LECTURES -CHRONIQUES
Le
Maestro de Thomas Saintourens
« A la recherche de la musique des camps »
présenté
par Bernard Nègre
Rudolf
Karel musicien tchèque et résistant est
arrêté en 1943 par la Gestapo et enfermé dans la
sinistre prison de Pankrac à Prague. Froid, faim, maladies,
tortures, exécutions sont le quotidien des prisonniers.
Karel va y rester 2 ans avant d’y mourir d’épuisement. Dans sa
cellule il n’arrête pas de composer… sur du papier
hygiénique à l’aide d’une écharde de bois et du
charbon provenant des cachets de charbon utilisés contre
la dysenterie. Il a pu faire passer les morceaux de papier à
l’extérieur grâce à la complicité d’un
gardien tchèque.
Alexander
Kulisiewicz
est un résistant polonais. Arrêté en 40, il passe 5
ans dans le camp de Sachsenhausen. Musicien, comédien il est
aussi doué d'hypermnésie et à la libération
en 45, il restituera de mémoire plus de 2000 chansons et
poèmes qui circulaient dans le camp.
A Theresienstadt
Viktor Ulmann compose un opéra « Der Keizer von
Atlantis
», l’histoire d’un empereur qui décide de faire la guerre
au monde entier et invite la Mort à le suivre. Mais la Mort
refuse et l’empereur doit faire une guerre sans morts. Les nazis
comprennent vite l’allusion et tous, compositeur, librettiste et
membres de l’orchestre, sont mis dans le prochain train. Un seul
survit, il s’est présenté à Mengele comme
travailleur manuel.
A Theresienstadt,
Hans
Krasa compose Brundibar, un conte pour enfants qu’il met en
musique. La
pièce musicale est un succès immense dans la
cité-ghetto et même les SS assistent aux
représentations. On la joue aussi devant le Comité de la
Croix-Rouge lors de sa visite au camp. C’est la dernière
représentation. Après cette visite tous les participants,
musiciens et acteurs (des enfants) sont envoyés au train.
*
Voilà
quelques unes des histoires racontées dans ce livre, où
et comment la musique des camps est née et a survécu.
Le
Maestro c’est Francesco Lotoro, pianiste italien, né
en
1964
à Barletta dans le tendon d’Achille de l’Italie. Tout jeune
Francesco veut un piano, ce qui est surprenant dans une famille
où la seule musique qu’on ait jamais entendue est la Traviata
chantonnée par le père quand L’Inter Milan gagne au foot.
Son père est tailleur, sa mère pantalonnière
c'est-à-dire qu’elle fait les ourlets de pantalons, et quand il
n’y a pas d’ourlets à coudre, elle coud des boutons.
Mais
un piano ça dérange surtout quand la maison est petite et
la famille grande… ou qu’il y a du foot à la télé.
Alors on déménage le piano de Francesco dans un hangar
dans la zone industrielle de la ville et là tous les jours
après l’école Francesco va jouer jusque tard dans la nuit
en éparpillant les notes dans la zone industrielle.
Francesco fait le Conservatoire
de Bari, puis le Conservatoire
Frantz Liszt de Budapest,
joue avec Aldo Ciccolini. Bref ! Il est promis à une
carrière de concertiste.
Un jour en 1990 en
feuilletant son encyclopédie musicale il remarque que de
nombreux grands musiciens étaient morts entre 1943 et 45 et que
le nom d’Auschwitz revenait souvent. Connaissant la plupart de ces
musiciens pour les avoir joués, il décide de se
rendre à Prague pour élucider leurs derniers moments
…Ullman, Karel, Schulhoff, Klein, Krasa, Haas, Schächte…
Il arrive à
Prague les mains vides. D’une bibliothèque à l’autre,
d’un musée à l’autre, Francesco devient une souris
d’archives. Au bout de trois semaines il repart avec trois valises
pleines de partitions qu’il a photocopiées ou recopiées
à la main.
Cette première
visite à Prague et Theresienstadt est décisive pour
Francesco.
A partir de ce moment il décide de se consacrer
entièrement à ce projet de recherche des musiques
écrites dans les camps. Projet qui devient très vite
démesuré tant les totalitarismes se portaient bien avant
et pendant et après la seconde guerre mondiale. Des milliers de
camps, des dizaines de milliers de musiques.
Le but de Francesco
n’est pas seulement de collecter des partitions pour les classer sur
des étagères mais de les faire revivre en les
jouant dans leur forme originale. La tâche n’est pas simple parce
que les partitions sont souvent en mauvais état,
incomplètes, codées, inachevées, parfois orales
seulement. Alors il faut d’abord les déchiffrer, les
réécrire, les compléter, les vérifier avant
de pouvoir les interpréter.
Pour
Francesco la tâche est énorme mais c’est un
passionné et un bourreau de travail. Les jours sont trop courts
? Alors on les rallonge de nuits. Francesco a même acquis
un
piano numérique où il enlève le son pour respecter
le sommeil de Grazia sa femme.
Depuis 25 ans une
petite maison en béton dans la banlieue industrielle de Barletta
au fond de l’Italie est le centre mondial de la littérature
musicale concentrationnaire.
Sonates, concertos,
symphonies, opéras, chants, lieders, messes, mais aussi jazz,
contes musicaux, chansons, music-hall, 5000 partitions… voilà la
récolte de Francesco… voilà ce qu’il joue, ce qu’il
enregistre avec ses copains musiciens qui le plus souvent doivent se
contenter des plats de spaghettis de Grazia pour tout salaire.
Dans son livre Le
Maestro Thomas Saintourens nous retrace le combat du Maestro
Lotoro, le
« cinglé de Barletta », sa
détermination, son
exaltation, ses problèmes d’argent, ses moments de
découragement. Le récit est bien mené,
rythmé, anecdotique, il nous amène tantôt dans le
quotidien de Francesco tantôt dans l’histoire de ces musiciens la
plupart inconnus. À priori le sujet peut sembler funèbre
mais
très vite on devient proche de ces musiciens disparus et de
ce Maestro passionné qui les fait revivre.
Finalement
l’optimisme l’emporte parce que la musique est une force vitale que la
pire des barbaries ne pourra jamais anéantir.
Bernard
Nègre
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*Á ce jour, 48
CD de musique concentrationnaire ont été
enregistrés et édités
sous la direction de
Francesco Lotoro.
Liens:
- On peut
acquérir ces CDs via internet (éditions Musikstrasse)- catalogue...
- Tangos, sonates ou
symphonies: Francesco, un
Juif italien...(A
ce jour, il a retrouvé 4000 morceaux)
- On peut aussi
l’écouter sur Spotify,You Tube ou autres, en tapant par ex
« Lotoro KZ Muzik »
- Article
sur cette recherche de Thomas Saintourens
- La musique
composée dans les camps et Francesco Lotoro, reconstituer la
musique des camps
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Le Maestro de
Thomas Saintourens
« A la recherche de la musique des camps »
présenté par Bernard
Nègre
novembre 2015
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