LECTURES -CHRONIQUES
Thierry Metz
Tel que c’est écrit.
et
Jean Malrieu
Lettres à P. Dhainaut, J. Ballard & P.A. Jourdan.
par
Dominique Zinenberg
Tel que c’est écrit, titre
et premier vers
du dernier poème du recueil, semble former une boucle de mots,
pourtant inépuisables. La polysémie de l’expression
suggère aussi bien la
fatalité que le facsimilé, ce qui est simple comme une
transcription du réel dans lequel tout humain est plongé
et complexe comme les desseins indéchiffrables liés
à la destinée.
La
force du poème, multiple et unique, repose sur cet état
de grâce du dévoilement du quotidien dans ce qu’il a de
plus limpide, de plus humble, de plus immédiatement saisissable,
comme d’une évidente expérience commune et cependant dans
l’instant même de la saisie, tout se dérobe et glisse,
tout reste impénétrable et chargé du secret de
l’intime et de la douleur.
Les
poèmes gardent la trace du labeur, du rythme des journées
: gestes et marches – le bois, l’atelier, les «jeunes »
outils, ce qui peu à peu se construit :
« J’ai fini le toit aujourd’hui
demain je commencerai la porte
en passant par les branches », la scansion de la vie de travail
« Chaque jour »,
« Je retourne »,
« Je me réveille »,
« Chaque jour je remonte le bois sec »… qui fait ritournelle et sens.
Mais le quotidien n’est-il
pas aussi :
« J’écris quelques mots
sur la table de repos…
après avoir sorti mes mains
du chantier »
ou encore :
« Chaque jour
j’entre ici comme dans une chambre
avec du papier et des brindilles »
et entre autres :
« Ici et là
je suis voué aux feuilles
à autre chose
que ma main cherche à écrire » ?
Du
quotidien si nu, presque austère que nous donne à voir le
poète on passe imperceptiblement de poème en
poème, chacun bref et allusif, à une vision d’une autre
nature, à un tissage d’impressions à la fois
délicates et mystérieuses où planent le
recueillement, le méditatif :
« il ne reste plus que ses odeurs
dans mes vêtements
comme nous
dans un cloître »,
comme si quelque chose de christique s’ébauchait :
« Forêt d’instants…
fouettés de travaux
qui font rire le merle
et l’homme que je suis
jusqu’à lui donner une âme
sacrifiée
à l’épine. »
A cela
s’ajoute le geste des mains, l’allusion au pain (premier poème)
et au vin (dernier poème), à l’amour pour la mère,
à l’amour pour l’enfant, à l’amour qui irradie et passe
de la femme
«
Elle est amoureuse » au poème « Le poème est
amoureux » et à l’aveu du lien de l’amour qui permet de
tenir:
« Je n’irais pas loin
si je n’emportais pas sa voix
si je n’avais pas ce ruisseau
de sa main
sur la mienne. »
Mais
à cette dimension christique se superpose sans s’opposer une
vision du poète en Saint François d’Assise
« Flanqué
d’oiseaux »
« du rouge-gorge
qui me suit partout »
et traversé d’une lumière ou d’un trait bleu baignant le
poème.
Thierry
Metz,Tel que c’est
écrit, Edition
L’Arrière-Pays, 2012 (9 €).
* Poète au destin tragique (1956-1997),
voir aussi
l’article de Gérard Bocholier dans sa rubrique Chronique du veilleur
sur le site de la revue Recours au poème. Et un peu plus sur Wikipedia.
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ET
Jean Malrieu ,
Lettres à P. Dhainaut, J. Ballard & P.A. Jourdan, Editions L’Arrière-Pays, 2012
On
nous offre des nuits, on nous offre des jours, des veillées, des
émerveillements, des inquiétudes aussi. Tout se raconte
avec délicatesse comme si la voix (de chair) de Jean Malrieu
traversait le papier et les mots encrés pour devenir grain,
rythme et charme.
Le pays des Cathares
revient, enchanté par des rencontres, pris dans l’Histoire et le
quotidien.
Quelque chose de
poignant se dégage de cette prose qui s’adresse à un ami
à qui l’on peut confier le temps qu’il fait, la beauté
des chats, l’ombre de la sœur morte de faim à Dachau, les
forêts, les nuances des pluies, le cœur fatigué, les
réflexions subtiles et pudiques sur la poésie, un livre
d’heures, le paysage familier de Penne-de-Tarn comme celui de
Marseille, l’émotion de décrire les intermittences
saisonnières.
Par bien des
côtés cette correspondance que Pierre Dhainaut propose de
son ami Jean Malrieu, si sensible au climat, à la magie du
quotidien (même quand il est gris ou infime) me fait penser
à certains textes de Philippe Jaccottet car avant tout on entend
chez l’un comme chez l’autre le propos d’un poète en recherche
d’un supplément d’âme et d’une adéquation entre une
manière de vivre et d’écrire :
« Tout
ça, c’est une manière de vivre, et non d'écrire,
d'être pauvre et riche en même temps, d'être
ascétique dans la richesse, d'être heureux dans le
malheur, de vivre l'âge d’or qui est dans le temps intemporel qui
nous précède… »
Ainsi lire quelques
pages de Jean Malrieu c’est comme être avec un ami avec lequel on
partage quelque chose de substantiel, de nourrissant et qui ricoche en
nous de façon durable au rythme de son souffle et selon
l’influence du climat, des impressions des jours et des nuits et des
secousses des souvenirs.
Dominique
Zinenberg
* Sur Jean Malrieu (1915-1976) lire aussi l’article
d’Yvon Le Men, extrait de Besoin de poème, Le Seuil 2006 (mis en
ligne sur le site de la revue Temporel,
n° 8, septembre 2009). Et sur Wikipedia
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Thierry Metz,Tel que
c’est écrit
Jean Malrieu, Lettres à P. Dhainaut, J. Ballard
& P.A. Jourdan
présentés par Dominique Zinenberg
Francopolis janvier 2014
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