LECTURE  CHRONIQUE


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Regard sur l'écriture - Soleil et Cendres - Au coeur du cri... et plus

GAËLLE JOSSE

Nos vies désaccordées, éd. Autrement, 2012



Gaëlle Josse, journaliste et psychologue, a publié des poèmes dans de nombreuses revues et des recueils de poésie1 , avant de faire paraître un premier roman, Les heures silencieuses, ed.Autrement 2011, salué par la presse, coup de cœur des libraires et des lecteurs. La narratrice se met dans la peau d’une femme du XVIIe siècle, dont elle invente la biographie et le journal intime à partir du personnage inconnu qu’on voit de dos dans le tableau Intérieur avec une femme jouant du virginal d’Emmanuel de Witte (1665-1670, musée Rotterdam) : Magdalena, issue d’une famille de riches armateurs, épouse de Pieter van Beyeren, administrateur de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales...
Une reconstitution toute en finesse et discrétion de la vie intérieure de cette femme inventée et pourtant réelle, puisque quel qu’en ait été le nom, le modèle du peintre a bien existé : jeu subtil avec l’idée de l’art-miroir, de l’art-mirage, de la double face de la « réalité » ; car le tableau, qui figure sur la couverture, semble se « retourner » pour nous laisser pénétrer dans son envers.




Dans son deuxième roman, Nos vies désaccordées, ed. Autrement, mars 2012, Gaëlle Josse joue sur un autre registre : la voix d’homme cette fois, qu’elle emprunte avec une parfaite maîtrise, en nous rappelant ainsi que l’auteur de romans, c’est avant tout un acteur de composition. C’est la voix d’un personnage de notre temps, un pianiste de renom, amené, par le biais d’une découverte inattendue, à une auto-confrontation sans merci avec soi-même : une histoire d’amour lâchement enfouie, qui tout en refaisant surface, change le cours de sa vie, ôte son masque de personnage public, le ramène à l’authenticité de son être. Fable morale sans doute, peut-être un peu trop appuyée ; mais quel justesse de ton, quelle précision dans le dosage des effets, quelle belle inspiration dans la composition des personnages secondaires, quelle qualité de style ! Prédominance du visuel dans le premier roman, du musical, tant par le thème explicite que par l’écriture, dans ce deuxième ; mélomane passionnée2 , l’auteur nous fait vivre la relation tragique de ses personnages – toujours un dialogue des arts, puisque la femme, c’est une artiste-peintre – en nous plongeant dans un bain d’écoute schumanienne, avec l’histoire de Robert et de Clara en tâche de fond, comme une référence archétypale.

C’est pourquoi les interludes « poétiques » en fin des chapitres, loin d’interrompre maladroitement le fil narratif, comme certains lecteurs ont pu le ressentir, ont à mon sens la vocation, réussie, de relever au contraire le goût du récit, de mettre en valeur l’histoire vécue, car il n’y a de vécu qu’intérieur : ce ne sont pas de commentaires, ce sont des coups d’écoute pure dans la caisse de résonnance de l’instrument que constitue le roman lui-même.
 
Puisqu’on peut difficilement citer des passages d’un roman, sans en dévoiler le récit (ce que je n’aime pas faire, car l’intérêt d’une chronique c’est justement d’inciter à aller le découvrir, en achetant le livre), je reproduis volontiers un de ces segments musicaux, qui s’entrelacent subtilement avec les éléments narratifs :

« Possède-t-il une autre passion que la recherche sans fin des équilibres imperceptibles et mouvants, du moment juste et plein, de la parcelle de perfection approchée, de la phrase qui s’accorde à l’âme, de cet instant fugitif où naît l’assentiment intime, insaisissable et réel ?

Il joue, loin des tentations de l’abondance et de tiédeur, loin de ce qui encombre le geste.

Ce qui le tient éveillé, c’est de sculpter la douceur, la compassion et la fièvre, la légèreté, la force et les larmes ; c’est d’ouvrir une fenêtre dans le mur aveugle des jours pour accueillir le feu, sans demeure autre que le clavier. L’alternance du noir et du blanc contient le monde.

La grâce échappe au vouloir, dans l’instant impalpable entre soi et ce qu’on ne peut nommer.

À l’instinct, il a ajouté la maîtrise. À l’éblouissement sonore, il rappelle la règle ; à la fulgurance de l’élan, il offre les colonnes du temple. Répondre à quelque chose qui exige, jusqu’à l’ultime résonnance.

Un jour, la note juste. »  


Le poétique peut avoir sa place dans un roman ; le but même de la littérature, comme des arts en général, étant de ramener à l’harmonie les désaccords, coupables ou fortuits, de nos vies.

Dana Shishmanian


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1. L’empreinte et le cercle, Encres blanches, 2005 ; Signes de passage, Hélices, 2007 ;
Tambours frappés à mains nues, prix d'édition poétique Ville de Dijon, 2009.

2. Son blog, à explorer avec bonheur, en témoigne.

    

 Gaëlle Josse
présentée
par Dana Shishmanian
Francopolis juin 2012

Créé le 1 mars 2002

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