Thème d'écriture :
Boules d’hiver, flocons d’enfance

 



moi

je garde toujours une fenêtre

un peu entr'ouverte

... à cause des étoiles battues

qui n'ont pas de refuge


aaron






composition-photo...aaron


Février arrive sous le froid et les amours. Couvrez d’une écharpe la lune et les étoiles, posez-vous sur un oreiller d’herbes et venez ouvrir la fenêtre de la rubrique « Vos textes ». Lecteur, j’espère que quelques-uns de ces flocons viendront saupoudrer de lumière votre matin.

Liette Schweisguth
                       


Impromptu pour la première neige


il neige, j’écris, très fine
les doigts tachés de flocons
comme des mandarines

la fenêtre voltige
dans son poids transparent
dans son frêne millénaire
il neige
comme un caprice d’enfant

le jardin fait les cent pas
en bottes chaudes et miel blanc
amasse son butin de lumières
l’ombre chinoise des sapins

au bas de l’arbre
une aile bat affolée
filament cassé
les hanches à mi-neige
le froid jusqu’aux poumons

arrive une corneille
s’attendrit
lui chuchote une messe à l’oreille
l’embrasse
et tue
d’un coup de lèvres

puis s’en va

laissant sur la neige
comme une clé rouge


aaron

SOMBRE


rongés
par un insecte invisible
les os
deviennent transparence
cartilages


squelette prêt à s'effondrer
poupée de son


Il le sait
si la luciole s'éteint
si le vent
les arbres
le chant du coq
tout cela ne le porte plus

il deviendra méduse
une méduse inoffensive
molle
blafarde

il se souvient des catacombes

il était pourtant illuminé

par le soleil de l'an dernier

tout s'est éteint depuis l'aurore de l'automne

la bise souffle en tourbillons

fourmi




Cyprès

Tous les arbres ont des larmes sauf qu'il y a ceux qui pleurent plus que les autres,
comme le cas du pauvre saule.

Le cyprès, lui, ne pleure jamais. Il paraît qu’il ne demande rien à la terre ; lui il pleurniche vers le haut…
Il est obsédé par la verticalité comme s’il n’avait jamais,-on dirait, goûté au plaisir de la station debout
ou que son ancêtre était un handicapé ou un figuier de barbarie...
Mais quand l’usure hante ses quelconques chants d’un dégoût il entame sa course

derrière la nudité de son automne
revoir les airs de cendre
greffés à sa vitre étoilée à l'heure même des vents
qui soufflent
même si l’hiver est là
au creux voluptueux de son errance
sous l'étoile fâchée de l’hiver
il se laisse nourrir des larmes
de l’ineffable magie des tours.

Heureux sont les arbres !

Ali

***********

Quelques oiseaux dans la lumière crue. Le sommeil brillant d'une vieille carte de Noël.
Un bleu de froid de coton sans entaille. L'hiver. Et toi que je voudrais. Tout est à venir, le printemps et l'insolence du printemps, les pas, les traces, les semailles, les alcôves écarlates des chambres de l'été, l'incendie sur la mer. Et les rousses d'octobre promptes à se dévêtir. Sous les marques du blanc ruisselle l'abondance. La carte de janvier plante ses candélabres. Je dis l'étoile est rouge, tu la verras de loin. L'imaginaire nu du premier de janvier attend son papier peint. Au bout de la jetée, j'imagine des ailes, des haricots magiques et quelques oiseaux fous. Et tous ceux qui m'ont faite, du plus loin qu'ils m'ont faite rient quand je m'émerveille. Chaque rien étincelle. Dans la lumière crue, une tendresse en ongles pour la terre durcie dépose ses voilures. Les mains sur ce mica, j'écarte mon regard, j'écoute mon enfance. Entre la neige et moi, quelques gestes de plus. Entre mes doigts, la place. Tout est complice.

Hulotte



Miroir de décembre

maintenant Monsieur
vous m’avez appelée " Madame "
maintenant Monsieur
vous êtes un étranger dans la tempête
ici le froid subsiste longtemps
après la poudre du vent

la nuit n’est pas le silence
pas plus que la neige sur ta langue
le vrai celui de nos ombres
léchant un ciel glacé

cette plainte a le droit
d’être ce qu’elle est
une image dans une boule d’hiver

Christiane

****
à peine

ils disent nous mourons
ils disent des choses atroces
toi tu marches en sourire
sur la pointe du temps

ils n'ont même pas vu
que tu es loin devant
déjà
au tournant de l'aurore
juste avec la lune
petits pas blonds
course à bout de souffle
éclat

ils disent rien
ils voient pas
toi tu parles à peine
les anges sont à côté
je t'en prie
ris et balbutie
mais ne pleure jamais comme eux

Karl

Le chemin d’Ophélia

au mur craquelé
d’une ombre qui l’emporte.
il est comme un théâtre
comme un lieu qui s’enfuit


d’un silence en voyage
un claquement de porte
il est cette âme morte
qui chaloupe la nuit


le temps pour très longtemps
d’enfiler ses costumes
des plaintes sans mémoire
tapinant des regrets


aux voix que je rencontre
et des sols qui craquent
il ne reste qu’un songe…


au-delà d’une page, la parole emmurée …
au-delà d’un visage, un chemin verrouillé
un cailloux sous la pluie


j’entends-là qu’un écho
un son mat où résonnent
des orgues d’infini.


un chant grave et moqueur
quand le diable vient boire

à ma mélancolie




Rapsode


LE HUITIÈME JOUR

Je me suis tu longtemps avant d’écrire un mot. Je continue en écrivant.

