Le Salon de lecture

 

Des textes des membres de l'équipe ou invités surgis aux hasard de nos rencontres...








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Éric tout court
par Éric Dejaeger




 





L'ÉCRIVAIN

UN JOUR, IL se mit à lui pleuvoir des mots sur la tête. Continuellement. Des mots et encore des mots, à diguedaille, en pullulence. Fataliste, il n'y prit garde. Après la pluie vient le beau temps. Mais lentement ses oeillères je-m'en-foutistes s'ouvrirent à une patience qui s'éroda peu à peu.

Un jour, totalement excédé, à bout, il se mit à attraper des mots. Chaque fois qu'il en tint un, il le ferrougea vengereusement sur le papier. Sans coeur ni fête. A vau-l'ivre. Des "...pirouette autrefois sa callipyge éradiqueront soudain du mascarade à demain enfantines..." dont il voluma des centaines de pages.

Un jour, sous l'intarissable averse, sans qu'il en fût pour le moins responsable, les mots se déhasardèrent en une séquence sensée "...tu cherches ta pensée au fin fond des orages où de larges éclairs lézardent ta vision". Étonné, il suspendit sa préhension mécanique et regarda longuement le tatouage défigurant cette nouvelle page. Il comprit! Il décida sur le champ de s'approprier tous ces mots qui lui pleuvaient sur la tête dans le but de les sélectionner et d'en agencer le reliquat en un chef-d'oeuvre impensé. Illuminations! Eclairs rances...

Ce jour-là, pour la première fois, il leva les yeux afin de délettrer ces torrents qui lui pleuvaient sur la tête. Les mots, voulant se faire remarquer de ce regard nouveau, se mirent à lui surpleuvoir sur la tête, cordés, hallebardés, cats-and-dogsés! A seaux! A verses! "...poignard..." lui creva un oeil, "...pugilat..." lui fractura la mâchoire inférieure, et "...enclume..." précéda de peu "...fin".

 

L'AUTRE

IL APPREND AUX chiens à démonter la garde. Il apporte des cercueils aux chrysanthèmes fanés. Il déterre le calumet de la paix pour enfumer la hache de guerre. Il éconduit sa voiture. Ne lavant pas d'injure, il n'a jamais à en essuyer. Il enjoue les pelotons d'exécution qu'il désarme à feu et à temps. Il met l'eau à la poudre et jette la poudre aux cieux. Il délivre les pages de leurs couvertures. Il déclame ses défaites et décline toute victoire. Il enconne les chants patriotiques. Il sourit aux nues lorsqu'elles sont mignonnes. Il ne s'y croit nulle part, étant toujours ailleurs. Et quand un enfant meurt, il pleure.

 

PROSE À HIC
25 textes à l'humeur changeante avec 25 illustrations originales de Béatrice Gaudy - Préface de Jean Claude Bologne
Éditions Gros Textes, Font-Fourane, 2001 (68 pages)








 

 



CULTURE INTERNET (IV)

          Par curiosité, il tapa RETNE. Puis enfonça la touche ENTER. L'imprimante disparut, la tour se changea en encrier, le clavier en plume d'oie et le moniteur en parchemin auquel la souris s'attaqua illico.

 

CULTURE INTERNET (VI)

          Marre de vous empiffrer au lieu de surfer ? Peur de laisser tomber un morceau de poulet andalou en grignotant au-dessus du clavier ? Nous avons la SOLUTION ! Le L.S.D. Grâce à lui, plus besoin d'interrompre vos incroyables EXPLORATIONS pour bâfrer. Une petite fringale ? Un saut sur notre site COMESTIBLE.COM et vous choisissez ce qui vous fait envie. Vous téléchargez, transférez sur disquette et insérez celle-ci dans votre L.S.D. qui vous permet d'absorber tranquillement d'excellentes protéines digitales. Anesthésie locale, quatre heures d'hospitalisation, pratiquement invisible en maillot, vous ne regretterez pas votre Lecteur Stomacal de Disquette. POUR UN PRIX SANS CONCURRENCE.

 

L'ARGENT FACILE

          Il avait déposé à la SACEM toute une série de compositions assez répétitives axées sur deux ou trois notes. Sans cesse, il portait plainte. Et, sans cesse, la gendarmerie lui payait des droits pour exécutions publiques non autorisées.

 

CULTURE G.S.M. (I)

          L'enterrement était bien triste. Surtout quand une petite musique se fit entendre dans le cercueil : le G du défunt, que les croque-morts avaient oublié dans sa veste, recevait un appel. Ceux qui étaient venus rendre un dernier hommage au parent ou à l'ami décédé se figèrent... À l'intérieur des planches, on laissa sonner "La marche nuptiale" sans répondre.

 

JIVAROSSERIES
151 contes brefs
Éditions Memor, Bruxelles, 2004 (80 pages)







 



Les pensées de la pelouse

          Pas loin du cerisier du Japon, deux pensées, une jaune et une mauve, me narguent lorsque je tonds la pelouse. Je virtuose au niveau du maniement de la tondeuse pour ne pas les faire disparaître. Je respecte les convictions de mes enfants : sous les deux pensées repose en paix (quand je ne tonds pas) un petit hamster.

