Le Salon de lecture

 

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Xavier GRALL

journaliste, poète et écrivain breton



Cannevas de bruyères à Ouessant :  photo de Marie-Lise Martin


NOTRE-DAME-DES-ILES   

Bretagne, ma demeure
il faut que survive
le kyrie dans ton âme de sel
idem, il faut jeter au ciel
la drisse
des piétés et des miséricordes
idem il faut poursuivre les troméniesdans la croyance des bocages
idem relire les portulans
il le faut
idem faire son évangile
de la pensée du soleil
il le faut.

Et cependant, mère, aber
dans le suaire des grèves
roulent
des monceaux de chiens et d’enfants.

J’ai vu dans tes abysses
errer les cerveaux et les poulpes
Ah quand ressusciteront les ossuaires pourrissants
dans le soleil des baies ?
Ah quand reviendront mes amis morts
ah quand reviendront mes chevreuils massacrés
mes chevaliers mes disparus mes trépassés ?
Ah quand dans les monts d’Arrée
surgiront les cèdres du Liban
les jasmins, les cyprès ?

Ah quand reviendront les poulains en fleurs
dans les féeries des colzas
et le bagad de Pâque à Tronën et à Lanmeur ?

Mais moi je te chante, mon pays
avec tes morts et tes vivants
et tes coques de pin et tes cargos de fer
je te chante, moi, Grall Xavier Marie
je te chante pour ta folie
pour tes bagages de rêves
pour tes Chouans, ô ma Celtie.

Il faut chaque jour gagner sa légende
il faut chaque jour célébrer la messe de l’univers.

Je te chante avec ma bouche dans la bouche de tes vents
je te chante avec ma main dans la main de tes landes
je te chante, moi, Grall Xavier Marie
pour la liturgie de tes focs et la charité de tes misaines
pour tes marins perdus pour tes grèves de laine
et tes puissantes houles et tes doux paradis.

Notre-dame des îles et notre-dame des goémons
notre-dame des navires et notre-dame des houes
notre-dame des marins et notre-dame des forbans
priez pour moi, l’infidèle, pèlerin de tous les océans
et priez pour moi dans vos pardons au centre de vos étés
notre-dame des mimosas et notre-dame des genêts
priez pour moi à Raz, à Molène et Douarnenez.

Quand je mourrai
enterrez-moi à Ouessant
avec mes épagneuls
et mes goélands
quand je mourrai
mettez-moi en ce jardin de gravier.

Ainsi soit-il.

In « Le Rituel Breton



MENHIR

Tout est bien de ce qui est
Tout est bien de ce qui sera
J’ai vécu mes journées
Viendra ma nuit
La mort ailleurs continue les songes de la vie
Le soleil ne se lasse de caresser la stèle funéraire
Sans que la terre en tire ombrage
Et les pluies adoucissent la rigueur ossuaire
Tout ce qu’il est possible d’aimer
Je l’ai aimé
J’ai fait aller le mythe avec la théologie
Et le rêve toujours épousa ma raison
Ainsi par les chemins d’Argol
La pierraille chante avec l’ancolie
Menhir
Je veux une mort verticale
Parmi les ronces paysannes
Que nul féalement ne grave mon nom
Nulle épitaphe sur la pierre
Nulle dédicace au granit
Menhir
Je veux seulement des vocables de lichen
Et la jaune écriture que silencieusement burinent
Les bruines hivernales et les vents d’océan.



In « La Sône des pluies et des tombes »
          




Extrait de: "Solo"

Seigneur me voici c’est moi
je viens de petite Bretagne
mon havresac est lourd de rimes
de chagrins et de larmes
j’ai marché
Jusqu’à votre grand pays
ce fut ma foi un long voyage
trouvère
j’ai marché par les villes
et les bourgades
François Villon
dormait dans une auberge
à Montfaucon
dans les Ardennes des corbeaux
et des hêtres
Rimbaud interpellait les écluses
les canaux et les fleuves
Verlaine pleurait comme une veuve
dans un bistrot de Lorraine
Seigneur me voici c’est moi
de Bretagne suis
ma maison est à Botzulan
mes enfants mon épouse y résident
mon chien mes deux cyprès
y ont demeurance
m’accorderez vous leur recouvrance ?
Seigneur mettez vos doigts
dans mes poumons pourris
j’ai froid je suis exténué
O mon corps blanc tout ex-voté
j’ai marché
les grands chemins chantaient
dans les chapelles
les saints dansaient dans les prairies
parmi les chênes erraient les calvaires
O les pardons populaires
O ma patrie
j’ai marché
j’ai marché sur les terres bleues
et pèlerines
j’ai croisé les albatros
et les grives
mais je ne saurais dire
jusqu’aux cieux
l’exaltation des oiseaux
tant mes mots dérivent
et tant je suis malheureux

