Il y a toujours un chien qui court sur une plage
de Jean-François Dubois
Suivi de
Pas à pas
de Paul Badin
par Michel d'Oste
Ce recueil "Il y a toujours un chien qui court sur une plage" n’est pas venu tout naturellement sur ma table de lecture.
Il m’a été soufflé par Paul Badin1, poète et directeur de la revue2 N4728, qui m’avait envoyé un long texte intitulé
"Pas à pas",
texte qui fait suite au recueil de J-F Dubois. Impressionné
alors par ce que j’ai lu, j’ai cherché à me procurer
ce recueil. Je vous le présente ici. Il est en grand format, papier bistre épais, gros caractères.
En fait, ce n’est pas un
recueil de poésie comme on l’entend traditionnellement. Sur la
couverture est indiqué, en petits caractères : « Extraits de carnets
» Carnet littéraire, carnet de pensées, de choses
vues, à la manière de Victor Hugo, peut-être ; mais
de la part d’un authentique poète, non d’un journaliste. Le ton
est donné, dès la première phrase :
«Jamais
cessé d'être cette sorte d'enfant :
émerveillé, candide, impondérable. Avec juste ce
qu’il faut de méfiance et de lucidité pour donner le
change aux autres, et à soi-même »
En une soixantaine de
pages à peine, Jean-François Dubois énumère
ses observations, ses moments de sagesse comme :
«Vivre
dans la peur, la prudence, l’épargne : économiser sa vie,
ne pas la dépenser. Parabole du mauvais serviteur de
soi-même.»
Un mot sur l’auteur :
Peu de choses sont
indiquées sur le Net à son sujet. Il est seulement
précisé que Jean-François Dubois est né
à Chateaubriand en 1950 et qu’il a déjà
publié plus d'une douzaine de recueils de vers et de prose
poétique.
Avec le recueil, «Il y a toujours un chien qui court sur une plage», il nous livre quelques extraits de ses carnets personnels.
Pour mieux faire connaissance avec lui et avec son ouvrage, voici quelques morceaux choisis :
* Elle vient d'arriver, tout feu, tout dévouement, dans le dispensaire de la brousse.
« Tu es prête ? Ca va aller ? Il y en a cent cinquante à voir ce matin.» Le visage d'un gosse décharné qu'on fait boire
dans un bidon, et dont le regard immense et fiévreux se
lève sur vous, plein de reconnaissance, ou
d'incompréhension, ou de vide.
* Debout vers six
heures, dans un petit matin encore noir de la fin octobre, comme il y a
une cinquantaine d'années. Un anniversaire de plus, et combien
encore... Tout est à peu près égal. Bien sûr
le corps a vieilli, ses fonctions se ralentissent peu à peu, les
voyants d'alarme s'allument par intermittence, mais au plus secret
c'est toujours le même fragile et puéril édifice
traversé par les vents du monde, le même tremblement
anxieux de l'orée des choses et des êtres.
Certains de ses aphorismes sont de la trempe des haïkus, comme celui-ci :
«Dans un angle extérieur de la fenêtre de cuisine,
dans un coin minuscule de l’univers,
une araignée tisse sa toile.»
Je ressens ce livre
comme une révélation, ou encore comme une confirmation du
rôle du poète, toujours à l’affut de ce qui se
passe autour de lui, avec ses yeux à lui, sa sensibilité,
son acuité intellectuelle, c’est tout cela que nous montre
l’auteur.
Pas à pas
Le travail de Paul Badin
est énorme et saisissant. En 161 paragraphes qui sont comme
autant d’aphorismes, l’auteur prolonge le recueil de J-F Dubois et le
précise dès l’entrée de l’ouvrage : Il nomme son
texte : Conversation souterraine avec Jean-François Dubois. Un
avis au lecteur explicite le propos : Ce texte n’existe pas par
lui-même. Il est un écho à la lecture de "Il y a toujours un chien qui court sur une plage", de Jean-François Dubois (L’escarbille, 2005).
Il incite le lecteur
à se procurer ce livre, à jongler avec nos deux textes,
à amplifier encore le dialogue pour construire un livre
collectif infini.
Je voudrais inciter nos
lecteurs à découvrir la pensée de Paul Badin. Je
vais me permettre de vous proposer un choix de ses aphorismes,
remarques ou choses vues :
1. Se placer sous le
signe de l’enfance, autant qu’on le peut encore : fraîcheur,
fragilité, révolte, éclairs… D’emblée,
viser la recherche personnelle de quelque chose de fort en soi, avec le
moins de je possible : ça pourrait bien concerner tout un
chacun, ce qui suit, sans vouloir jouer son petit Montaigne.
