LECTURES -CHRONIQUES
Petite
étude sur "Tant que les mots disent" de
François Minod ,
présenté
par Dominique Zinenberg
L’art
poétique est devenu secret. L’art poétique se lit entre
les lignes, dans les interstices, au détour d’une phrase, l’air
de rien. En tout cas celui de François Minod. Et un des secrets
de son art pourrait bien pointer dans ces phrases tirées de
« À suivre » aux pages 41-42 :
- « Eh bien, voyons voir, il s’agit de
faire croire au lecteur
qu’on va lui raconter une histoire, vous me suivez ? " […]
- Dans quel but ? […]
- Stimuler son attente. […]
- Oui, mais peut-être n’y a -t-il pas d’histoire à venir,
peut-être que l’histoire c’est cette attente.
– L’histoire d’une attente ?
- En quelque sorte, oui.
– Godot, quoi.
– Indépassable Godot.
- À suivre, donc… »
Ces quelques lignes peuvent permettre de saisir bien des aspects
de l’art de François Minod. Tout d’abord l’art du dialogue qui
le rapproche du théâtre, d’un certain
théâtre, explicitement celui de Samuel Beckett pour le
dénuement, l’anonymat, le suspens des phrases, la
simplicité lexicale et syntaxique. La fréquence des
textes comprenant un dialogue est frappant dans ce recueil comme dans
d’autres. C’est un ressort pour penser, avancer ou tourner en rond,
mais également pour faire vivre les mots, pour les faire vibrer
grâce à un savant bricolage patient, amusé,
déconcertant, décalé qui est poésie en
actes. Une poésie proche comme l’était celle de Jacques
Prévert, ne s’éloignant pas du quotidien, ne refusant pas
le trivial, le familier, le grossier même, mais
auréolée d’une grâce qui est justesse, humour,
gravité.
Dans les textes du poète, des histoires essaiment,
ténues, comme sur un fil de funambule. Et c’est vrai le lecteur
charmé d’emblée par le questionnement qui s’amorce
(formant un embryon d’histoire) est dans l’attente du
dénouement, de la chute, qui ne se laisse pas deviner,
véritable jeu d’équilibriste qui, magiquement, va
retomber sur ses pieds, ne serait-ce que par une pirouette, une
question, des points de suspension. L’implicite est principe de base
dans cette œuvre vivante, distancée, habitée par la
fantaisie ou l’absurde, par l’espièglerie dévidant sa
logique déroutante. « Le furet » p.36
illustre
bien le caractère fuyant des textes, à l’instar du furet
de la comptine mais juste avec le décalage temporel :
présent de la comptine /passé du texte de François
Minod, comme pour ancrer le récit dans une réalité
particulière et non dans le présent de
vérité générale. Il n’est d’ailleurs sans
doute pas anecdotique que Catherine Seghers ait justement fait un
dessin suggérant la course sinueuse du furet multiple, se
faisant écho à lui-même à travers les
méandres du temps, jouant toujours, courant toujours, ludique et
énigmatique
«… c’est troublant, non ? ».