On a recouvert la terre d’une prairie de miroirs. Il y a toujours plus à dire qu’on ne voit. Les trois couleurs d’une robe font des kilomètres de fil. Il y a toujours des clefs pour les portes dessinées, des ailes invisibles pour le vol des anges. Il y a dans la poussière des fleurs à venir, de l’herbe dans la pierre, du rêve dans les choses pour qu’on puisse les  nommer. C’est le huitième jour de la semaine qui mange tous les autres. On aperçoit parfois ses traces de doigt sur un calendrier, parmi les miettes de pain, sous les minous de poussière, les secondes arrêtées sur une montre, les bas qui disparaissent au lavage.

Depuis le premier mot, je marche sur l’abîme.

Il y a toujours une attente précédant la lumière. Assis sur une pierre, je touche de la main sa propre attente. Je compte les brins d’herbe sous la neige. Je cherche encore la bille échappée dans l’égout, celle qui mène vers la mer. Je n’ai retenu de l’école que l’alphabet et le vol des oiseaux derrière les fenêtres. Ils me semblent procéder du même mouvement. Les hommes n’ont pas la patience des choses. Ils veulent qu’on les voie pour être. L’orgueil les empêche de regarder plus loin. La beauté du myosotis est dans la petitesse de sa tige, celle de la rose dans l’épine.

Les mots s’usent à la longue, il faut les remplacer.

Je cherche l’air entre les lignes, un brin de paille, un grain de sable. La colline aujourd’hui est une gare de triage. Des trains de neige y déchargent des wagons de flocons. Les traces des skis sont des rails éphémères. La langue sur un glaçon, je réchauffe la vie de la buée des mots. Je ne me résoudrai jamais à être malheureux. Chaque matin, je regarde le monde comme un nouveau-né. Je laisse aux autres les journaux et les heures à compter.

On écrit avec des fantômes qui deviennent vivants.

Je défais une à une les enveloppes du temps. Les ombres sont des housses protégeant la lumière. Il y a comme une fissure entre les choses par où s’échappent les images. Il y a des mots qui sont comme de l’eau souterraine, on les entend sans les voir. L’herbe comme les pas sur la neige est un commis aux écritures. Les feuilles sont si belles à l’automne. On n’ose plus marcher quand elles tombent sur le sol. On glisse entre les arbres comme les clefs d’une portée. Quand le vent souffle trop vite, les trains des nuages en oublient leurs bagages de pluie. La gare reste vide comme les yeux des vaches.

On écrit toujours avec des bouts d’enfance.

Je suis un petit caillou, une voyelle oubliée. Je puis être aussi un énorme rocher, une phrase encombrante que l’on doit gommer pour regarder le monde. Même adossé à l’immortalité, le bonheur se répare avec de simples outils, une fleur à mollette, une fraise, une épine. Quand le pain manque, chacun apporte son grain de blé, son bout d’humus, ses larmes à défaut d’eau de pluie. Même en voyage, j’entretiens mon jardin. Les mots me servent d’arrosoir pour les fleurs nomades.

J’écris avec des poings de lait au bout de mes deux bras.

La robe de ma voix se découd de partout. Quand elle tient, c’est par miracle. J’ai traversé la mer en charentaises, une île dans un œil, le ciel dans l’autre. J’agrandis l’horizon d’une phrase à l’autre. Ne cherchez pas ici le sens ni la forme. Le mot est une mise en abîme, une main d’été posée sur un glaçon, un éclat de soleil s’accrochant aux gouttières. Le rêve s’avance debout entre les balles du réel.

Entre la main et le front, les mots tracent la route.

On me voudrait portier, porteur d’eau, brandisseur de drapeau mais je ne sais qu’ouvrir les portes des nuages et faire entrer la mer dans un verre. Chaque pierre est une montagne. Chaque oiseau est un ciel. Chaque image est peuplée de gouttelettes de mots. Un jardin pousse sur la table entre les assiettes et les miettes de pain. Les oiseaux  nagent devant les vitres comme de vagues musiques. Ma montre, ce sont les tournesols. Je pivote avec eux. Je tricote la vie avec du fil de terre, des pétales de rose, des brindilles, des épines. J’écris sur la pointe des pieds. Je marche sur les mains. Je cache dans mon cœur un immense appétit, un petit oui d’enfant, une caresse de loup. Je résiste à la haine avec dix ou vingt mots.