9. Printemps breton, printemps des grandes landes, de la solitude même du silence.
10. Le proche et le
lointain honorés dans le toilettage de la terre. Beauté
de ce travail. Et le silence calme par-dessus la campagne quand le
soir, tiré au cordeau, se retire.
23. Le grand combat :
extirper de l’homme ce grand malheur, sa faculté d’être
libre, différent, imprévisible… Les pires mises au pas
sont encore à venir. Voyez déjà l’internet…
24. Ce n’est pas aux
choses de changer. C’est à notre regard de rester neuf,
fidèle à la vibration de l’instant…
60. Les plus terribles frontières sont celles qui cicatrisent et déchirent le cœur de l’homme.
64. Sur la toile de Renoir, les coquelicots chantent au point de faire saigner le ciel.
65. À peine
jetés dans le monde, nous courons vers la tombe. En
général, plus nous nous en apercevons, plus nous
ralentissons l’allure.
74. Le 23 février
1988, il faisait grand soleil sur le petit cimetière de l’Isle
sur la Sorgue où René Char entrait dans le silence de la
terre. Pas de cigale ni de moineaux pépieurs. Juste un
sifflement aigu, prolongé, à déchirer le jour.
Sûrement un loriot qui se souvenait…
96. Quand tout est
détruit, mets-toi en quête de la beauté, dit un
proverbe ouzbek. A-t-on jamais rien lu d’aussi magnifique?
130. Tout vrai souvenir est baigné de larmes.
131. Avant de vouloir changer le monde, change d’abord le monde en toi.
152. On n’écrit jamais qu’une seule chose avec plus ou moins de bonheur : la lente conquête de soi-même.
On voit là
l’éclectisme de l’auteur, la profondeur et l’universalité
de sa pensée. Il a une manière toute personnelle de
détecter la plus petite fibre poétique à-travers
les images de la vie courante. Paul Badin est un homme de lettres
confirmé qui attire mon admiration.
Le grand intérêt de ce texte est qu’il est une sorte de dialogue en parfaite harmonie avec le texte de J-F Dubois.
Paul Badin l’explique bien : « après
avoir "parcouru" la première page, qui m'avait accroché,
j'avais repris son fragment après fragment en un
véritable dialogue papier puisque, à chaque fois, je
rajoutais mes écrits...»
Signalons que plusieurs extraits de Pas à pas sont en ligne sur le site Brides en ligne
et plus directement au Rendez-vous des amis.
Commentaire de Rémy Durand en septembre 2009 :
«Il y a chez Paul Badin, dans ces Pas à pas
qui dévoilent leurs secrets à mesure de la marche, le
nécessaire silence que mérite sa parole. Il faut savoir
écouter et prendre le temps des échos.»
Pour finir, je voudrais
vous dire ce que je retire d’essentiel – au-delà de la
qualité des textes proposés – c’est que ces deux auteurs
nous tracent une route que chacun d’entre nous devrait emprunter, je
veux dire qu’au fil des jours, nos pensées, nos remarques, nos
regard sur les choses et les gens devraient trouver, sur le papier, un
refuge.
Appelons cela Carnet,
Journal, peu importe, l’essentiel est de les écrire, comme
un millefeuilles superposé pour finir par faire un ouvrage
intéressant à plus d’un titre. Qu’en pensez-vous, mes
amis ?
Michel d’Oste
***
Vous retrouverez les livres de Jean-François Dubois à la FNAC
et la liste sur Wikipédia
1. Paul Badin, auteur publié sur le site de Francopolis
et dans l'Anthologie Francopolis 2008-2009 -Ruines-
2. Revue N4728, qu'on peut commander: Paul Badin - 6 quai du
port Boulet - 49080 Bouchemaine
Le site Terre à ciel, vous en apprendra un peu plus sur Paul Badin
ainsi que le site Arabesques - interview Paul Badin -
Les éditions L'Escarbille:
L'Escarbille est une maison d'édition associative; créée en 1998, qui publie des
premiers romans à comte d'éditeur. Deux fois par an, elle assure la
publication et la diffusion de fictions contemporaines, ainsi que la promotion
des auteurs et de leur oeuvre.
Son comité de lecture est compoés de cinq
passionnés de littérature qui cherchent à faire vivre des récits qui n'auraient
pas vu le jour autrement.
Source éditeur
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Un léger passage à vide
Francopolis avril 2010
par Michel d'Oste
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