LECTURES -CHRONIQUES
… et se
voile le printemps*
de Mohamed Loakira - Virgule Editions
présenté par Rachid Khaless
″L’écriture
assumée de Loakira témoigne, dans ce poème
inédit, de l’exigence d’un dire double. Celui qui consent
à l’acceptation des limites de l’art d’écrire et au refus
lucide du réel.
« Et la nuit s’intercale à la nuit » est le
vers qui donne le ton à cette œuvre concise et dense. S’il
inspire un sentiment de déception au poète, ce Printemps
arabe, voilé, violé, n’en demeure pas moins
un catalyseur. Témoin privilégié des mutations
politiques qui avaient secoué le monde arabe, le poète
s’interroge d’abord. S’agit-il d’une «fausse-couche amère
/ou simple fait divers ?».
Dans les pièces de Bouchta El Hayani qui accompagnent le texte
de Mohamed Loakira, non comme écho, mais comme prolongement de
ce même silence, il est question d’anxiété. Une
anxiété douce, assumée″. *Virgule Editions.
* * *
Présentation par
Rachid Khaless
Si la
poésie de Mohamed Loakira prolonge, toutes nuances
gardées, la tradition orphique, elle fait entendre dans son
chant une résonance contemporaine singulière dans le
champ poétique marocain. De vers en vers, le poème
s’articule aux modulations du souffle, tantôt continu,
tantôt sciemment heurté dans une quête
éperdue du sens. Écrire consiste en cet acte qui rend
compte, par la voix et par le poids du silence, des vibrations du
souffle.
Le poète expire !
L’écriture assumée de Loakira témoigne, dans ce
poème inédit, de l’exigence d’un dire double. Celui qui
consent à l’acceptation des limites de l’art d’écrire et
au refus lucide du réel.
″Et la nuit s’intercale à la nuit″ est le vers qui
donne le ton à cette œuvre concise et dense. S’il inspire un
sentiment de déception au poète, ce Printemps arabe,
voilé, violé, n’en demeure pas moins un catalyseur.
Témoin privilégié des mutations politiques qui
avaient secoué le monde arabe, le poète s’interroge
d’abord. S’agit-il d’une ″fausse-couche amère /ou simple fait
divers ?″.
Loakira y apporte sa réponse en une métaphore fulgurante
et évoque " l’éruption du volcan cru éteint″.
Il ne se contente pas du simple constat et, au fil du texte, prend fait
et cause pour les acteurs de ces mutations. Tout naturellement ″au
bon voisinage d’autres voix (crues) libérées des larmes
séculaires″.
Alliance, non identification béate, doit-on constater. Le
poète affirme son identité singulière, au plus
près de l’utopie. Il est cette personne ″ivre
d’immensité et de mirage″, ″adepte du vivre et du laisser
vivre″.
Loakira ne renonce ni à la vie ni aux ambitions de la
poésie. Loin s’en faut ! Cette poésie assume le risque
que recèlent les signes et s’en accommode à sa
manière. Le récit, omniprésent, qu’elle accueille
comme marque, voire comme identité, est sans cesse
contesté. Loakira porte un soin particulier à exhiber les
ressorts de sa poésie, en montre les nuances et la met en jeu
dans la confrontation avec ce qui n’est pas elle.
Cette poésie est dans le lyrisme. Pourtant elle est
déprise de l’illusion lyrique. Elle est dans le monde mais elle
rejette ses leurres. Du coup, elle n’est pas dans la connivence avec le
monde dont le poème accueille l’allure et les
évanescences. Elle est dans la lutte pour trouver aux mots et au
réel un lien délicat, une configuration
renouvelée.
Paradoxalement, ce monde se convertit en horizon poétique
à tel point qu’on peut supposer qu’il en a été le
prétexte. Le monde qu’institue Mohamed Loakira est fait de
balayage des débris et ruines pour qu’il advienne autre. Le vrai
lieu de la poésie devient son espace propre, sa légitime
demeure. C’est pourquoi elle porte la marque ineffaçable de la
générosité.
En elle il y a l’empreinte d’un contact natif avec le monde. Elle est
l’instrument de la célébration !
Célébration ne signifie pas éloge. Un monde meurt,
plié sur ses ruines. Un autre demeure ou il est à
naître. Loakira capte son avènement. La lucidité de
l’auteur y est évidente. On est alors invité à en
saisir le ton fondamental, le lien controversé et subtil avec le
réel. Car cette poésie dit le heurt.
Loakira est plus que jamais l’homme du parti pris : face au monde et
face au langage qui en épelle l’état et les conversions.
Sous prétexte qu’il écrit le Printemps arabe doit-on
rapidement estimer qu’il sacrifie son art ? Le poète module,
casse, reprend en multipliant les variations du souffle, accordant une
attention particulière à la mise en forme du
poème. Malgré la gravité du sujet, il se
révèle un artisan infatigable des mots qui, à
force d’être forgés, font éclater une belle
étincelle, un feu constant.
Ce poème ne fait pas dans l’exubérance. Il est d’une
économie déconcertante. On dirait que les mots,
greffés dans le vide de la page, surgissent dans un
corps-à-corps sans concession entre le poète et sa
poésie. Et à mesure que croît le poème, le
monde qu’il épelle vient à manquer. Les mots absorbent la
matière du réel et deviennent leur propre matière.
Autophage, le poème s’érige sur les ruines du monde !
Loakira chante et écorche sa voix. Il fait advenir les mots dans
une nécessité absolue. Syncopés par moments, ils
disent les heurts du cœur. Rythmés, ils évitent en eux la
structure de la pierre. Car ce poème n’est ni une
épitaphe ni un étendard. Il se dessaisit de sa source
native et court les risques du dire. Le je et le monde s’y effacent
progressivement et ne demeure, portée par son élan
primordial, qu’une voix – et au loin un grand silence.
Là advient, non comme écho, mais comme prolongement de ce
même silence, l’œuvre singulière de Bouchta El Hayani,
artiste majeur du Maroc. A l’affût de l’homme, à
l’écoute de sa respiration, l’artiste peint – ou mieux encore :
dessine.
Dans ces pièces qui accompagnent le texte de Mohamed Loakira, il
est question d’anxiété. Une anxiété douce,
assumée. Car le désir de nommer les contrastes chez cet
artiste authentique le dispute au désir de les dissoudre dans la
tranquillité. On y insère le regard en une contemplation
fascinée et angoissée comme un pèlerin qui aurait
pour seul viatique la fragile sensation que cette poésie est une
sorte d’attente. Avec El Hayani on se garde de supposer le sens
restituable. Que dire de ces symboles, palimpsestes du féminin
et du masculin, sauf qu’ils rejoignent dans leur énigme
évidente le règne de l’humain, celui-là même
que chante Loakira !
L’auteur et l’artiste, dans leur connivence amicale, semblent exiger de
nous de nouveaux critères de lisibilité. Les images ne
miment pas le texte, pas plus que le poème ne dit la peinture.
Œuvre inattendue et essentielle. C’est, à la limite, une ombre
tremblante dessinée sur une page ! Dans cette forme de relation
poétique, il y a comme un désir de vie – celui qui
consent à sa perte. Plus encore : dans ce travail à deux
cœurs, on sent les vibrations, les résonances et la
lumière d’un monde à venir.
Rachid Khaless
*Virgule Editions
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… et se voile le
printemps par Mohamed Loakira
présenté par Rachid Khaless
Mars 2015
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