La vague qui vient mourir
sur ta tombe
fracasse le bateau
rouge
de mon enfance.
Les hurlements
des matelots de la mort
viennent m'arracher
à la quiétude
d'une sieste d'après-midi
pour m'exposer ton visage
meurtri par les derniers mois
d'une lutte de corsaire
qui ne veut pas se
rendre !
Tu t'es battu avec les démons
assoiffés de ton sang
et ceux plus cruels
qui voulaient t'ôter
la raison
et t'amener sur les terres arides
de la folie suicidaire.
Seul le parfum d'une rose jaune
solitaire...
dans un vase en forme
de grosse olive
t'apportait, magnifique,
la force d'un éveil impérieux
qui tenait en respect
les mauvais génies
et leurs macabres conseils !
J'avais cueilli la rose jaune
pour toi
dans le secret du jardin
de mon enfance.
***
Les cris
des mouettes
sur les embruns de mes six ans
réveillent les mots de pierre
jetés avec fureur
dans les pièces de ta colère
quand tu cherchais sans la trouver
la porte
qui t'aurait ouvert la bénédiction
des mots-fleurs
qui apaisent l'âme.
Tu te heurtais aux coups
des mots-couperets
indécents !
Et tu t'enfuyais dans les chambres
de ta solitude
pour ne plus blesser l'oiseau
innocent
qui persistait dans sa cage de verre
à louer la venue de l'aube.
Les cris des mouettes
sur les embruns de mes six ans
allument les feux du soir
sur ta tombe.
***
Les
lumières tamisées de l'hôpital
sur ton visage
de guerrier vaincu
faisaient naître d'étranges fantômes
qui souvent venaient te visiter.
Ce chat noir
que tu caressais sans cesse
sur un drap livide.
Cette cuisinière à charbon
où tu me demandais de faire cuire
le rôti du dimanche.
Tu voulais doser le poivre
et les herbes provençales.
Je jouais avec les fils du destin
te rejoignant
dans le mitard de ta douleur,
te souriant dans le mensonge exquis
de te plaire
et de satisfaire les oiseaux
de ta mémoire
qui s'invitaient à un festin
qu'eux seuls pouvaient goûter.
Extinction brutale des lumières
de l'hôpital
sur ton visage de guerrier
vaincu !
***
Dans l'un de
ces répits
des emprisonnements de
l'hôpital,
un soir de quartier libre
avec la mort...
tu n'as pas voulu venir avec
moi
rue des Tamaris
manger dans une guinguette
à trois sous...
la pizza italienne
arrosée du Chianti
qui annonçait la
griserie des clients
et leurs éclats de
rire !
Tu étais aux prises
avec les démons du
désespoir
et aussi ceux de la finitude
qui te contaient de
funestes histoires.
Je suis partie seule à
la guinguette
pour échapper à
leur emprise
et célébrer la
vie.
***
Enlacements
perpétuels d'hier et d'aujourd'hui !
Au plus loin de mes souvenirs :
des pierres !
Les pierres que tu me jetais
en plein visage !
Les pierres de ta colère
aveugle
qui écorchaient ma bouche, mon esprit,
et me forçaient à me réfugier
dans le domaine imprévisible
des songes.
J'étais interdite de parole
vraie !
Je devenais reine d'un royaume
imaginaire...
où tu n'avais pas accès.
Au plus loin de mes souvenirs :
les pierres de ta colère !
Tu acceptes l'eau fraîche
sur ton front.
Un peu de citronnade sucrée
sur tes lèvres asséchées.
Des larmes dans tes yeux.
Une tristesse indéfinissable
sur ton visage.
***
Harassantes visites
à l'hôpital-prison
où tu m'attends
tel le prisonnier de Droit Commun
les jours de parloir !
Nous marchons un peu
dans ces couloirs de craie
où chaque respiration, chaque pas,
assassinent les forces vives
qui te restent.
Tu demandes la halte
sur le petit banc...
Dans un coin retiré
du bruit des visiteurs,
des cliquetis perpétuels d'instruments divers,
des sonneries métalliques.
Tu me regardes longuement.
Tes yeux m'interrogent.
Tu ne formules aucune question.
***
Va et vient
perpétuel du passé et du présent !
Roulis des vagues de haute marée
dans les méandres des rochers
de la mémoire.
Je rentre de l'école
et j'ai une mauvaise note
en mathématiques.
Le cahier vole dans la pièce !
La mer gronde !
Les vagues déferlent
et me mettent à terre !
Retour à l'hôpital
où tu me demandes
un peu de crème aux fruits rouges.
Calme retrouvé.
Mer d'azur.
Sur ton lit
tu es tout petit comme un enfant.
Fragile.
***
Tu as édifié
une forteresse de silence
au milieu de notre maison
quand les tam-tam de la nuit
exténués
se taisaient enfin !
Une forteresse haute
comme un monument de funérailles
anticipées.
Comme une mort-fantôme
agrippée aux rideaux
et nous serrant derrière la nuque
jusqu'à vouloir nous étrangler
vives !
A l'hôpital
tu bois l'eau du vase
où la rose jaune
vient d'expirer !
***
Isabelle Jullian est
née en 1954. Elle a publié dans de nombreuses revues.
Elle est membre de
l’association
« La voix des mots » animée par
Yves-Jacques Bouin.