Dès le premier poème du
recueil, un pacte paradoxal est lié avec l'existence : il
va falloir faire avec la réalité sans pour autant
renoncer au rêve. On luttera à l'aide du conditionnel
« Il y aurait des asphodèles sur tes sables et du
rire sur tout ton corps, tu bondirais
de joie... »
mais le principe de réalité qui
est observation réaliste « la grille
rouillée » est constat d'impuissance à
réaliser le projet de découvrir le monde ici et
maintenant comme le suggère la dérisoire question qui
clôt le poème liminaire:
« Mais
Où as-tu
Laissé ton seau ? ».
Première image de l'enfance dont le désir est plus grand
que la possibilité physique, psychique de le réaliser.
Le recueil se déploie en trois
parties : Descente ; Poésie d'en bas ;
Toucher terre.
La composition est recherche de
lumière. Il faut se frayer un chemin qui débouche sur la
lumière vaille que vaille. C'est un chemin humain,
philosophique, poétique qui traverse brouillard et doute,
expériences concrètes et interrogations nourries de
culture. Un questionnement d'ordre existentiel et métaphysique
taraude le poète, mais il se fait avec les mots de tous les
jours, grâce à des images limpides qui
révèlent un état d'esprit, une attente, une
promesse.
Le chaos des premiers pas dans l’existence
semble dû à la lumière blafarde, à la ville
minière, aux voies multiples qui fourvoient « D’erreur
en erreur de voie dans un fourvoiement cumulé »
l’enfant, voire l’adolescent se heurte à la « lourdeur »
de ce qui ne fait pas vraiment sens et le trompe. Il faudra en passer
par un vagabondage à travers les « Solitudes
portuaires », vains appels du large puisque tout
départ est devenu impossible dans ce « port
aujourd’hui sans mer, à mer interdite, ».
Une longue et lente litanie s’étire
sur plusieurs poèmes de « Descente »
comme si rien d’autre que le rien, la déréliction ne
pouvait naître dans ce paysage (physique et intellectuel)
désolé.
«Demeure
clôturé
Blotti dans l’inanité
Tout en bas ».
A peine quelques faibles lueurs de loin en
loin parviennent-elles à détourner de l’angoisse
« Quand l’espérance part en cendres, un jardinier
très loin allume un feu de fanes et de branchage »,
mais la renaissance du « phénix en flammes »
tarde à venir, ne vient qu’un peu plus tard dans la vie, quand
l’errance a permis qu’on accueille un jardin.
« Vers six heures du soir en
été
Face à la paix duquel le désespoir ne tient pas. »
C’est l’expérience des ailleurs qui
conduit insensiblement le poète à une vision plus
positive de l’existence où déjà perce la
lumière « Il y avait un autre monde et j’en
remerciai ».
Les ailleurs, le sourire de l’Ange, la Beauté : trois
instances grâce auxquelles l’élan vital, le désir
d’être renaissent « Un instant de merveille me
justifierait » (merveille de voir le Beau, merveille de
faire du beau).
« Poésie
d’en bas » serait la traversée des savoirs
qui nourrit et assèche tout à la fois.
La nourriture intellectuelle, passage obligé quand on recherche
(vainement) la vérité « Console quand la
vie se brise », mais l’ambivalence du verbal est
à l’œuvre puisque le mot est tantôt obstacle, tantôt
délivrance
« Et j’accroche mes ongles aux
strophes du poème
Comme aux branches du seul
arbrisseau du précipice »
créer est confrontation aride à
l’abîme, inconfort total, risque létal. Comment se
libérer de
« cette malle encombrante
occupant tout l’espace et prétendant
Contenir toutes choses… » ?
On peut tenter de le faire par
l’énumération éperdue qu’on trouve par exemple
dans « Chant des silences » dont le rythme
anaphorique et litanique calme les angoisses et esquisse des
états, des paysages, des émotions, des émois, des
prémisses de poèmes.
Cette manière se retrouvera d’ailleurs
dans « Toucher terre » avec le
poème « Adieu, totalité »
dans lequel Francis Candelier s’essaie à une entreprise
vouée à l’échec, celle de faire tenir en un
même espace poétique tous les possibles du monde, à
un instant précis. Il y aura alors poésie des noms
propres (à la manière de Marcel Proust),
poésie des anecdotes imaginées et une pointe de comique
et de dérision, suggérant bien le chemin parcouru par le
poète qui a pris du recul et peut enfin s’amuser et se
délivrer de l’obligation qu’il s’imposait...
« D’offrir à tous ces
égarés dans les intempéries de l’Histoire
l’hospitalité de la parole,
Pour que ne manque aux bergeries de la mémoire
aucune brebis du troupeau des réalités. »
Vers la fin du recueil, le poète
reprenant le modèle du Bateau ivre de Rimbaud dit:
« Je suis une péniche heureuse » et
se démarque de la poésie fin de siècle
tournée vers le tourment, l’obscurité, le nihilisme pour
plaider la lenteur, la paix, l’amour, dans une sorte de désir
christique qui essaime dans les mots et expressions choisis.
Ce qu’il aura appris, outre « Le
tremblement de flamme du désir », outre
l’observation modeste des choses, l’acceptation de la naissance et de
la mort, il aura appris:
« La transcendance, à condition
Qu’elle ait de la terre sur les ongles. »
Pour que la
lumière soit, percer le brouillard est moins utile que tel
l’Antée de la mythologie grecque, « Toucher
terre »,
signe qu’on a évité le naufrage et qu’on a retenu la
leçon de Candide de Voltaire « Il faut
cultiver son jardin. », ce qui inclut par ailleurs le
sens de l’humour et celui de l’humilité.