En une quarantaine de poèmes de longueur
variable (comme le temps et comme la vie) Les éclaircies
en un langage simple, presque prosaïque, évoquent des
scènes de la vie quotidienne dans un paysage familier que l’on
visite, que l’on traverse ou bien qu’on habite.
Des noms de lieux résonnent (Saint-Amand-de -Coly,
Saint-Geniès, la petite route de Thil, chemin de Compans, de
Vassevin, Bazas, La corrèze, le Quercy, Rodez, Tarbes, Veilhes,
la Montagne Noire, Boulaur, le petit port d’Auvillar…) qui, connus
ou inconnus, s’ancrent dans une réalité dans laquelle les
mots qui les entourent s’harmonisent.
Les lieux sont déjà une langue et un chant de la
même façon que la voix de cet homme qui «livrait
des œufs, sourire aux lèvres» et dont la
poétesse rappelle que «sa voix rocailleuse cachait
l’occitan dans le français». Il n’est pas
nécessaire que nous ayons connu cet homme ni les lieux
évoqués pour que l’allusion à la mort de l’un
«Il ne descendra plus de sa colline avec sa voiture sans
permis, / il est tombé avec les fleurs et les fruits, / c’est
vrai qu’il se tenait là-haut comme un arbre, guettant les
mouvements du ciel…» ou l’esquisse des lieux par ailleurs
nous touchent concrètement, sensiblement.
Dans ce quotidien où l’on vaque à ses occupations,
les éclaircies ne sont pas que temporelles même si l’on
sait presque pour chaque poème le temps qu’il faisait, la saison
dans laquelle on était enveloppé ; elles sont surtout des
moments de grâce.
Soit parce qu’il y a de la beauté (ce mot est le premier
mot du recueil «La beauté a traversé notre
paresse, nos angoisses») et elle se tient en secret dans les
mots, dans les bâtiments, dans la nature : «Nous sommes
comme accueillies par cette cathédrale, / peut-être
grâce à ce chant qui ne masque pas le silence, la
verticalité,/ après le charme de la place, des villages
qui ressemblent à de vieilles cartes postales,/ et puis partout
la forêt, les brandes,/ les jeunes pins plantés
après les tempêtes, les fougères, / la nature comme
un chœur discret.» (p.25) Et un peu plus loin, le premier
vers d’un poème dit «Recevoir de la beauté»,
oui, comme un don, une manne, la beauté se reçoit, elle
nous est offerte.
Soit parce que l’éclaircie naît de la superposition
des époques, des souvenirs, de l’abolition momentanée de
la mort quand on retrouve la sensation exacte liée à la
personne disparue :
«Chaque fois que j’essuie ce ravier en cristal de
Bohême, / je revois tes gestes dans la cuisine […] comme
j’aimerais sonner à ta porte, te voir l’ouvrir, /après ta
mort, j’ai longtemps cru que ça pourrait être encore
possible, / longtemps.».
Les éclaircies sont aussi des moments de suspens,
fragiles, légers où des espaces séparés se
confondent, des temps différents se superposent. «Recevoir
de la beauté/comme dans le petit port d’Auvillar, /on peut se
croire en Bretagne ou en Italie, / dans la chapelle des mariniers,
trois hirondelles volent…»
Ni les beautés de la vie : fleurs, fruits, oiseaux,
campagne, jardins, églises romanes, cathédrales,
lumières, voix, chœurs, chemins, fougères, herbes folles
; ni la vie passée des gens : photos, promenades, rires,
excursions, travail, réjouissances ne sont
écartés.
Ni la maladie (la dégradation physique ou psychique) ni
la disparition des êtres chers ne sont omises. Mais les mots
sonnent juste pour dire tout cela. Aucune fioriture, mais rien non plus
qui heurterait, serait du voyeurisme. «Le rire de cette
amie/avant que la maladie, la morphine/ne fassent monter en elle le
mépris, la haine, / oui, le rire de cette amie revue en
rêve/qui court dans l’herbe de son jardin en robe rouge. »
ou encore « Dans l’heure mauve, je l’appelais,/ bien sûr
les jours étaient comptés/ mais il lui en restait/ et
chaque jour comptait, il essayait d’en sauver en acceptant
tout,/opération, soins multiples, / jusqu’au bout, la vie ici, /
sa maison, ses poèmes, les amis, /le chemin d’encre qui le
dépouilla.» (p.29).
Peut-être en définitive Les éclaircies ne
sont-elles qu’une métaphore pour dire la traversée du
deuil et de la nostalgie de ce qui fut et qui a déserté
le paysage extérieur et intérieur. Ce sont des
trouées de vie, des étincelles qui honorent la
mémoire des disparus, une sorte de colonne vertébrale
pour se tenir digne et droit malgré les peines et le chagrin
profond.
La vie, cette éclaircie précieuse, intacte,
vibrante de larmes et de lumière, est captée de
façon délicate et précise sans emphase mais elle
jaillit par les voix et les paroles restituées, les gestes de
peintre, les pas d’une petite fille ou ses mots, la pensée vers
une amie parisienne à qui les fleurs manquent «Ce
bouquet de pâquerettes, cette jonquille, / je les enverrai
à une amie à qui la nature manque à Paris…»
et c’est un don que la poésie de Josette Ségura a su
traduire et revendiquer avec force et humilité . Et c’est aussi
le don que la poésie offre à chacun comme un bouquet
singulier à un moment privilégié du jour :
« La douceur du soir »,
soudain l’angélus,
« c’est curieux » dit quelqu’un «ça
n’appelle à rien»
cette parole une petite feuille qui vole et retombe,
nous nous rassemblons autour de tes poèmes.