Petite
étude sous forme de dialogue fictif sur
Le
ciel déposé là de Jean-Baptiste Pedini
aux
éditions de L’Arrière-Pays 2016
par Dominique Zinenberg
Tu vois, ce sont des poèmes en prose.
De courts poèmes. Quarante-quatre, si je ne me suis pas trompée. Tous à peu
près de la même taille, comme une série de tableaux du même calibre.
C’est comme si on regardait par la
fenêtre, Le ciel déposé là.
C’est abstrait ou concret comme
peinture ?
C’est difficile de trancher. Le poète
utilise des images, des personnifications, mais le récit est minimaliste,
la phrase presque sèche, l’émotion discrète, comme recouverte d’une écorce
ou d’une carapace d’objectivité, de neutralité.
Qu’est-ce qui est décrit ?
Selon la perspective envisagée, le
recueil peut être lu comme la traversée d’une journée, de l’aube à la nuit. L’aube vient et défait les attaches du
ciel. (p.7) Comme tirées du
carquois de la nuit. (p.46) Mais c’est aussi le passage de l’enfance à
l’âge adulte (le poète est encore très jeune, il est né en 1984) : Le matin tousse discrètement. La lumière
entre au goutte-à-goutte pour surprendre l’enfance. (p.11) D’ici peu, on sera sec et fripé de
mémoire et peut-être juste seul. Sans manies, sans tendresse, sans regards
fuyants. On y viendra, à cette soif-là. (p.37)
On peut également le percevoir comme
une traversée de multiples lumières, un nuancier allant du rai de soleil à
l’éclair de l’orage en passant par tout le prisme lumineux dont le ciel
nous délecte. L’or de l’éveil… Une
lumière monocouche qui en couvre chaque recoin. (p.8) C’est l’or au pli des roches…Un antidote
au quotidien cette lumière ocre que l’on prélève tel un sérum. (p.16) Les couleurs se glissent posément dans
les trous des volets. Comme petit arc-en-ciel que l’on vient de
prétrancher. (p.18)et un peu plus loin dans le
recueil, par exemple page 32 L’humeur
décline. La luminosité s’écrase tout au fond de sa niche, déjà prête à
ronger le jour.
A travers les bribes de poèmes que tu
as épinglés, on dirait que celui qui écrit se tient à distance de lui-même,
dans un rapport extérieur apparent qui rend cependant plus sensible encore
sa mélancolie, son côté écorché vif, je me trompe ?
Non, tu as raison. Aucun je, aucun moi,
des « on », des « quelqu’un », ou bien des formes
impersonnelles, des infinitifs parcourent ces courts poèmes qui tendent au
mutisme, au silence, à la solitude. Fuir le lyrisme, fuir l’effusion, fuir
le sentimental comme pour mieux recueillir la blessure du temps, de la vie
qui passe, de la douleur à être.
Y-a-t-il quelque chose en rapport avec
la spiritualité, ne serait-ce qu’à cause de la présence insistante de la
lumière dans ces proses ?
Je crois qu’il y a plutôt un mouvement
vers la déréliction qui semble survenir de bonne heure. La foi des origines
est vite rejetée, du moins c’est l’impression que donnent certaines
allusions. Je vais te donner un exemple page 9, puis quelques expressions
éparses dans le recueil :
L’eau
coule sur la faïence dominicale. Quelqu’un ébouillante des rêves à peine
entamés. Les bulles vont dans le ciel, reliées en un chapelet d’ombres. Un
encens léger s’en dégage et on ne dit plus rien. La messe est dite.
Comment ne pas remarquer l’étroite
superposition d’un geste du quotidien, prendre son petit déjeuner en
famille et l’allusion par le lexique au rite « dominical » de la
messe ? (Le ciel mystique et ordinaire, le mot « reliées »
(comme la religion) le chapelet, l’encens, la messe est dite) fin du petit
déjeuner, de la cène chrétienne, de la foi en ce rite ? Tout ici, dans
ce temps du début reste possible, mais par la suite, tout va se dégrader
rapidement en scepticisme quoique de façon insensible ou à double sens Quelqu’un ouvre la fenêtre et cette fois
on ne dort pas. On fait semblant. (p.11)
Le leitmotiv du faux-semblant commence
là. Il ne cessera plus de se glisser, comme une grimace, dans les interstices,
il prendra parfois un goût amer, bien que je ne perçoive pas pour autant de
l’ironie. De toute façon, le poète avait d’entrée de jeu prévenu que
l’éveil est « irrévérence » Dès
l’aube, on ne croit plus à la parole, ni aux rumeurs d’eau sucrée, ni aux
langues qui les taisent, ni à la fièvre évidemment. On résiste avec la
chair trempée de sueur. Les mots passent au travers et même l’horizon reste
incompréhensible. On reviendra demain. (p.15) La quête du sens va se
déployer de poème en poème Passé
l’orage, seul le regard fait sens. (p.20) Il manque un sens à l’aventure (p. 22) Il y a la chute et les trompe-l’œil (p.23) On est passé à côté de l’essentiel. (p.45) Rien d’autre n’est nécessaire pour renoncer au ciel. (p.49) et
les deux dernières phrases du recueil, ambiguës, secrètes Arrêter de courir après cette lumière.
Elle ne tient pas.
Je sens surtout, en effet, plus
d’ambiguïté que de certitudes ou d’incertitudes. Jean-Baptiste Pedini ne laisse aucun sens dominer, son geste de poète
permet des interprétations diverses, voire contradictoires. Tout un art de
la litote, du suspens non de la phrase mais du sens de la phrase simple (au
sens grammatical et lexical du terme) qui joue avec les mots, crée des
zeugmas, des comparaisons, des personnifications, s’empare de notre
imaginaire et rappelle des sensations d’enfance, joies et manques à
l’intérieur comme à l’extérieur de la maison. Alors on est en droit de se
dire qu’en est-il de ce ciel déposé
là, non ?
Quand j’ai lu ce recueil pour la
première fois, tu vas sans doute trouver cela bizarre, mais j’ai pensé à
Magritte et à sa fameuse formule « Ceci n’est pas une pipe ».
Comme en immédiat écho au titre du recueil de Pedini Le
ciel déposé là, il m’est apparu que l’enjeu auquel se confrontait le
poète était du même ordre que celui du peintre, dire haut et fort le hiatus
entre l’objet et sa représentation. Ce qui est déposé, ce qui est en dépôt
dans le recueil c’est un ciel, des ciels, des cieux ? en trompe-l’œil,
une tension vers le réel, une tentative d’appréhender l’ouvert (au sens rilkéen du terme) mais sans prétention, à l’aide de
mots, de phrases choisis avec rigueur, de façon parcimonieuse, nuancée,
dans une sorte de clarté énigmatique, une vraie voix de poète.
Et même si l’on sent par moments un air
et un paysage marins, l’ancrage dans un lieu particulier reste très ténu,
il n’en reste que quelques traces non décoratives car ce qui fascine le
poète c’est de suggérer le lent surgissement d’une conscience qui voit,
expérimente, ressent et pointe l’effacement.
D’ici,
on aperçoit à peine la lame rouillée du soleil. Ca vient et ça s’éloigne et
ça n’arrête pas de brunir. La lumière est friable, l’obscurité la
réconforte. On en aime le dépouillement et l’au revoir discret. Sans
larmes. Sans effusion. Sans fumée ni tambour. Sans même un bref salut. (p.30)
Je crois que je l’aurai longtemps près
de moi, ce léger recueil à la couverture bleu ciel, comme s’il s’était déjà
un peu déposé en moi !