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D é l i r e  a m o u r e u x / D e l i r i o  a m o r o s o

de Alda Merini

Traduction - Patricia DAO



Grâce à la traduction de Patricia Dao, nous pouvons enfin proposer au lecteur français l’édition bilingue de l’un des textes les plus passionnants d’Alda Merini intitulé Delirio amoroso (Délire amoureux).
Cet ouvrage a été publié en Italie en 1989 et il a connu plusieurs éditions. Influencé de manière évidente par l’expérience poétique précédente de l’auteur, ce texte en prose s’inscrit sur les plans thématique et formel dans l’ensemble des ouvrages que Merini rédige après l’expérience de l’asile psychiatrique, dont nous rappelons L’altra verità. Diario di una diversa (1986) et La pazza della porta accanto (1995). Il s’agit de trois textes qui, se situant entre l’autobiographie et la fiction, reviennent tout particulièrement sur la notion de ‘folie’ qui ne se limite à aucune définition conventionnelle ni médicale.
pour commander :Edition Oxybia

"Je ne suis pas une femme
apprivoisable."
Alda Merini

 Précoce comme Rimbaud, démente comme Artaud, maudite comme Bataille, Alda Merini, fut une "figure poétique extraordinaire" selon le dramaturge Dario Fo. Elle ne saurait cependant se laisser  réduire à une parentèle aussi prestigieuse soit-elle sans trahir le caractère unique et tourmenté d'une existence et d'une écriture indéfectiblement liées. Si des rapprochements de ce genre s'imposent immédiatement, elles n'en demeurent pas moins extrêmement fallacieuses. Avec ces trois monstres sacrés, admis bien malgré eux au panthéon de la littérature et de la poésie, elle partage passionnément un sens exceptionnel de la vision, une conscience aiguë des réalités psycho corporelles et une voix comme on n'en entend que très rarement (dans ces dernières années de sa vie,  il lui arrivait souvent de dicter par téléphone ses poèmes improvisés à des tiers) ainsi qu'une révolte libératrice en réaction à la déshumanisation de nos sociétés contemporaines, comme le souligne avec pertinence Flaviano Pisanelli dans la préface de ce livre.  D'humble extraction, elle fut reconnue dès l'âge de quinze ans par les plus fameux poètes d'Italie du XXe S (Montale, Pasolini...).  A partir de sa trente quatrième année, elle succomba à ce qu'elle persista à diagnostiquer du vocable d'hystérie (du grec hystera, signifiant utérus) qui lui valut d'être "incarcérée" durant vingt ans dans des asiles psychiatriques.
  
Avec "Delirio Amoroso" Alda Merini décrit précisément, entre doutes, cris et confessions, cette "folie d'amour" qui lui valut de sortir des ornières de la pensée admise. Un chant halluciné remontant des grandes profondeurs de l'être sous-tend ce récit d'une tragédie qui se dénoue, comme une prière muette, dans la divinité de l'amour universel.   
André Chenet


Dans Délire amoureux, la biographie et la fiction se côtoient sans arrêt tout au long de la narration, dans l’effort à la fois cruel et honnête de faire exprimer une douleur capable de forger une écriture en même temps violente, onirique et ironique qui transforme la corruptibilité humaine en un discours incorruptible et, nous dirions, sacré par lequel Merini semble lancer un défi ultime à tout jugement, à toute normalisation, à toute tentative de priver l’homme de sa raison, de son corps, de ses rêves, de son innocence :
« Comme je l’ai déjà dit dans ‘Diario’, ce que j’écris ici n’est ni vrai ni vraisemblable, parce que je raconte l’horreur de façon idyllique. Peut-être un jour écrirai-je le vrai journal intime, fait de pensées atroces, de monstruosités et d’envie anormale de se tuer. Le vrai journal est dans ma conscience et c’est une pierre tombale triste, une parmi les pierres tombales qui ont enseveli ma vie. »
Flaviano Pisanelli. (extrait de "Le Feu de la folie: Délire amoureux d'Alda Merini" )


Deux ans après Dopo tutto anche tu, Les éditions Oxybia poursuivent un hommage à la poète milanaise avec l’édition bilingue de Délire amoureux/Delirio amoroso, lumineusement traduit par Patricia Dao, passionnément préfacé par Flaviano Pisanelli, ce bel ensemble rejoint par une quatrième de couverture du poète et passeur André Chenet.

Comme le précise F. Pisanelli, à chaque recueil de Merini, la notion même de « folie » « ne se limite à aucune définition conventionnelle ni médicale ».[8] C’est dans l’Italie du Sud (Milan, Taranto) que Merini fera l’expérience de l’incarcération psychiatrique : « Elle ne cesse de vouloir comprendre les raisons de l’univers déshumanisé et déshumanisant de l’asile psychiatrique. Cette attitude de révolte et de résistance amène l’écrivain à défendre son rôle d’individu et de femme : elle continue à vivre sa condition d’épouse et de mère, en essayant de ne jamais perdre le contact avec la réalité qui semble toutefois s’arrêter au-delà des barreaux des fenêtres de sa chambre et de son lit de contention, des électrochocs et  de la stérilisation qu’elle subit et qui privent l’individu de son identité et de sa dignité ». [p. 14]
Dans Délire amoureux… la folie s’exprime tout d’abord comme une force ‘dissidente’ ». [p. 16]
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Extraits

Ecrire est une chose sérieuse : on devrait écrire sérieusement comme on devrait vivre sérieusement. Je n’ai peut-être pas dit dans “Diario” que les cinq premières années d’asile psychiatrique furent terribles. Nous avions tous été nivelés à une certaine dimension où l’individu n’existait plus. Oubliés, enfermés dans une salle commune, nous passions les journées à ne rien faire. Une pauvre femme (que j’appellerai Madame Thénardier, comme dans “Les Misérables”) allait faire nos courses, des courses collectives sur lesquelles elle se reversait un bakchich. C’était une mégère avide et avare, absolument inconsciente de notre mal et du sien. Dramatiquement prisonnière de sa folie, elle ramenait haletante du magasin nos pauvres choses et elle nous les donnait avec l’onctuosité d’une mère qui divise ses enfants en fonction des fautes et des mérites.
Cette femme me faisait horreur. Elle mourut dans un lit d’enfant, en serrant dans ses bras son argent.

La fatigue physique de l’hôpital psychiatrique s’est ensuite transformée en ce qui devait être une grande perfection amoureuse, capable de contacter les créatures cosmiques. C’est là que j’ai pris conscience de la condition misérable et religieuse qui épuisait le concept de Dieu.

Qui veut trouver quelque chose de pervers dans la construction de la poésie se trompe. Il faut au contraire y trouver un tissu humain hautement tragique qui a fatalement dévié le cours de l’histoire individuelle. Là est la teneur historique de ma vie et de toutes les existences déviantes qui trouvent leur revanche dans les mots, et aussi une certaine compensation sur le plan de la vie onirique et mystérieuse de l’inconscient. Alda Merini

pour lire d'aures extraits d'Alda Merini

Voir aussi :
Alda Merini, « de sa fièvre amoureuse »  sans les Carnets d'Eucharis-Nathalie Riera.


Biograhie/ Bibliographie de Alda Merini sur Wikipedia

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 Delirio amoroso (Délire amoureux) d' Alda Merini,
recherche André Chenet

Francopolis Février 2012


Créé le 1 mars 2002

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