LECTURE  CHRONIQUE


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LECTURES -CHRONIQUES

NOTES SUR LES PREMIERS TEXTES
DANS LA PLÉIADE

de
HENRI MICHAUX

présenté par
Dominique Zinenberg


        Notes sur les premiers textes de Henri Michaux dans la Pléiade.

      a. Les rêves et la Jambe.

  La « Préface » rappelle qu'il vaut mieux que les mots employés soient compréhensibles par tous (« Il n'y a plus que les va-nu-pieds pour se faire comprendre de tout le monde ») plutôt que la spécialisation ou le jargon qui ne permettent qu'à quelques-uns de comprendre et d'être au fait de ce qui est dit. Parler pour tout le monde, c'est par conséquent employer les termes génériques quoique parfois les mots des métiers soient beaux. Michaux donne celui de « crédence » qui, immédiatement fait surgir le sonnet en x de Mallarmé ... et sa beauté mystérieuse, précieuse et surannée.

  Pour Michaux les rêves naissent en quelque sorte d'une partie du corps restée éveillée, pour le meilleur : le rêve  ou pour le pire : le cauchemar. Et c'est comme si le corps fragmenté ne formait plus un tout relié au cerveau. Corps déchiqueté en morceaux indépendants pensant chacun pour lui-même. C'est ainsi que la jambe, poétiquement, « ne marchera pas sur de l'huile ou des bulles de savon, ne s'essaiera pas à faire de la broderie. »

  Toutes les caractéristiques du rêve (l'absurdité, l'insensibilité, le fait de passer du coq-à-l'âne, qu'ils soient mouvementés, qu'ils soient des réminiscences etc.) tiennent au morcellement actif du corps. Tout est endormi hormis une partie du corps par lequel le rêve se déclenche, « Un morceau d'homme est éveillé. »

  Et l'humour toujours en toile de fonds comme dans cette formule:
« Les imprécations de la Bible? Une toile de Degas? Je dis que la jambe passera son chemin. »

 

  Je relis les premières pages d' A la recherche du temps perdu et je ne peux m'empêcher de penser que Les Rêves et la Jambe fonctionne comme une réécriture ou comme un rappel allusif malicieux  de la lecture proustienne de Michaux . Rappelons-nous : « Quelquefois, comme Ève naquit d'une côte d'Adam, une femme naissait pendant mon sommeil d'une fausse position de ma cuisse. Formée du plaisir que j'étais sur le point de goûter, je m'imaginais que c'était elle qui me l'offrait. » Et plus loin «  Mais il suffisait que, dans mon lit même, mon sommeil fût profond et détendît entièrement mon esprit; alors celui-ci lâchait le plan du lieu où je m'étais endormi, et quand je me réveillais au milieu de la nuit, comme j'ignorais où je me trouvais, je ne savais même pas au premier instant qui j'étais; j'avais seulement dans sa simplicité première, le sentiment de l'existence comme il peut frémir au fond de l'animal; j'étais plus dénué que l'homme des cavernes... »

 

            b. Fables des origines.

 

    Pourquoi ne pas réinventer l'origine du monde? Pourquoi la Genèse ne peut-elle pas être réécrite à l'infini avec saveur, force brutale, humour ou simplicité ? Des dieux, des hommes, des gestes premiers, des inventions premières : tout est toujours à réinventer, n'est-ce pas ? Mais comment invente-t-on ? Quelle nécessité nous y pousse ?

   Dévorer – dans les Fables des origines – tient une place majeure. Le cannibalisme et plus généralement le goût effréné de la viande l'emportent sur tout et règlent tous les problèmes. On mange l'autre, voilà la base de la vie ! Cruauté , rapacité, avidité ! Michaux est bien plus proche de Jarry avec son Ubu roi (farcesque, fantaisiste, cruel, cynique, immonde) que de son ami Jules Supervielle et ses Fables du monde où les origines se teintent de douceur feutrée et d'un dieu « atténué » !

  Parmi les « origines » relatées par Michaux , il y  a celle de la peinture. Comment la conçoit-il ? Par des projections de morceaux d'animaux sur les parois de cavernes regardées par une femme en train de faire l'amour et la conclusion du texte est : «  Ainsi fut établi parmi les hommes combien l'image des choses  est délectable. »

 

         c. Qui je fus  (1927)

 

  Qui je fus n'est pas une formule mais une personne. Une entité dressée comme un iceberg dont ce qu'on voit est ce qui n'est plus. Force du passé simple qui défait tout lien avec le passé. L'autre qu'on a été (qu'on n'est plus) est tenu à distance, est un pan indivisible mais sécable. « A chacun son morceau du temps : vous fûtes, je suis. » Mais immédiatement il est nécessaire de nuancer car il n'y  a pas un « Qui fus-je » mais d'innombrables, tous distincts les uns des autres et séparés les uns des autres. Chacun d'entre eux réclame la vie et supplie « Publie-moi ». Chacun veut sa part de gloire. Les vies « antérieures » empiètent sur la vie actuelle ce qui révolte le « Qui je suis » « Vous avez vécu un an, deux ans dans notre commune peau et vous me faites la loi, à moi qui suis. »

  Voilà la manière Michaux de ne pas écrire A la Recherche du temps perdu !


Michaux Henri... La Pléiade,
sous le regard de Dominique Zinenberg
septembre 2015


Créé le 1 mars 2002

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