LECTURE  CHRONIQUE


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Regard sur l'écriture - Soleil et Cendres - Au coeur du cri... et plus

LECTURES -CHRONIQUES

 
 
Par l'argile et l'ortie

Francis Candelier

présenté par Dominique Zinenberg

Dès le premier poème du recueil, un pacte paradoxal est lié avec l'existence : il va falloir faire avec la réalité sans pour autant renoncer au rêve. On luttera à l'aide du conditionnel

« Il y aurait des asphodèles sur tes sables et du rire sur tout ton corps, tu bondirais
  de joie... »

mais le principe de réalité qui est observation réaliste « la grille rouillée » est constat d'impuissance à réaliser le projet de découvrir le monde ici et maintenant comme le suggère la dérisoire question qui clôt le poème liminaire:

« Mais
Où as-tu
Laissé ton seau ?
 ».

Première image de l'enfance dont le désir est plus grand que la possibilité physique, psychique de le réaliser.
 

Le recueil se déploie en trois parties : Descente ; Poésie d'en bas ; Toucher terre.

La composition est recherche de lumière. Il faut se frayer un chemin qui débouche sur la lumière vaille que vaille. C'est un chemin humain, philosophique, poétique qui traverse brouillard et doute, expériences concrètes et interrogations nourries de culture. Un questionnement d'ordre existentiel et métaphysique taraude le poète, mais il se fait avec les mots de tous les jours, grâce à des images limpides qui révèlent un état d'esprit, une attente, une promesse.

Le chaos des premiers pas dans l’existence semble dû à la lumière blafarde, à la ville minière, aux voies multiples qui fourvoient  « D’erreur en erreur de voie dans un fourvoiement cumulé »
l’enfant, voire l’adolescent se heurte à la « lourdeur » de ce qui ne fait pas vraiment sens et le trompe. Il faudra en passer par un vagabondage à travers les « Solitudes portuaires », vains appels du large puisque tout départ est devenu impossible dans ce « port aujourd’hui sans mer, à mer interdite, ».

Une longue et lente litanie s’étire sur plusieurs poèmes de « Descente »
comme si rien d’autre que le rien, la déréliction ne pouvait naître dans ce paysage (physique et intellectuel) désolé.

«Demeure
 clôturé
 Blotti dans l’inanité
Tout en bas
 ».

A peine quelques faibles lueurs de loin en loin parviennent-elles à détourner de l’angoisse
« Quand l’espérance part en cendres, un jardinier très loin allume un feu de fanes et de branchage », mais la renaissance du « phénix en flammes » tarde à venir, ne vient qu’un peu plus tard dans la vie, quand l’errance a permis qu’on accueille un jardin.

« Vers six heures du soir en été
Face à la paix duquel le désespoir ne tient pas.
 »

C’est l’expérience des ailleurs qui conduit insensiblement le poète à une vision plus positive de l’existence où déjà perce la lumière  « Il y avait un autre monde et j’en remerciai ».
Les ailleurs, le sourire de l’Ange, la Beauté : trois instances grâce auxquelles l’élan vital, le désir d’être renaissent « Un instant de merveille me justifierait » (merveille de voir le Beau, merveille de faire du beau).


« Poésie d’en bas » serait la traversée des savoirs qui nourrit et assèche tout à la fois.
La nourriture intellectuelle, passage obligé quand on recherche (vainement) la vérité « Console quand la vie se brise », mais l’ambivalence du verbal est à l’œuvre puisque le mot est tantôt obstacle, tantôt délivrance

« Et j’accroche mes ongles aux strophes du poème
Comme aux branches du seul
arbrisseau du précipice
 »

créer est confrontation aride à l’abîme, inconfort total, risque létal. Comment se libérer de
« cette malle encombrante
occupant tout l’espace et prétendant
Contenir toutes choses… »
 ?

On peut tenter de le faire par l’énumération éperdue qu’on trouve par exemple dans « Chant des silences » dont le rythme anaphorique et litanique calme les angoisses et esquisse des états, des paysages, des émotions, des émois, des prémisses de poèmes.

Cette manière se retrouvera d’ailleurs dans « Toucher terre » avec le poème « Adieu, totalité » dans lequel Francis Candelier s’essaie à une entreprise vouée à l’échec, celle de faire tenir en un même espace poétique tous les possibles du monde, à un instant précis. Il y aura alors poésie des noms propres (à la manière de Marcel Proust), poésie des anecdotes imaginées et une pointe de comique et de dérision, suggérant bien le chemin parcouru par le poète qui a pris du recul et peut enfin s’amuser et se délivrer de l’obligation qu’il s’imposait...

« D’offrir à tous ces égarés dans les intempéries de l’Histoire
l’hospitalité de la parole,

Pour que ne manque aux bergeries de la mémoire
aucune brebis du troupeau des réalités. 
»

Vers la fin du recueil, le poète reprenant le modèle du Bateau ivre de Rimbaud dit:
« Je suis une péniche heureuse » et se démarque de la poésie fin de siècle tournée vers le tourment, l’obscurité, le nihilisme pour plaider la lenteur, la paix, l’amour, dans une sorte de désir christique qui essaime dans les mots et expressions choisis.

Ce qu’il aura appris, outre « Le tremblement de flamme du désir », outre l’observation modeste des choses, l’acceptation de la naissance et de la mort, il aura appris:

« La transcendance, à condition
Qu’elle ait de la terre sur les ongles. »

Pour que la lumière soit, percer le brouillard est moins utile que tel l’Antée de la mythologie grecque, « Toucher terre », signe qu’on a évité le naufrage et qu’on a retenu la leçon de Candide de Voltaire « Il faut cultiver son jardin. », ce qui inclut par ailleurs le sens de l’humour et celui de l’humilité.                                                                                            

 
Par l'argile et l'ortie
Francis Candelier, Ed. du Cygne


présenté par Dominique Zinenberg
mai 2016


Créé le 1 mars 2002

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