Seigneur me voici c’est moi
je viens à vous malade et nu
j’ai fermé tout livre
et tout poème
afin que ne surgisse
de mon esprit
que cela seulement
qui est ma pensée
Humble et sans apprêt
ainsi que la source primitive
avant l’abondance des pluies
et le luxe des fleurs

Seigneur me voici devant votre face
chanteur des manoirs et des haies
que vous apporterai-je
dans mes mains lasses
sinon les traces et les allées
l’âtre féal et le bruit des marées
les temps ont passé
comme l’onde sous le saule
et je ne sais plus l’âge
ni l’usage du corps
je ne sais plus que le dit
et la complainte
telle la poésie
mon âme serait-elle patiente
au bout des galantes années ?

Seigneur me voici c’est moi
de votre terre j’ai tout aimé
les mers et les saisons
et les hommes étranges
meilleurs que leurs idées
et comme la haine est difficile
les amants marchent dans la ville
souvenez-vous de la beauté humaine
dans les siècles et les cités
mais comme la peine est prochaine !

Seigneur me voici c’est moi
j’arrive de lointaine Bretagne
O ma barque belle
parmi les bleuets et les dauphins
les brumes y sont plus roses
que les toits de l’Espagne
je viens d’un pays de marins
les rêves sur les vagues
sont de jeunes rameurs
qui vont aux îles bienheureuses
de la grande mer du Nord

Je viens d’un pays musicien
liesses colères et remords
amènent les vents hurleurs
sur le clavier des ports


je viens d’un pays chrétien
ma Galilée des lacs et des ajoncs
enchante les tourterelles
dans les vallons d’avril
me voici Seigneur devant votre face
sainte et adorable
mendiant un coin de paradis
parmi les poètes de votre extrace
si maigre si nu
je prendrai si peu de place
que cette grâce
je vous supplie de l’accorder
au pauvre hère que je suis
ayez pitié Seigneur
des bardes et des bohémiennes
qui ont perdu leur vie
sur le chemin des auberges
nulle orgue grégorienne
n’a salué leur trépas
pour ceux qui meurent
dans les fossés
une feuille d’herbe dans la bouche
le cœur troué d’une vielle peine
de lourdes larmes dans le paletot
et dans les veines des lais et des rimes
Seigneur ayez pitié !

In "Solo et autres poèmes" (1981)

 



Xavier GRALL

Né à Landivisiau en 1930, Xavier Grall étudie à l’Ecole de Journalisme de Paris.
Écrivain précoce, catholique et rebelle, il consacre des livres à Bernanos et Mauriac mais aussi à James Dean et à La génération du Djebel.
À 40 ans, il rêve d’un retour au pays natal, accompli en 1973.
Installé près de Pont-Aven avec sa femme et ses 5 filles “mes Divines” il milite activement pour la modernité de la culture bretonne.

Ses proses poétiques “Barde imaginé”, “Keltia blues”, “La fête de nuit” sont aussi ardentes que ses recueils de poèmes au verbe volontaire “La sône des pluies et des tombes”, “Solo”.


Épuisé par une maladie pulmonaire, il succombe en 1981.


Œuvre poétique :

LE RITUEL BRETON (Kelenn, 1973),
LA SÔNE DES PLUIES ET DES TOMBES (Kelenn, 1975 et un disque 33t),
RIRES ET PLEURS DE L’AVEN...





photo : Marie-Lise Martin

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textes

Xavier GRALL

décembre 2009
recherche André Chenet


Créé le 1 mars 2002

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