux
qui parfumaient les mains de vestale soumise
qui offraient des pagodes
enluminées de joie à sa langue impatiente

Lui,
ne sait pas encore le poids
du souvenir
aux gémissements rauques.


 



Rencontre

Dans la rue Madame sifflotait Monsieur
Dans la rue Monsieur
trottinait Madame
Madame glissa dans la rue Monsieur
La sirène hurla dans la rue Madame

Monsieur s'exclama : "pourquoi ce ramdam?"
"C' est un accident dans la rue Monsieur"
Répondit alors un affreux quidam
"Une dame meurt. Ce n'est rien Monsieur"

Monsieur s'engagea dans la rue Monsieur
Tout devint désert dans la rue Madame
Monsieur s'approcha très près de Madame
Quand elle sourit, regarda Monsieur

-"Vous êtes vivante oh !très chère dame
Vous m'avez fait peur : Un vilain monsieur
à peine lavé qui sentait l'Edam
M'a dit rue Monsieur se meurt une dame"

- "J'ai glissé Monsieur , j'allais rue Madame
Accompagnez moi s'il vous plaît Monsieur"
-"J'étais rue Madame répondit Monsieur
J'y retournerai pour voir vos beaux yeux."
 

 


Dès leur deuxième rencontre, elle avait été surprise par cette impression de re-connaissance. Il portait l'aura comme unique vêtement parce que rien d'autre de lui ne restait visible pour elle. Point n'était besoin de le séduire ou de se laisser séduire . La séduction existait . Elle en reconnaissait le parfum et la tiédeur. Appel de vie. Etait-ce d'une autre vie, d'un autre être qu'il tenait cet aimant incontournable ?

La crainte de l'effacement s'était installé tout de suite en elle. Pourtant la brume était accueillante. Elle s'y baignait avec délices. s'obligeait parfois à regagner les rives pour ne pas oublier qu'il y avait eu une autre vie avant qu'il faudrait aussi regagner plus tard.


Parfois elle se disait que l'écriture n'était peut-être qu'un prétexte de plus pour tisser interminablement avec l'autre la toile sur laquelle plus tard elle pourrait ou ils pourraient... quoi?


Pour retenir sa présence elle écrivait . Ils parlaient de leur relation . Etaient-ils réels? Les mots reconstruisaient tout. . Il tissait la trame de leur moire par la parole, lente, douce, Elle en créait la chaîne par l'écriture. Le tissu vivait , frémissait davantage à chacune de leurs rencontres. Elle ne désirait plus rien d'autre Il espérait . Il voulait la priorité de la création. Il donnait pour construire . Elle cimentait.

Comment ai-je vécu , pensé, parlé, écrit ,avant toi lui disait-elle parfois. Mais tu vivais sans racines, incomplète, autrement. lui disait-il.
Elle croyait avoir besoin des autres, pour l'atteindre, lui. Elle inventait des personnages A son étonnement la plupart du temps il refusait les autres. Leur nom même le séparait d'elle.


Elle qui avait si souvent gardé secrets ses mots avait soudain l'envie de les exposer, de les crier de jeter les feuilles noircies à tout vent. Elle les entendait frémir, murmurer, chanter même.


Elle connaissait à travers lui le désir d'écriture. Il devenait contact. A la fois présence et au delà. Envol et refuge.



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