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Regard sur l'écriture - Soleil et Cendres - Au coeur du cri... et plus

LECTURES -CHRONIQUES

Le peintre d’éventail

Hubert Haddad



présenté par
Dominique Zinenberg


Transmettre, même de façon discontinue, mais transmettre. Restaurer ce qui a été abîmé, délavé, détruit. Retrouver les traces. La passation des savoirs est à la fois énergie et mélancolie. On s'exile par manque et mélancolie, on apprend à partir de cette tristesse, dans un acte d'abandon à ce qui vient, à ce qui est. Le sens d'une vie est un fil ténu, presque imperceptible, une soie toutefois solide, inusable. La beauté fugitive est pourtant une recherche ancestrale constante, un fil qui se dévide sans fin (un peu comme le moulin de sel du mythe chinois qui continue d'alimenter la mer et les océans), ce fil de beauté (et de savoir) ne peut être interrompu par rien, pas même par le séisme de Kobé, ni par celui plus récent de Fukushima.

De douleur en douleur, d'état dépressif en état dépressif, des hommes solitaires échouent dans ce lieu perdu du Japon, dans la contrée d'Atôra et semblent en s'y installant laisser derrière eux les rumeurs et fureurs de la civilisation contemporaine et ne vivre plus que de façon intemporelle au milieu de jardins, dans le calme apparent d'humbles besognes et parmi quelques personnages fantasques comme tirés d'estampes lointaines et animées (c'est-à-dire véridiques) et ces hommes , dans cet espace à l'écart cicatrisent leurs blessures et s'ouvrent à d'autres passions, tout aussi étonnantes.

Le jardin est un art, peindre des éventails aussi : un savoir-faire préside à l'une comme à l'autre activité. Cela exige patience, minutie, éveil à la nature, apprentissage discret, sans heurt et quasi mutique. Tout est étroitement lié : les lois naturelles, la calligraphie, le dessin, le regard, la précision du geste, l'ouverture à l'autre et à soi.

Mais peindre c'est aussi écrire : à chaque éventail son haïku

Ni tourment ni deuil
sur les roses du jardin
dispersez mes cendres


Et soudain, c'est comme une déchirure dans la page même, un choc de lecture, l'avènement du désastre de Fukushima. Les morts, la disparition du jardin, des éventails – oeuvre de toute une vie et d'ancestrales connaissances anéanties en un instant. Matabéi, le peintre d'éventail est un des seuls survivants : il erre, vieux, malade, égaré, désorienté dans ce lieu sinistré, irradié, encombré de détritus et de morts. Son disciple, qui était parti loin de lui par dépit, voit par hasard une photo de son maître dans un magazine « On y voyait mon vieux maître, tête nue, dans un triste état d'abandon physique et moral. Après le séisme du onze mars et ses suites dramatiques... » . C'est lui, on l'aura compris, le narrateur de l'histoire, mais bien plus que narrateur il est celui grâce auquel la continuité artistique se prolongera, c'est par lui que la transmission du savoir se perpétuera. « Mon seul rôle, dans toute cette histoire, consiste à transmettre aux amateurs ces trésors irradiés – que leur auteur s'appelle Osaki Tanako ou Matabei Reien. La vie est un chemin de rosée dont la mémoire se perd, comme un rêve de jardin. Mais le jardin renaîtra, un matin de printemps, c'est bien la seule chose qui importe. Il s'épanouira dans une palpitation insensée d'éventails. »

Nous l'aurons compris, ce récit est poésie mais il est aussi cri d'horreur et de détresse pour Fukushima dévasté. Long poème de magicien qui traduit sa compassion en s'immergeant totalement dans la culture nippone et nous offre, ce faisant, un texte magnétique.

Prendre son envol -
à l'heure des migrations
peindre une plume




Le peintre d’éventail,
Hubert Haddad (Zulma 2013, Folio, 2014)




Hubert Haddad,
Le peintre éventail
présenté par Dominique Zinenberg
Francopolis septembre 2014


  

Créé le 1 mars 2002

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