JML


Il est dans son cou quand elle met en arrière sa tête et ses cheveux
Une veine si bleue
Si mouvante qu’on peut en se penchant dessus y voir une rivière

J’ai vu sur le cours régulier où va ce fleuve
Passer des chalands pleins de chansons sans refrain
De visages éteints comme ceux des photos sur un buffet de veuve

J’y ai vu les baisers que des amours jetèrent à l’eau par-dessus cœur
Des remous de bonheur
Une vague douleur qui au gré d’un soupir remontait solitaire

Et souvent dans cette eau j’ai tenté des noyades
Voulu y naufrager
Mais sur l’onde glacée sous ma bouche appuyée
Son rire à chaque fois fit battre une cascade.

Yann Blev


********

Maman

On vit, on écoute, on avance et on écrit parfois.
Et puis on se découvre au milieu d’une foule, homme parmi les hommes, homme parmi les choses….

Mais notre place était d’Ailleurs
Tant de silence
Tant de douceur
Et tant de solitude… De tendre solitude…

Un lieu si grand, si beau, si chaud…
Et cette voix comme un écho... Et qui résonne, et qui rassure… Et c’est très bien !
Les clapotis de l’eau... Toute cette eau
Cette éternité creuse, tellement dépeuplée, sans juges, ni chimères
Comme une profondeur
Comme des mots mouillés, liquides des pensées, des haltes de silence...

Ces mémoires immobiles et rondes, qui nous emmènent au loin, avec nos yeux fermés sur l’inconnu…
Cette voix douce et tendre...
Cette voix mate
Cette voie d’eau... Au paysage aveugle

Celle d’un ventre tiède, illuminé.
Cette voix blanche, qu’un souvenir s’y est noyé…


Ce lieu, comme un désert, un pays du dedans, immense comme un Être
Immense comme un cri
Immense comme Toi...

Je me souviens d’avant
Je me souviens enfant
Maman …tu sais
Parfois... Je me souviens.

JG


Quatre heures…

Les couleurs de mon voyage ont pali. C’est l’absence.
Aujourd’hui, les arbres jaunes près de la passe,
le glissement soyeux de la barque craquante,
et les radieuses rives s’estompent dans la brume…
Comme à la prime enfance le monde est vaste et rond.
imperceptible, aux soirs de mes périples, chatoie
une flammèche mouvante et sauvageonne…
Un vieux parfum de miel et de Quatre heures…
l’oubli est pour bientôt, chuchote-t-on… Tendre et profond…
Un chapitre à relire m’attend à chaque pas,
la vie est un puzzle et mon sillage se voile…
me restent dans les yeux comme à la prime enfance
le monde vaste et rond…
un vieux parfum de miel…
l’oubli est pour bientôt…
j’aimerai mon Quatre heures…

Pascal Duf

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Un pain d’épices


L’enfant dit, c’est quoi le bonheur ?
Elle arrête son travail, réfléchit, demande s’il veut un chocolat chaud. L’enfant aime le chocolat chaud. Le bonheur ? C’est une lettre tendre, le fiacre d’un regard, l’audace des prières, des mots plus larges que leurs sens, une éclaircie de rires, la voix du chat, le feu aux hanches des châtaignes, le ventre d’une femme qui arrondit la vie, la lumière rompue éclaboussée de feuilles, l’urine du vieux loup sur la plus vieille pierre. C’est la glaise qui s’ouvre une nouvelle fois sur la semence lente, c’est l’amour non trahi et les yeux qui pardonnent. C’est la main de ton père sur le bois de l’hiver. Elle rit dans ses mots, se penche vers l’enfant, l’embrasse. Bois ton chocolat, le bonheur c’est un pain d’épices hors saison. Et l’enfant rit qui ne comprend pas tout mais saisit la chaleur, la courbe de sa mère.

Hulotte

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Quelqu'un me manque

Les années défilent comme les bougies d'un gâteau qu'on mange
d'un château de sable qu'on habite
On l'aurait fait sur une dune, frottant les brindilles contre le coquillage, chaque jour
Il serait parti à la mer retrouver le corail, chaque nuit
le vent soufflant a faire s'éteindre les flammes

Je m'accroupis sur le temps tel un peau-rouge au sommet d'une montagne
je me parais soudain pesant.
lent.

Les sensations m'affleurent comme les vagues surviennent
et je me souviens assez bien

J'siffle un petit air vif
m'imagine un enfant

pis j'y songe.

Kel

***********




la luciole ne s'éteint jamais
l'appel ténu
de sa clarté
frémit
dans les fleurs de la mer

mais
difficile
ce dièse
dans les rameaux dénudés

Lilas

********

NORD           

tous les étés du monde           
ne peuvent remettre           
le tournesol sur sa tige           

maintenant le froid           
veille sans mémoire           
sur des parfums conifères           

consentement           
des cailloux blancs         
qui s’envolent          

sous l’œil d’un harfang           
qui définit l’hiver         

Christiane         

******************        

    Pour bondir vers d’autres rêves, cet haïku en souvenir de Niji Fuyuno
    (Elle avait fondé la revue Mushimegane avec Ryu Yotsuya)

Vers la côte lumineuse

Je lance

Une boule de neige

Niji Fuyuno


création aaron



r
echerche 
Juliette Schweisguth , février 2006        

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