LECTURE  CHRONIQUE


Revues papiers,
revues électroniques,
critiques et coup de coeur du livre.


ACCUEIL

________________________________________________________


ARCHIVES:  LECTURE CHRONIQUE

La joie, pourtant  - Il y a toujours un chien qui court sur une plage - les poèmes de Ziani ... et plus


Regard sur l'écriture de Claire Lejeune



par

Philippe Vallet

Écrire

Qui écrit ? Ma main, la tienne dans la mienne, les lignes tracées sur le cahier tu m’invites au chemin ?

Qu’elle est cette énergie qui pousse dans mon sang mes traces ? Qui déchiffre ? D’où vient-elle ? De mes engagements, de mes prisons, de mes expériences, de mes vérités ?  De mes vies, de mes disparitions successives ? De mes amours d’êtres ? De mes falaises franchies ? Tomber ? Où est le lien qui me garde debout face à la mer acceptant la solitude autant que ta présence. Tempêtes sinueuses de nos nuits calfeutrées, hommes, femmes, hivernant sur nos poussières.

Il me semble parfois toucher ce présent de l’écriture, cet instant qui fragmente ce qui me paraît ma vérité. À cet instant dans l’éclat de conscience qui me fait penser, dire, vivre, être là, et comprendre les mots, la main a posé ces mots, la pensée les empreintes.

Certitude de vivre ce que les mots considèrent à cet instant, d’une voix distanciée surgie de la lecture, de cette seconde, de la compréhension, abrupte, vraie, instantanée de ce que dit cette langue, sur cette page, dans ce livre posé, dans ma main.

Claire

je suis là, debout dans la boutique de livres soldés,  Namur,
un livre mémoire de rien dans la main,
je ne connais pas
je ne sais pas encore comment elle s’appelle
Claire Lejeune elle parle d’elle

mais les mots …. savent discuter en son absence

j’ouvre au hasard...   page 85


« Au terme d’une vertigineuse pensée. Comment dire qu’on fut tout et rien ensemble, qu’on fut et qu’on ne fut personne, feu et cendre ? Qu’on fut dieu en même temps que bête crevée de chagrin ?

Cela ne pourra jamais être dit.

La parole jamais ne sera digne de porter le silence où je fus faite femme. Je me nourris de cette mort.
C’est elle qui règne et qui se dit par moi, par l’air par l’eau, au nom du feu et de la cendre. La mort se vit. La présence est son triomphe

Dire. Proférer. Profaner. Obéir à l’ordre de dire, contre tout et contre tous et cependant pour tous.

L’aveu comme un petit enfant transi qui ferait s’écrouler en naissant toutes les murailles du monde.

Il suffit de se déshabiller de toutes les peurs. Sous leurs yeux, sous la pointe de leurs épées. Ce sont leurs yeux qui s’éteindront, leurs épées qui trembleront sous la lumineuse nudité de la cible.


Sans réfléchir, seulement accepter ce qui se passe en dedans, cette impression de frémir avec les mots, de les sentir, de les respirer, de vibrer, d’être avec ce battement surgi de la page de ses mots de la page des mots d’elle, Claire

et je tourne les suivantes.

…….

je prends je surprends des éclats des lanternes des assombrissements des actualités

Le poème en colimaçon monte à la tour du silence. On y entre à genoux.

Je porte le déluge. Je suis le nuage lourd. S’il crève je cesse d’exister.

Venir à bout de tant de floraison. Je sais où je m’en vais par ce chemin de chair et d’os !

Va chercher derrière les fagots le dernier souvenir, nous le viderons ensemble. Et crains de laisser s’échapper un seul grain de poussière. Il nous faut tout le poids du temps.

 j’ai soif et rien que la mer à boire !

 l’amour n’a plus de bras, plus de cou, plus de sexe, plus de souffle : il s’est consumé dans sa perfection.

………………….

et puis je me demande si je vais m’égarer dans cette écriture, dans laquelle je me trouve,
dans laquelle je suis, où je devine réponses à mes questions, rumeurs, traductions. Où je saisis échos à mon passé, à mes expériences, à ma vie…

Je tourne la page comme je fais en atelier d’écriture, je ne cherche pas, je laisse venir à moi ce qui me concerne, je pioche dans un réservoir inépuisable, à la source même de ce que je suis, de ce qui fait que je suis là, j’attends un rendez-vous. Belgique Namur 2009. Temps froid. Soleil de nuages capricieux. Gouttes de neige sur le haut des grands sapins.

page 98

………..

