LECTURES -CHRONIQUES
Regards sur Henri Michaux (2)
Ecuador et En marge d'Ecuador. (1929-1968)
présenté par Dominique Zinenberg
a)
J'ai
trop tardé pour faire une note de lecture sur Ecuador. Ma
lecture a été émiettée et le souvenir s'en
dissipait au fur et à mesure que je lisais. Ce texte contient
pourtant des beautés singulières. Très souvent le
côté « Journal de voyage »
dérive en poème ou inversement. On sent que tout dans la
vie de Michaux semble mis entre parenthèses. On tangue, on le
suit dans son piétinement, son embourbement dans ces lieux qui
paraissent loin de tout et suintent le danger comme si le voyageur ne
traversait que des no man's land et que la probabilité de s'en
sortir indemne était infime. Michaux ne dit jamais cette peur.
Sa présence aux paysages, aux choses, aux gens ne
défaille pas, mais le poète distille par touches
délicates, imperceptibles mais prégnantes , une
impression insidieuse de menace que rien n'allège.
Les aléas du parcours, les attentes
répétées, les faux départs, les
ralentissements dus à tant de contingences humaines ou
naturelles font penser au lecteur que le retour en Europe a dû
sembler aléatoire et une pensée nous traverse alors,
angoissante : il aurait pu disparaître dans cette forêt,
sur ce fleuve, happé par les forces des arbres, par les brumes,
les montagnes, la nonchalance indifférente des hommes, la
malignité des moustiques, le poison de la nourriture.
Je ne
puis toutefois m'empêcher de penser que Michaux se tient
exactement à la place d'Orphée dans cette
épopée tropicale ... il est l'argonaute grâce
auquel l'expédition, risquée, incertaine et à bien
des égards chaotique, va réussir. A l'instar de l'antique
aède, Michaux observe et chante. Il dit non sans humour et
tranquillement ce qui advient, humaine expérience qu'il retrace
avec simplicité et sans complaisance: « J'ai rarement
entendu parler des Tropiques avec naturel. Ce ne serait guère
possible. On avance ici comme des policiers. Et rien que pour
s'asseoir, il faut prendre des précautions de laboratoire. Au
lieu qu'en Europe, on peut s'abandonner à la nature, vivre de
plain-pied avec elle.
Quant à
avoir ici sa propriété... et puis ? Le serpent vient vous
tuer chez vous. »
b. Premiers écrits 1922-1926 « Cas de
folie circulaire ». *
Cas de folie circulaire est un texte court divisé en trois
chapitres. Genèse du récit, du dialogue, de la peinture :
ton épique, noms renvoyant à l'idée de mythe.
D'emblée des forces antagonistes (Éros/Thanatos)
s'affrontent en de titanesques combats. Qu'est-ce qui circule dans ce
texte sinon une énergie prodigieuse où la
prétention créatrice ne peut être perçue que
comme folie. Obligatoire folie sinon à quoi bon accomplir ce
geste étrange, démesuré?
Ce qui frappe, c'est que ce qui est créé là, comme
chez Kafka, c'est un autre monde possible: chaos et organisation,
curieuse articulation organique qui serait comme la description ferme,
scrupuleuse de formes oniriques vraies.
D'après la notice de la page 1007 de l'édition de la
Pléiade, Michaux, lecteur insatiable d'une curiosité sans
limites « reçoit des impressions » mais si les
livres « passent en lui, aucun ne le tient. » Ce qui
caractérise sa façon de digérer toutes sortes
d'influences y compris littéraires c'est de les «
disperser au rythme spasmodique d'une précipitation, qui ne
laisse à aucun la chance ni le temps de pouvoir consister.
» (p.1008)
• J'aurai dû présenter cette note en
juin, conformément à l'ordre chronologique , mais ce
court passage m'avait échappé!
( Notes sur les premiers textes dans La Pléiade de Henri
Michaux, présenté par Dominique (septembre 2015)
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Michaux
- La Pléiade sept.2015
- Écuador oct.2015
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Regards
sur Henri Michaux (2)
Ecuador et En marge d'Ecuador. (1929-1968)
présenté par Dominique Zinenberg
octobre 2015
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