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Regard sur l'écriture - Soleil et Cendres - Au coeur du cri... et plus

   Petite étude sur le recueil de poèmes
de Josette Ségura,
Les éclaircies, éditinter 2015.

présenté par Dominique Zinenberg

  En une quarantaine de poèmes de longueur variable (comme le temps et comme la vie) Les éclaircies en un langage simple, presque prosaïque, évoquent des scènes de la vie quotidienne dans un paysage familier que l’on visite, que l’on traverse ou bien qu’on habite.

  Des noms de lieux résonnent (Saint-Amand-de -Coly, Saint-Geniès, la petite route de Thil, chemin de Compans, de Vassevin, Bazas, La corrèze, le Quercy, Rodez, Tarbes, Veilhes, la Montagne Noire, Boulaur, le petit port d’Auvillar…) qui, connus ou inconnus, s’ancrent dans une réalité dans laquelle les mots qui les entourent s’harmonisent. 

  Les lieux sont déjà une langue et un chant de la même façon que la voix de cet homme qui «livrait des œufs, sourire aux lèvres» et dont la poétesse rappelle que «sa voix rocailleuse cachait l’occitan dans le français». Il n’est pas nécessaire que nous ayons connu cet homme ni les lieux évoqués pour que l’allusion à la mort de l’un «Il ne descendra plus de sa colline avec sa voiture sans permis, / il est tombé avec les fleurs et les fruits, / c’est vrai qu’il se tenait là-haut comme un arbre, guettant les mouvements du ciel…» ou l’esquisse des lieux par ailleurs nous touchent concrètement, sensiblement.

  Dans ce quotidien où l’on vaque à ses occupations, les éclaircies ne sont pas que temporelles même si l’on sait presque pour chaque poème le temps qu’il faisait, la saison dans laquelle on était enveloppé ; elles sont surtout des moments de grâce.

  Soit parce qu’il y a de la beauté (ce mot est le premier mot du recueil «La beauté a traversé notre paresse, nos angoisses») et elle se tient en secret dans les mots, dans les bâtiments, dans la nature : «Nous sommes comme accueillies par cette cathédrale, / peut-être grâce à ce chant qui ne masque pas le silence, la verticalité,/ après le charme de la place, des villages qui ressemblent à de vieilles cartes postales,/ et puis partout la forêt, les brandes,/ les jeunes pins plantés après les tempêtes, les fougères, / la nature comme un chœur discret.» (p.25) Et un peu plus loin, le premier vers d’un poème dit «Recevoir de la beauté», oui, comme un don, une manne, la beauté se reçoit, elle nous est offerte.

  Soit parce que l’éclaircie naît de la superposition des époques, des souvenirs, de l’abolition momentanée de la mort quand on retrouve la sensation exacte liée à la personne disparue :
«Chaque fois que j’essuie ce ravier en cristal de Bohême, / je revois tes gestes dans la cuisine […] comme j’aimerais sonner à ta porte, te voir l’ouvrir, /après ta mort, j’ai longtemps cru que ça pourrait être encore possible, / longtemps.».

  Les éclaircies sont aussi des moments de suspens, fragiles, légers où des espaces séparés se confondent, des temps différents se superposent. «Recevoir de la beauté/comme dans le petit port d’Auvillar, /on peut se croire en Bretagne ou en Italie, / dans la chapelle des mariniers, trois hirondelles volent…»

  Ni les beautés de la vie : fleurs, fruits, oiseaux, campagne, jardins, églises romanes, cathédrales, lumières, voix, chœurs, chemins, fougères, herbes folles ; ni la vie passée des gens : photos, promenades, rires, excursions, travail, réjouissances ne sont écartés.

  Ni la maladie (la dégradation physique ou psychique) ni la disparition des êtres chers ne sont omises. Mais les mots sonnent juste pour dire tout cela. Aucune fioriture, mais rien non plus qui heurterait, serait du voyeurisme. «Le rire de cette amie/avant que la maladie, la morphine/ne fassent monter en elle le mépris, la haine, / oui, le rire de cette amie revue en rêve/qui court dans l’herbe de son jardin en robe rouge. » ou encore « Dans l’heure mauve, je l’appelais,/ bien sûr les jours étaient comptés/ mais il lui en restait/ et chaque jour comptait, il essayait d’en sauver en acceptant tout,/opération, soins multiples, / jusqu’au bout, la vie ici, / sa maison, ses poèmes, les amis, /le chemin d’encre qui le dépouilla.» (p.29).
 
  Peut-être en définitive Les éclaircies ne sont-elles qu’une métaphore pour dire la traversée du deuil et de la nostalgie de ce qui fut et qui a déserté le paysage extérieur et intérieur. Ce sont des trouées de vie, des étincelles qui honorent la mémoire des disparus, une sorte de colonne vertébrale pour se tenir digne et droit malgré les peines et le chagrin profond.

  La vie, cette éclaircie précieuse, intacte, vibrante de larmes et de lumière, est captée de façon délicate et précise sans emphase mais elle jaillit par les voix et les paroles restituées, les gestes de peintre, les pas d’une petite fille ou ses mots, la pensée vers une amie parisienne à qui les fleurs manquent «Ce bouquet de pâquerettes, cette jonquille, / je les enverrai à une amie à qui la nature manque à Paris…» et c’est un don que la poésie de Josette Ségura a su traduire et revendiquer avec force et humilité . Et c’est aussi le don que la poésie offre à chacun comme un bouquet singulier à un moment privilégié du jour :

                          « La douceur du soir »,
                          soudain l’angélus,
                         « c’est curieux
» dit quelqu’un «ça n’appelle à rien»

                         cette parole une petite feuille qui vole et retombe,
                         nous nous rassemblons autour de tes poèmes.


Les éclaircies, éditinter 2015 de de Josette Ségura

présenté par Dominique Zinenberg
septembre 2016


Créé le 1 mars 2002

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