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AHMED ZIANI, POÈTE AMAZIGH
par Hassan Benhakia
"Igembab yarezun x wudem-nsen deg ugembub n waman"
Traduire de la
poésie amazighe est une tâche à haut risque, mais
en même temps un exercice agréable et d’esthétique,
voire une épreuve cérébrale où nous sommes
appelés à penser en plusieurs langues et à sonder
plusieurs cultures, à connaître les confins de la langue
dénuée de tradition écrite. L’on découvre
ainsi les trésors de sa propre culture, l’on défait la
langue maternelle en mille labyrinthes pour retrouver les arcanes de
l’être millénaire.
Lire les poèmes de Ziani, c’est sonder cet être
nord-africain, méditerranéen, mais surtout maure,
numidien et amazigh. Par le biais de la langue. Sa poésie est
recherche de cette culture millénaire. Par le biais de la
conscience.
De là, le titre « Igembab yarezun x wudem-nsen deg ugembub n waman
». Le poète apparaît un chercheur infatigable.
Entend-il trouver les significations des airs, des teints, des visages,
des images, des formes, des masques et des Imazighen ?
Comme une chanson de la vie, sa poésie entend vaincre toutes les
abominables vérités, rechercher la face de la
vérité loin de toute altération,
aliénation, déformation, mystification et
envoûtement.
Si la poésie est souvent présentée comme un art
d’ornementation ou d’engagement, chez Ziani elle est un vague silence
strié de symboles que les lèvres déterrent
violemment, un cri d’amour et d’espoir cerné par mille
misères humaines, comme la vie. Elle est la vie. Son
poème se présente comme un chemin aveuglé par les
flots de lumière, scandé d’une ponctuation infinie et
indéfinie, un chemin de libertés écrites. Il est
une arrivée infinie où le lecteur délaisse souvent
son âme et ses rêves, comme dans la vie, pour embrasser
ceux du poète.
Sur le plan de l’héritage poétique rifain, Ziani a vraiment innové. Ce troisième recueil « Igembab yarezun x wudem-nsen deg ugembub n waman », après « Ad arig deg wezru » et « Talewliwt i Mulay
», se présente comme un aboutissement poétique,
fort éloigné du point de départ, phase
d’apprentissage. Les poèmes apparaissent plus achevés,
fondés sur une pensée plus profonde.
L’on peut donc dire que le poète ouvre une voie, une nouvelle
voie dans la poésie amazighe. Quelle voie ? Plutôt quelle
voix ? Est-ce cette quête infinie de l’amour total ? Est-ce cet
univers où le rêve et la réalité
dérivent par une force surhumaine vers le vœu absolu de l’homme
amazigh ? Est-ce ce clair-obscur qui obnubile la pensée du
poète ? Cette voie-voix est tissée comme fixation des
airs et des tons; la phrase apparaît syncopée, munie d’une
complexité culturelle précise.
A l’encontre des autres poètes rifains, Ziani affirme son
désintérêt à l’égard de la rime
monotone et sans couleur, des mesures et des rythmes anciens afin
d’enrichir structurellement le patrimoine. Seule la coordination simple
et intelligente des éléments syntaxiques peut
parfaitement fixer l’être nomade (l’amazigh) et la langue
à écriture effacée (tamazight).
Les poèmes du recueil découvrent une voix qui exploite
infiniment le fonds intérieur de l’écrivain. Le
donné autobiographique tisse également plusieurs textes.
Ses amours, ses préoccupations, ses vœux, ses rêves et ses
douleurs demeurent l’essence du texte, par conséquent le lecteur
ne peut échapper à l’emprise forte du poète.
L’art poétique, selon la tradition rifaine, se confond avec une
structure mnémotechnique. La poésie de Ziani provient de
la mémoire orale, celle qui pare l’oubli. Le poète
apprend par cœur ses vers, il ne cesse de les répéter,
comme si l’œuvre du poète se résumait à un seul
texte continu, voire total.
En revanche, la recherche est à la base de l’écriture de
Ziani. La netteté, le travail de la forme et la connotation
culturelle sont les principaux axes d’élaboration d’un
poème. Même si la base demeure structurée sur
l’antinomique, le binaire et le dialectique, il y a toujours travail ou
tentative à fonder le parfait. La perfection formelle ou la
recherche incessante de formes ? Les figures poétiques et les
images sont indispensables pour tout poème. Les assonances, les
constructions métaphoriques, les répétitions
enrichissantes sont recherchées à tout moment du
poème. La régularité du ton des poèmes de
Ziani rend étrangement son texte pluriel. Prédilection
exagérée pour les répétitions. La
composition polyphonique est assurée par des insertions de
« Tenna » ou « Yenna » et « Nnig
». Et c’est au lecteur de dire quelque chose sur soi ! Sous
l’écrit (ou le fixé physiquement), la voix vibre avec
force.
Force est de souligner que la chaleur demeure un aspect
prédominant dans la construction du poème. Ses mots sont
greffés d’un rayon de lumière. La recherche de la
lumière « humaine » est centrale dans le recueil.
C’est pourquoi, les images pullulent dans le texte. Effet de
réel. Point de lyrisme gratuit qui édifie des moments
gratuits. Ainsi, la clôture du poème est-elle un
decrescendo signifiant, comme l’extinction.
En effet, à l’instar de notre culture sans écriture, la
pensée du poète est tiraillée entre le lumineux et
l’obscur, entre l’être et le néant. Pour être, la
langue est indispensable. Précisément, il faut admirer
dans ce recueil la maîtrise de la langue « tamazight
», de la pensée amazighe et de la culture amazighe.
En conclusion, le message du poète se résume à la phrase suivante : « Sois la poésie, je suis l’amour. »
Transposer le vœu rifain « asitem », tant
réitéré dans le texte, demeure l’idéal tant
nourri par le poète.
AHMED ZIANI Francopolis juin 2010 recherche Ali Iken