L’univers que crée le poète interroge tous les
aspects de la vie. Si le texte liminaire questionne de façon
lancinante, lente, par répétition et ajout « La
voix de l’au-delà de nous ici-bas » dans un dialogue
dans lequel l’un des deux protagonistes n’entend pas, n’est pas
sensible à la voix de l’au-delà et marque même une
réticence certaine à l’idée de «
l’accueillir » alors que l’autre, celui par lequel le texte
commence sent qu’ « elle parle, entre les mots, dans
les bruissements, les frémissements, les tremblements
» « elle murmure dans les feuillages,
délicatement, imperceptiblement, elle susurre nuitamment
» « entre le flux et le reflux, le clapotis des vagues
sur la rambarde, on l’entend qui chuchote » , si donc
ce premier texte est d’ordre métaphysique et sépare la
pensée matérialiste de la pensée mystique, le
dernier texte du recueil, lui, explore en un chant cru, lyrique,
infiniment mélancolique « le monde bleu de l’oubli »
où l’amour entre elle et lui, en un dialogue incertain où
la rencontre n’a lieu que dans une nébuleuse d’alcool où
« elle » sombre malgré l’amour qu’ils se portent
« elle - je suis éprise de toi qui ne vois de
moi que mes absences lorsque le soir je bois et qu’enfin je m’endors
près de toi tu es là je te sens et tu m’aimes dans mon
silence tu m’aimes enfin quand je dors. » Cette dimension
amoureuse qui clôt le recueil saisit de façon quasi
onirique la fatalité d’un amour impossible et néanmoins
vital-mortel: le désir, l’absolue détresse de
l’addiction (« dans le monde bleu de l’oubli où je
suis avec cet autre depuis le début lorsque le soir je bois et
que ça n’en finit pas de se défaire de se découdre
tous ces mots qui tournent et qui retournent sans cesse ces mots
toujours les mêmes que tu n’entends pas … », l’absolue
détresse de l’attente et du ressassement (« Si elle
vient – mais elle ne viendra pas - , si elle vient – mais elle ne
viendra pas - , je lui dirai pour les papiers, que j’ai attendu
jusqu’au bout, jusqu’au presque bout, j’ai attendu qu’elle vienne, et
quand j’ai estimé qu’elle ne viendrait plus – tout en me disant
qu’elle viendrait peut-être… » ) , tout chavire et se
défait mais pourtant semble se maintenir comme les derniers mots
du poème le suggèrent
« Lui – Pour toujours là-bas avec lui, tu es avec moi,
Ô mon amour. »
Entre ces deux textes, une interrogation constante sur les mots «
comme rempart à l’en deçà, à
l’innommable. » C’est le travail du poète de creuser
cette béance, de nous bouleverser par la puissance verbale
même pour constater l’impuissance à dire et donc la
nécessité de dire dans un continuum (- On continue
alors ? / - Oui, tant que.) qui signifie que rien n’est absolu ni
définitif et que comme le dit Paul Celan il ne nous reste que
« le résidu chantable » et qu’il peut se
déployer à l’infini même de façon infime,
même à n’interroger que des riens, des fétus, le
bruit et le silence, la fatigue, la page blanche et même si
« Le plus difficile, c’est de continuer… car le souffle
manque, lorsque les mots sont aux abonnés absents, et que sasse
et ressasse ce vent mauvais, on n’a qu’une hâte, c’est que
ça cesse. »
Il faut croire que les mots reviennent et que les mots d’esprit,
l’esprit d’à propos, les trouvailles drôles, gourmandes,
savoureuses et inattendues qui sont le sel de la vie ne font pas
défaut comme le prouve ce recueil foisonnant. Et pour clore
cette étude voici « Du neuf au cinq » comme
une gourmandise un tantinet politique, mine de rien !
- Effacé, j’ai tout effacé, d’un seul coup, d’un
seul, plus de traces, y a plus qu’à faire du neuf.
- On pourrait peut-être commencer par faire du cinq.
- Oui, c’est peut-être judicieux de commencer par le cinq,
même si le neuf paraît comment dire, plus nouveau.
- Les gens veulent du stable, du rassurant en tant de crise. Partir sur
du neuf, d’emblée, ça peut les déstabiliser.
- Alors que le cinq, ça dure. Un quinquennat ce n’est pas rien
tout de même, même si.
- Et les traces ?
- Vous les avez toutes effacées, ça risque de poser
problème.
- Ne vous inquiétez pas, on va arranger ça.
- Comment ?
- On va faire comme si elles existaient toujours, les traces.
- Dites-moi.
- On va les reconstituer virtuellement. En 3 D.
- Ah ça, je n’y aurais pas pensé. Très fort.
- Du coup, on va proposer de faire du cinq, en leur vendant les traces
numériques. Et après, lorsqu’ils seront en confiance, on
passera au neuf, en les effaçant. On dira qu’il y a eu un bug et
ni une ni deux, tout le monde fera du neuf.
- Reçu cinq sur cinq, bravo, l’artiste. »
Oui, bravo l’artiste !
Tant que les mots disent, François Minod
( Éditions Hesse
(2015). Ses ouvrages sont illustrés avec des monotypes de
Catherine Seghers.)
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Tant que les
mots disent" de François Minod
présenté
par Dominique
Zinenberg
Juin 2016
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