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… et se voile le printemps*
de  Mohamed Loakira - Virgule Editions

présenté par Rachid Khaless


″L’écriture assumée de Loakira témoigne, dans ce poème inédit, de l’exigence d’un dire double. Celui qui consent à l’acceptation des limites de l’art d’écrire et au refus lucide du réel.

«
Et la nuit s’intercale à la nuit » est le vers qui donne le ton à cette œuvre concise et dense. S’il inspire un sentiment de déception au poète, ce Printemps arabe, voilé,   violé, n’en demeure pas moins un catalyseur. Témoin privilégié des mutations politiques qui avaient secoué le monde arabe, le poète s’interroge d’abord. S’agit-il d’une «fausse-couche amère /ou simple fait divers ?».

Dans les pièces de Bouchta El Hayani qui accompagnent le texte de Mohamed Loakira, non comme écho, mais comme prolongement de ce même silence, il est question d’anxiété. Une anxiété douce, assumée″. *Virgule Editions. 
                                                                      
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Présentation par Rachid Khaless

Si la poésie de Mohamed Loakira prolonge, toutes nuances gardées, la tradition orphique, elle fait entendre dans son chant une résonance contemporaine singulière dans le champ poétique marocain. De vers en vers, le poème s’articule aux modulations du souffle, tantôt continu, tantôt sciemment heurté dans une quête éperdue du sens. Écrire consiste en cet acte qui rend compte, par la voix et par le poids du silence, des vibrations du souffle.

Le poète expire !

L’écriture assumée de Loakira témoigne, dans ce poème inédit, de l’exigence d’un dire double. Celui qui consent à l’acceptation des limites de l’art d’écrire et au refus lucide du réel.

 ″Et la nuit s’intercale à la nuit″ est le vers qui donne le ton à cette œuvre concise et dense. S’il inspire un sentiment de déception au poète, ce Printemps arabe, voilé, violé, n’en demeure pas moins un catalyseur. Témoin privilégié des mutations politiques qui avaient secoué le monde arabe, le poète s’interroge d’abord. S’agit-il d’une ″fausse-couche amère /ou simple fait divers ?″.
Loakira y apporte sa réponse en une métaphore fulgurante et évoque " l’éruption du volcan cru éteint″. Il ne se contente pas du simple constat et, au fil du texte, prend fait et cause pour les acteurs de ces mutations. Tout naturellement ″au bon voisinage d’autres voix (crues) libérées des larmes séculaires″.  

Alliance, non identification béate, doit-on constater. Le poète affirme son identité singulière, au plus près de l’utopie. Il est cette personne ″ivre d’immensité et de mirage″, ″adepte du vivre et du laisser vivre″.

Loakira ne renonce ni à la vie ni aux ambitions de la poésie. Loin s’en faut ! Cette poésie assume le risque que recèlent les signes et s’en accommode à sa manière. Le récit, omniprésent, qu’elle accueille comme marque, voire comme identité, est sans cesse contesté. Loakira porte un soin particulier à exhiber les ressorts de sa poésie, en montre les nuances et la met en jeu dans la confrontation avec ce qui n’est pas elle.

Cette poésie est dans le lyrisme. Pourtant elle est déprise de l’illusion lyrique. Elle est dans le monde mais elle rejette ses leurres. Du coup, elle n’est pas dans la connivence avec le monde dont le poème accueille l’allure et les évanescences. Elle est dans la lutte pour trouver aux mots et au réel un lien délicat, une configuration renouvelée.

Paradoxalement, ce monde se convertit en horizon poétique à tel point qu’on peut supposer qu’il en a été le prétexte. Le monde qu’institue Mohamed Loakira est fait de balayage des débris et ruines pour qu’il advienne autre. Le vrai lieu de la poésie devient son espace propre, sa légitime demeure. C’est pourquoi elle porte la marque ineffaçable de la générosité.

En elle il y a l’empreinte d’un contact natif avec le monde. Elle est l’instrument de la célébration ! Célébration ne signifie pas éloge. Un monde meurt, plié sur ses ruines. Un autre demeure ou il est à naître. Loakira capte son avènement. La lucidité de l’auteur y est évidente. On est alors invité à en saisir le ton fondamental, le lien controversé et subtil avec le réel. Car cette poésie dit le heurt.

Loakira est plus que jamais l’homme du parti pris : face au monde et face au langage qui en épelle l’état et les conversions. Sous prétexte qu’il écrit le Printemps arabe doit-on rapidement estimer qu’il sacrifie son art ? Le poète module, casse, reprend en multipliant les variations du souffle, accordant une attention particulière à la mise en forme du poème. Malgré la gravité du sujet, il se révèle un artisan infatigable des mots qui, à force d’être forgés, font éclater une belle étincelle, un feu constant. 

Ce poème ne fait pas dans l’exubérance. Il est d’une économie déconcertante. On dirait que les mots, greffés dans le vide de la page, surgissent dans un corps-à-corps sans concession entre le poète et sa poésie. Et à mesure que croît le poème, le monde qu’il épelle vient à manquer. Les mots absorbent la matière du réel et deviennent leur propre matière. Autophage, le poème s’érige sur les ruines du monde !

Loakira chante et écorche sa voix. Il fait advenir les mots dans une nécessité absolue. Syncopés par moments, ils disent les heurts du cœur. Rythmés, ils évitent en eux la structure de la pierre. Car ce poème n’est ni une épitaphe ni un étendard. Il se dessaisit de sa source native et court les risques du dire. Le je et le monde s’y effacent progressivement et ne demeure, portée par son élan primordial, qu’une voix – et au loin un grand silence. 

Là advient, non comme écho, mais comme prolongement de ce même silence, l’œuvre singulière de Bouchta El Hayani, artiste majeur du Maroc. A l’affût de l’homme, à l’écoute de sa respiration, l’artiste peint – ou mieux encore : dessine.

Dans ces pièces qui accompagnent le texte de Mohamed Loakira, il est question d’anxiété. Une anxiété douce, assumée. Car le désir de nommer les contrastes chez cet artiste authentique le dispute au désir de les dissoudre dans la tranquillité. On y insère le regard en une contemplation fascinée et angoissée comme un pèlerin qui aurait pour seul viatique la fragile sensation que cette poésie est une sorte d’attente. Avec El Hayani on se garde de supposer le sens restituable. Que dire de ces symboles, palimpsestes du féminin et du masculin, sauf qu’ils rejoignent dans leur énigme évidente le règne de l’humain, celui-là même que chante Loakira !

L’auteur et l’artiste, dans leur connivence amicale, semblent exiger de nous de nouveaux critères de lisibilité. Les images ne miment pas le texte, pas plus que le poème ne dit la peinture. Œuvre inattendue et essentielle. C’est, à la limite, une ombre tremblante dessinée sur une page ! Dans cette forme de relation poétique, il y a comme un désir de vie – celui qui consent à sa perte. Plus encore : dans ce travail à deux cœurs, on sent les vibrations, les résonances et la lumière d’un monde à venir.
                                                                                                             Rachid Khaless
*Virgule Editions


… et se voile le printemps par  Mohamed Loakira
présenté par
Rachid Khaless 
Mars 2015


Créé le 1 mars 2002

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