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LECTURES -CHRONIQUES


 
 Loin de chez soi ?
Felip Costaglioli , L'Arrière-Pays 2015

présenté par Dominique Zinenberg

 Critique
de Loin de chez soi ? Felip Costaglioli, L'Arrière-Pays 2015.


  Le doute, l'incertitude se lisent dès le titre par le biais du point d'interrogation qui déconcerte d'emblée le lecteur. Il est rare en effet de ne pas savoir si l'on est ou non loin de chez soi. En exil, en exode, hors de soi, privé de soi, dans un éloignement qui bouscule et peut faire basculer dans l'inconfort sinon dans la folie ou l'angoisse.

  Si l'exergue de Nicolas Bouvier suggère que c'est à l'expérience du voyage qu'on doit le titre du recueil : celui de Joan Salvat Passasseit, de façon plus énigmatique semble dire que ce qui nous fonde « La maison de mes vœux », c'est-à-dire notre intimité, aucun lieu, aucun paysage, aucune exploration ne nous en éloigne. Le voyage, l'éloignement, n'éloignent de rien, renforcent même ce qui nous fonde et nous permet d'être soi.

  En seize poèmes qui chacun se déploie en plusieurs pages, formant séparément autant de poèmes et de lectures possibles, Felip Costaglioli  joue avec les mots et l'espace de la page, créant des gouffres de blancs entre chaque ensemble comme si ces béances permettaient de mieux entendre les échos, les circulations mystérieuses des mots les uns par rapport aux autres et de créer par ailleurs des univers secrets qui naissent de la forme même que prend le texte.

  Dans « L'amour des cataclysmes », poème liminaire qui s'étend sur sept pages, il y a autant d'éléments d'un cauchemar dont on n'a retenu que quelques bribes que la description disloquée d'un monde disloqué par un « cataclysme » : incendie ou tempête, mais tout aussi bien guerre, explosion, catastrophe écologique etc. Un monde lacéré d'objets et d'êtres mutilés, figés dans une position morbide d'après catastrophe. Qui parle et à qui ? Je et tu ne sont-ils pas le même divisés par le choc de la vision du désastre ? A l'humilité des détails de la vie matérielle et triviale (la chaussette, la casserole percée, une douce odeur d'urine) s'adjoint le questionnement existentiel du poète aspiré par le vide :  

            qu'ai-je compris des
            leçons du vent        sur les terrasses

            du vide ?

  Et que suggère la dernière interrogation du poète qui clôt ce premier ensemble ?

               ai-je compris peut-être

             […]

               que c'est


                           au fond des mers
           que se construisent les maisons des
           poètes.


  Les maisons des humains se volatilisent, l'impact du choc disloque le moi, mais la poésie se repaît d'abîmes et tourments, elle se construit « au fond des mers » « dans l'incendie et dans les tempêtes ». Dure leçon que celle qui confronte la création au désastre. Dure leçon qui semble redire après Maurice Blanchot qu'il n'est d'écriture que du désastre.

  Dans les poèmes qui suivent, l'angoisse est repoussée, retranchée ; les titres le suggèrent d'ailleurs : « En villégiature » s'étend sur quatre pages, mais pourrait former un sonnet, si la mise en page, en tableaux animés, ne déconstruisait pas cette forme classique, surannée. Quelque chose de presque enfantin  a lieu : couleurs tranchées (« jaune » « vert »), le double soleil dans le troisième vers, maladresse feinte, mais réelle présence nécessitant « mon chapeau » et une mystérieuse « faulx » (fautive comme une orthographe immature, rappelant « un champ » à faucher  et la blessure de l'astre ardent) alors que  le second quatrain n'est pas sans évoquer un enfant concentré penché sur sa feuille blanche et dessinant « j'ai sorti la langue humide timide/à peine d'un désir neuf » pour finir au deuxième tercet par la chute délicieuse « Tant nous surprend la langue/du désir qu'enfin l'amande/ s'ouvre. » Ces vers concentrent alors rappels de mots, jeu sur l'ambiguïté du mot « langue », éclosion de l'œuvre - « l'amande »
dans l'écho d' « une branche sèche d'amandier » que la force du « désir » a rendu possible.

  Dans les poèmes qui suivent donc, Felip Costaglioli infiltre le désir, des insouciances, des facéties sans que cesse pour autant des réflexions sur le rapport à soi, l'étape narcissique, son dépassement, son déguisement avec « À travers les miroirs » ; l'étape scolaire et familiale de
«Par la fenêtre (hymne de chaque jour) », où  court un texte à deux volets, fenêtres ouvertes sur un espace  familier évoquant le  rituel du quotidien.

Le poème suivant fixe une scène autre, concise, elliptique, grinçante aussi, c'est : « Dans le jardin de l'hôpital » où la « mort   belle petite syllabe » devient dans la strophe suivante « pastille soluble sous la/langue... » Ainsi s'égrènent des instantanés, des lieux, des expériences qui s'inscrivent en peu de mots, peu de vers sur la page presque blanche et dénudée où les mots ressemblent à des nuages rares sur l'immensité du ciel, d'impératifs nuages exigeant d'écrire parce que « C'est fou ce que les mots habillent nous / recousent les veines   rafraîchissent le sang. »

  Une des grandes audaces de Loin de chez soi ?  c'est la disposition des mots sur la page, la connivence du mot avec le vide, le silence, le retrait. C'est comme une construction architecturale expérimentale avec ses résonances, ses échos, sa lumière opaque, son jardin secret. Des jeux, certes, mais surtout des enjeux vitaux et mortels sans pathos mais sans cynisme, seulement un goût âcre de sang, de dérision, même si le bouquet final de « A rebours » (rappelant si peu Huysmans malgré son titre) répand sur seize pages aérées un air primesautier, presque allègre, comme si la vie avait repris ses droits et parsemait d'éclats de joie désormais le poème. « Tu vois  c'est fou/ ce que les mots habillent. »


(Loin de chez soi (Philippe Costaglioli
FNAC)


 Loin de chez soi ?
Felip Costaglioli , L'Arrière-Pays 2015


présenté par Dominique Zinenberg
avril 2016


Créé le 1 mars 2002

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