Je mourais : je n’étais plus rien que cette évidence-là ! Je courus devant un miroir : je n’y vis qu’une explosion de lumière. Je n’avais plus de visage ! Je n’existais donc plus ?

…………

Je suis l’eau si je suis la soif, clarté si je ne suis ténèbres. De tout mon être j’aspire à ne pas être. Le mystère se joue dans le triangle et meurt dans le point.
Entre deux vertiges : celui des cimes et celui des abîmes. Quand l’un semble vouloir m’emporter, l’autre multiplie sa force d’aspiration…..


et là je lis ce que je sais, c’est de notre choix de vivre ou de mourir et il est possible de mourir pour se prouver d’être vivant.

L’écriture franchirait ce pas-là, permettrait de le dire, de transmettre, d’exhorter à respirer sa langue pour continuer à être vivant, présent de l’urgent, à dire, à écrire, à donner à lire.

Si dans ma vie comprendre à du sens, se prendre avec soi est le geste d’accueil de tous les possibles qui nous inventent.

Je suis cet amour intense d’être et je me  donne les moyens d’interroger, de soumettre  mes gestes à l’observation croisée de mon écriture.  Je me rends disponible, j’écoute le dedans.

J’écris et chaque mot vient agiter le satiné de ma conscience, le miroir devient un instant translucide.
Dans l’acceptation  des énergies qui naissent, mes commentaires sont presque opaques

Je vous invite à feuilleter et  découvrir

Claire Lejeune

 

………

l’idéal se nourrit d’absence.

J’ai l’âme nègre sous ma couche de neige… Ce doit être signe de vie si mon Afrique se met à chanter !

Nous ne faisons pas la poésie. Elle nous fait de nous défaire….

Aimer c’est être unique, semblable et autre

Je ne sais pas pourquoi s’écrit en ce moment ma vie à l’infinitif…

Si je savais, je cesserais d’être vraie

 « être c’est écrire »

……….

Claire Lejeune
extraits mélangés pour l’objet de ce texte de :

La gangue et le feu, Bruxelles, Phantomas, 1963.
La geste, Paris, José Corti, 1966

 

Quelques Liens

Biographie et bibliographie
Claire Lejeune est née à Havré, en Hainaut, le 5 octobre 1926.

Claire Lejeune a reçu le Prix Canada-Communauté Française de Belgique de Littérature 1984 pour l'ensemble de son oeuvre. Elle est d'ailleurs beaucoup mieux connue au Canada que chez nous.

Membre belge littéraire (1997-2008)
Le colloque «La femme et l'écriture», (Les Laurentides), est le déclencheur...

Analyse universitaire (même si j’ai du mal à entrer dans ce type d’écrits.)
Claire Lejeune (1926- 2008) est l’une des écrivaines les plus importantes et les plus
méconnues du panorama littéraire belge actuel.

LE(S) FIL(S) D’UNE SAGA D’ESSAIS INFINIS : CLAIRE LEJEUNE, PHILOSOPHE TISSERANDE
L’esthétique et la thématique des oeuvres de Claire Lejeune créent l’effet d’une écriture de grande complexité, cryptique et fascinante.


Depuis 1975, Claire Lejeune établit des liens privilégiés avec le Québec. Elle donne des ateliers d'écriture à l'Université du Québec à Montréal en 1977 et en 1978.

Le premier texte de L'atelier évoque la mise en jeu des ateliers d'écriture. J'aime à penser que la découverte de ses Amériques a permis le déploiement de l'esprit d'atelier contre l'esprit de chapelle.

Extrait de la préface de France Théoret

Du même auteur chez Ville-Marie Littérature

LIVRE DE LA SOEUR -LE, Les Éditions de l'Hexagone, 1992

L'atelier, Typo, 1992

AGE POETIQUE AGE POLITIQUE -L', Les Éditions de l'Hexagone, 1991

 

 
Claire Lejeune par Philippe Vallet
 
francopolis décembre 2010

Créé le 1 mars 2002

A visionner avec Internet Explorer