Confidences d’automne
de
Mohamed
Loakira

Un poème-récit qui nous met sur la voie des sept stations spirituelles ou sensuelles
d’un poète et écrivain transgresseur.
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Mohamed
Loakira est né en 1945 à Marrakech. Poète et écrivain, il est membre de groupes
et collectifs culturels, s'intéresse et écrit sur les arts plastiques au Maroc.
Il a assumé dans l'administration marocaine plusieurs responsabilités,
notamment la direction des arts au ministère de la Culture.
Il est lauréat du Prix Grand Atlas, poésie, 1995 et du Prix Grand Atlas, roman,
2010.
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Après la trilogie comprenant ″L’esplanade des saints & Cie″, ″A corps perdu″ et ″L’inavouable″
(Prix Grand-Atlas, 2010), Mohamed Loakira revient à demeure et
renoue avec ses premières amours, à savoir le
poème-récit. Mais un retour caractérisé par
l’aller-jusqu’au-bout de la transgression et la remise en question de
l’écriture bien installée dans les clichés et le
verbeux.
″Confidences d’automne″ est un texte presque testamentaire d’un
JE qui raconte (ou se raconte) le vécu d’une mémoire, le
reste ordinaire à brûler par les deux bouts et le
départ proche d’un viveur invétéré, bien
attaché à la vie (même de merde). Il
quémande ″une durée additionnelle pour jouir encore de la
grâce conférée et se sentir en sursis parmi les
baladins″, avant de prendre la tangente sur la pointe des pieds.
Au-delà du temps et de l’espace, ce JE, "au carrefour de
l’adieu", dialogue avec celui qui fut lui-même, interpelle les
pronoms (tu, il, elle, nous) et marque des rebondissements, tant en
arrière qu’en avant, "jusqu’à cogner de front
l’insupportable véracité".
Il s’arrêtera sur "les berceuses prénatales", le sein
partagé avec des demi-frères et des demi-sœurs, les
amours aussi immatures que véhémentes, les claques et
autres revers.
Il rappellera l’effervescence des "années de feu, de sang, des
joies des mains s’ouvrant larges" pour contester, afficher ses
revendications "verbe à l’impératif sur écran en
carton" et remettre tout et rien en question.
Il insistera sur l’origine et la nature de cette hargne : "non caprices
de jeunesse, mais certitudes premières" puisque "on n’est que
trop sérieux quand on a vingt ans".
M. Loakira pousse cette conversation intérieure au point
de vivre la mort, une mort imprévisible, sentir les mains des
laveurs lors des "ultimes ablutions" et s’inventer les souvenirs de "la
parenthèse tombale", aussi bien au paradis qu’en enfer.
C’est un tourbillon où s’emboîtent l’acquis, le
supposé et le rêvé, l’agonie, le deuil et la
re-naissance, la déchirure, les regrets et l’attachement
à cette vie qui semble "n’être rien d’autre que sa propre
fuite".
M. Loakira semble être à la limite de ses derniers
retranchements et, de ce fait, il défonce portes et
fenêtres, entretient une conversation intérieure qui,
souvent, s’horripile d’elle-même, relate le familier et le
refoulé, le possible et le fantasmé. Il mélange
les genres et brouille les frontières entre le poétique
et le narratif et joue de la ponctuation à la recherche
d’un surcroît de sens, notamment les parenthèses et les
caractères en italique. Ces procédés se veulent
rupture ou questionnement à l’intérieur du contexte et
visent à atténuer les envolées lyriques, la langue
de bois et la vérité admise par ouï-dire ; aussi,
suggèrent-ils le timbre d’une voix en proie aux doutes et
à l’éclatement, vers l’oubli évident.
***
EXTRAITS
La pénombre déforme la visibilité des rêves,
du silence, des objets et angles de mon cagibi. Elle rend la solitude
fréquentable, parfois tronc de si peu ballotté par la
rapidité du courant.
Je me prélasse à l’entour des coudes et du col du fémur.
Le déjà-rêvé-enduré-refoulé en regard des paupières.
Puis la couverture en laine écrue glisse, découvre mon
flanc droit, en tête à tête avec la table de nuit
(sans livre de chevet) où trône un portrait vieillot,
jauni par trop de poussière, arborant un sourire forcé et
ridicule.
Un frisson me traverse. Il secoue les oublis, me rassure que le corps (cru fichu) réagit, que le cœur s’emballe, saigne, revit attentes, noises et joies des retrouvailles.
(Fou de mes folies. Je me mens à longueur du reste ordinaire).
Je
déboutonne ma nudité, indécis, m’arrête un
instant, reprends, fais joujou avec mon doigt surnuméraire qui
seul
se préserve de la couillonnade.
Intrusive, l’ombre, m’est-elle réapparue
Entre l’allusion et le foutoir
A mi-chemin du regard neuf et de la défiance.
(Hello !
Ai-je cru t’entendre me héler).
M’accrochant
à l’écho de ta voix, j’encre les interlignes du journal
du matin où il est dit que, (sans faillir au coucher),
je reviendrai de l’au-delà.
Immaculé.
Œil brillant.
Debout sur le tracé inabouti des alouettes.
Et je te raconterai la fantastique épopée de mon long sommeil.
Entre horreurs et flammes.
Puis, détaché de l’agitation du dehors, j’augmente le
volume du silence, étale cartes sur table, linge sale, tasse
à l’endroit.
Je sucre, touille, prends un canard, sirote mon café américain, exaltant l’intermittente odeur d'ébats
(Récents ? En cours ?)
Celle-ci
s’évapore à chaque envolée du drap, suivi de ton
parfum naturel qui frôle le vertige de mes parois
et que tout près du lointain passe le train qui ne s’arrête plus en gare.
