LECTURE  CHRONIQUE


Revues papiers,
revues électroniques,
critiques et coup de coeur du livre.


ACCUEIL

________________________________________________________


ARCHIVES:  LECTURE CHRONIQUE

Regard sur l'écriture - Soleil et Cendres - Au coeur du cri... et plus

LECTURE -CHRONIQUE

 
- Journal d'un poème, Caroline Sagot Duvauroux (José Corti, 2007)

- La vaine attente Nadeem Aslam (Points, 2009)

- Fables des origines Henri Michaux (OEuvres complètes, Pléiade)

présentés par
Dominique Zinenberg

1. Journal d'un poème, Caroline Sagot Duvauroux (José Corti, 2007)
Immense chantier de fouilles charriant débris du monde, débris de langue et trouvailles irradiantes. Des axes parcourent ce texte rhapsode : Héraclite, des écrivains, des peintres (Cézanne, en particulier, et sa Sainte-Victoire), des poètes. Mais aussi la forêt « profonde » et ce qui fore et alerte, la pensée et l'enfance et l'expérience personnelle.

« /// c'était en forêt /// on a charrié ce qu'on n'a pas////////

la rivière et l'espoir //////////////////

serions heureux serions rivière

d'abord d'abord

et le sillage qui s'efface

l'illusion /////////// la rive illusoire//////////// l'allusion ////////

//////////////////////// / //// l'alluvion //////////// »

De grandes vagues de littérature en marche. Savante, la poétesse n'est jamais pédante : c'est plutôt comme si elle voulait se désencombrer de ces voix et faire table rase mais avec la forte intuition qu'il n'en sera rien, plus immédiat, le journal, aussi.

Tout est brassé, travaillé, pétri par la langue, tout peut passer du cacophonique au symphonique et c'est inventif, cru, audacieux et sans concession. Rapprochements fulgurants inédits entre diverses époques, divers univers de pensée de politique, de poétique dans un jet de phrase qui abolit le frein de l'anachronie : « La guitare d'un chanteur de New-Orléans fut sauvée du cyclone Cristina. Entre vivre et ne pas vivre, une guitare, pour Pablo Neruda, un fragment d'Héraclite. »

Le plus trivial (rabelaisien) côtoie le plus sophistiqué (rabelaisien!). « ça ne servait plus à rien d'être savant si tant est que/ Ni à chanter ni à mourir / J'aimais les savants pourtant/ Moins que le chant cependant beaucoup/ Je regardais les savants embarquer avec tout leur apprentissage/ J'admirais / le nouveau concept me plaisait moins que les voir embarquer malaisés rigolos enchapeautés ligotés de confusion jusqu'à l'abordage de l'embarcationlaborieuse par l'îlot égaré/ Oui j'aimais beaucoup ça fut un temps/ Fut un temps ça complique/ J'aimais beaucoup/ Je ne savais rien/ Hormis que oui soit non/ Premièrement »

La pensée n'est pas amenée, elle est saisie à vif dans ce qu'elle a encore de non pensée. Nous ne lisons pas un cheminement de pensée, mais la pensée en cours d'élaboration – une matière brute, extraite de sa gangue, diamant non serti quoique la disposition typographique, la teneur des propos, dans l'expérimentation même soient d'une sophistication de haute volée.

C'est une mine à explorer. Caroline Sagot Duvauroux, sans relâche, explore, ausculte, interroge la langue en son coeur, elle fouille et creuse ramenant des textes, consciente d'une perte inéluctable, assumée, consentie et douloureuse, tendue vers sa recherche ... parce que la poésie est l'innommable. « Voilà pourquoi la poésie arpentait ce qui se dérobait en cherchant un registre là où tout se dérobe. »


La coulée de lave des mots est accès au désir, à Éros et à la force de destruction à l'oeuvre en toute chose. Souffle, vie.

2. La vaine attente Nadeem Aslam (Points, 2009)

Ce roman se passe en Afghanistan entre les années 1980 et 2003. Il retrace les destins tragiques de plusieurs personnages de diverses nationalités. Le passé comme le présent mêlent les morts, les blessures, les mutilations, les horreurs interminables et qui s'enchevêtrent les unes aux autres depuis la guerre du Vietnam (peu évoquée) aux assauts des Talibans contre les Américains dans le temps de l'énonciation du récit. Le réalisme sans merci des cruautés décrites côtoie la poésie époustouflante des descriptions de paysages, d'odeurs, de peintures. La vie perdue est restituée dans sa beauté sensuelle et l'impression de fragilité de tout ce qui vit imprègne les pages magnifiquement écrites. Ne restent que des fantômes, des fragrances, des pierres fissurées, des livres cloués (crucifiés), un Bouddha soulevé dans les airs, survivant d'une culture que des hommes fous ont voulu détruire ; il reste aussi des papillons, des sourires, la musique. Bien que le roman ait une fin, on sent bien que le dessein de l'auteur est de suggérer le suspens de l'oeuvre à jamais inachevable, effritée, pétrie de ruines et de désolation : « Entre deux cyprès s'étire une toile d'araignée inachevée, pareille à une histoire laissée en suspens par un conteur. »


3. Fables des origines Henri Michaux (Œuvres complètes, Pléiade)

Pourquoi ne pas réinventer l'origine du monde? Pourquoi la Genèse ne peut elle pas être réécrite à l'infini avec saveur, force brutale, humour, simplicité?

Des dieux, des hommes, des gestes premiers, des inventions premières.
Comment invente-t-on ?

Quelle nécessité nous y pousse ?

Dévorer dans "Fables des origines" tient une place majeure. Le cannibalisme et plus généralement le goût effréné de la viande l'emportent sur tout et règlent les problèmes. On mange l'autre : base de la vie cruelle. C'est un peu comme dans "Ubu roi", farce, fantaisie, cruauté, cynisme, radicalité et pas du tout comme dans "Les Fables du monde de Supervielle" (ami de Henri Michaux) où les débuts du monde sont d'une douceur feutrée avec ce dieu «atténué» qu'évoque le poète.

Parmi les « origines » relatées par Michaux, il y a celle de la peinture.
Projection de morceaux d'animaux sur les parois de cavernes regardée comme représentation par une femme en train de faire l'amour et la conclusion du texte est : « Ainsi fut établi parmi les hommes combien l'image des choses est délectable. »


1. Journal d'un poème, Caroline Sagot Duvauroux (José Corti, 2007)
2. La vaine attente Nadeem Aslam (Points, 2009)
3. Fables des origines Henri Michaux (Œuvres complètes, Pléiade)

présentés par Dominique Zinenberg

Francopolis janvier 2015

 

Créé le 1 mars 2002

A visionner avec Internet Explorer