 

Marseillaise

          Très chaud aujourd'hui. Je n'ai jamais vu autant de papillons sur les fleurs mauves de l'arbre à papillons. Si j'étais marseillais, je raconterais que certaines branches ployaient sous leur poids.

 

CONTES DE LA POÉSIE ORDINAIRE
101 textes avec 30 illustrations originales de Joaquim Hock
Éditions Memor, Bruxelles, 2005 (64 pages)




 




L'INVENTEUR

          Avait-il vraiment tout inventé ? Ou son imagination s'était-elle tarie ? Au bord d'une profonde dépression, l'inventeur eut une idée géniale - la première depuis longtemps.
          Immédiatement, il manda son fils unique dans son atelier.
          Le gamin de huit ans s'y présenta bientôt après avoir respectueusement frappé à la porte blindée.
          - Dis-moi, mon fils, qu'aimerais-tu que je t'invente ?
          Un large sourire éclaira la face du garçonnet - le premier depuis longtemps - mettant à jour un appareil dentaire sophistiqué mis au point par son père pour corriger une dentition légèrement irrégulière - 2,3 microns entre deux incisives supérieures.
          - Oh, ch'est pas diffichile : ch'aimerais que tu m'inventes un papa. Un vrai!

 

MIEUX QUE BILL GATES

          Il trouva la formule de génie. La formule ultime. En quelques mois, il ne se contenta pas de devenir l'homme le plus riche du monde : il rendit l'ensemble de l'humanité heureuse en apportant la solution à tous ses problèmes! Il avait tout bêtement trouvé un moyen très simple pour transformer la connerie humaine en énergie à bon marché.

 

ÉLAGAGE MAX...
101 contes brefs - Préface de Jacques Sternberg
Éditions Memor, Bruxelles, 2001 (128 pages)







 



DÉDUCTION

J'ai usé mes chaussures
À te faire du pied.
J'ai si bien insisté
Que mes orteils en furent
- Sans faire de chichis -
Couverts d'oeils-de-perdrix.

J'ai pansé mes blessures
Et changé de souliers.
Je me suis demandé,
Après cette aventure,
Si ton derme avait cuit
Sous mes souliers ternis.

J'ai fini par conclure
Que, côté cutané
- Le mot n'est pas grossier -
Tu étais plutôt dure
Et que malgré leur prix
Tous les cuirs sont pourris.

 

PRIS DE RHUM
31 poèmes "classiques"
La Plume Édition, Trévoux, 2000 (40 pages)


 




ÊTRE OU NE PAS ÊTRE
SEUL CE SOIR

COMPLÉMENT D'INFORMATION
SUR LE POÈTE

Tu es seul
ce soir
&
être seul
c'est terrible
ce soir
C'est triste
d'être seul
C'est seul
d'être triste
Tu téléphones
à un ami
mais
ça ne répond pas
Ça aurait pu
sonner occupé
mais
ça ne répond pas
Tu restes seul
Tu essaies
chez un autre ami
Déjà
tu dois chercher
dans ton répertoire
pour en trouver
un deuxième
A la lettre A
il n'y a rien
à AMI
Tu n'as
qu'un ami
qui n'est pas
chez lui
En chercher
un troisième ?
Tu déposes
une plaque
du Velvet Underground
sur la platine
Un bon vieux
plastique
La voix
de Lou Reed
puis
celle de Nico
te rappellent
que tu n'as jamais
fumé
que du tabac
Toujours personne
au téléphone
Tu allumes
un ixième cigare
&
tu décapsules
une zettième bière
C'est vraiment moche
d'être seul
ce soir
Alors
tu penses
à demain
&
tu as envie
de bouffer
ton stylo
Tu as envie
de bouffer
tes livres préférés
&
de chier
sur ceux
que tu aimerais
lire
Tu as envie
de casser
Le PC
La TV
La voiture
Le téléphone
Tu as envie
de ne plus
être seul
&
tu veux
de la poésie
qui casse
qui merde qui vomit
&
qui te répond
quand
tu l'appelles
      «Toi, le poète...»
me disent-ils
parfois
Mais non!
Je ne suis pas
assis
comme un con
sur un rocher
au bord d'un lac
la tête entre
les mains
en train de
chialer
pour une pétasse
disparue

«Toi, le poète...»
Mais non!
Je ne suis pas
accoudé
de Notre-Dame
la tête entre
les mains
en train de
penser
à des mètres
merdiques
&
à des rimes
simplettes

«Toi, le poète...»
Mais non!
Je ne suis pas
penché
les coudes
sur une table

la tête entre
les mains
en train de
me faire mettre
par un barbu
dégarni
«Toi, le poète...»
Mais non!
Je ne suis pas
assis
à mon bureau
la moustache
en bataille
la tête entre
les mains
en train de
chier
de l'hermétique

Pour l'instant
je nettoie
mes cendriers
avec un tampon
en paille
de fer
Ils vont blinquer
comme des sous
neufs
mes cendriers!
Excellents
ces tampons
&
beaucoup plus
utiles
que certains
poètes

 

OUVREZ LE GAZ TRENTE MINUTES AVANT DE CRAQUER L’ALLUMETTE
Recueil inédit



 

 


ERIC DEJAEGER



 

Créé le 1 mars 2002

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