Le jour s’est levé, me semble-t-il, pour de bon.
J’avale de travers, toussote, crachouille, aspire à pleins poumons, tire, tire sur la première cigarette du matin
baguée du tanin de la veille.
Je cure les narines, le creux des oreilles, frictionne le cuir chevelu
(un autre tic), grappille mes cheveux gris, épars sur les
épaules.
Touffe d’années incinérées dans le cendrier au voisinage des mégots.
Quelque peu si la mémoire ne me trahissait
me perdrais-je à la cadence du trot, du radotage, la poursuite
des bribes du galopin ou du vieux au regard enfoui en dedans,
voltigeant entre l’inconstance des amourettes, aussi immatures
que véhémentes, de l’acuité de la soif
s’égouttant de partout, des claques, tac au tac et autres revers
…
… jusqu’à cogner de front l’insupportable véracité.
Néanmoins, tendrai-je à décrocher la lune
et entrer en confiance dans le temple des amours.
Furent-elles fatales à mon goût ?
Passagères telle la saveur du fruit interdit ?
Puis l’effervescence écumée (Ah !) de tourmente.
(Il
était les années de feu, de sang, des joies des mains
s’ouvrant larges pour serrer le moi naissant, les fougues,
le début d’ère espérée, chantée. A tramer fibre à fibre.
Lors j’avais
brandi refus, rage, résolu à mettre out le commun, les
interdits, l’évident "endure et boucle-la" en refrain…
… et cru dur
comme fer à l’idéal de bâtir mon monde, pierre
à pierre, à la mesure du feu de joie porté
à bras-le-corps, du vif élan généreux et
fragile, d’une lumière au noyau en devenir).
Et s’impose
l’intransigeance du dire délirant, du faire, du sursaut
imprévisible, désarçonnant, à la merci de
la furie, le jour qui se lève morose. Que l’on décrit
clair, rayonnant. Plus il avance, plus il accroît
l’avidité des vassaux qui dorment le jour, rapportent, la nuit,
des nouvelles dénaturées, blagues, faux pouls de la rue
pour faire dormir
le reclus de la tour d’ivoire, tapi sous la surdité, l’aveuglement, tenant rênes du vent.
Bafouillage salivant, ces frileux bouchent tout semblant d’horizon,
agitent et machinent la menace de l’étincelle qui couve dans le
regard mutique de ces morts vivants en souffrance.
Ça pousse à serrer l’étau davantage, clouter le
gant de fer, réduire et rationner la dose d’air à
respirer,
le chuchotis s’engouant du bout de ciel, de l’ombre amicale au-dessus de l’épaule, l’éclosion de la rose,
et l’espérance en désespoir de cause.
Ça dévore, pompe solide et liquide
prône vanité, passe-droits, poids, mesures, portes closes
(après sévère filtrage) et favorise l’appartenance
nominale,
les piquets de la tente du cousin, les paons et les poussins, les ton père est mon copain.
On s’approprie âmes et biens, les lèvres plâtrées de fards, de paroles trompeuses.
ON s’engraisse et ON engraisse les vachement engraissés.
De peine. De sueur. D’indigence…
Quelle vie de chien mérite des égards ?
Le cumin s’écrabouille. C’est sa nature.
(Ne conviendrait au borgne que la cécité)
Puis va-t-on se détendre, claquer butin des jetons, faire
emplettes, plus loin que le bout de la terre, des océans, des
ours polaires. L'essence d’ambre le long des plis de l’aine. La pure
soie autour des flancs.
(Comment avoir un petit coin
sous
ton ciel, ô mon dieu !)
Bouffonnerie pour bouffonnerie, devrait-on, selon l’humeur des
porte-voix, tortiller le cul sur le chant prétendant que
l’année est fastueuse, végéter dans son cagibi, la
tête basse, attendant l’obole, puis se confondre en vivats et
louanges. Ou sucer ses os cariés et roter à pleine gorge
en remerciant le tout-puissant ?
Je me fais mal de croire encore à la conversion des suceurs. Il y a trop à dénoncer.
J’hérisse mes épines.
(Suis-je grognard ?
Battant, peut-être ?
Plutôt encenseur à deux sous ?
Ou ballot et fataliste attendant,
les bras croisés,
la découpe du suaire ?
Casse-pieds ? Le suis-je à ce point ?)
A peine ai-je mâchouillé mon crachat que je compte les dents, les côtes brisées
(il était une fois) des disparus…
Je chevrote. On m’apostrophe :
(Ta gueule, connard.
Pareille désinvolture
relève de l’hérésie.
C’est ultra apostat
et anti machin).
Que reste-t-il donc aux désossés ? L’incontinence et l’entartrage. Le jet d’oignons aux larmes
asséchées. Les figues de barbarie, rebuts, pierres,
tripes. Les vies au rabais, lendemains, insanités à la
cantonade.
La saine virulence et le volume des voix menaçant les fondements vieillissant subitement.
Et la fraîcheur des joies démentielles s’adjoigne
l’ébullition de la hargne, la remise en question de tout et de
rien.
Non caprices de jeunesse. Mais certitudes premières.
(Finissant, comme de bien entendu,
;
en queue de poisson.
Hors l’océan).
Et se dresse la force aveugle, obstruant vues et artères :
barbelés, bruit des bottes, gourdins, prédateurs,
insultes, crachats, saignées, hématomes (Douces, douces
bastonnades), rafles, bâillons, pendaisons, monde à
l’envers et promiscuité des fosses communes.
Et la salutaire débandade.
Et le changement impalpable.
On n’est que trop sérieux quand on a vingt ans.
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Confidences d'automne : Mohamed Loakira
Francopolis octobre 2011
recherche Ali Khadaoui
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