Le Salon de lecture

 

Des textes des membres de l'équipe ou invités surgis aux hasard de nos rencontres...







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Poèmes
de
Juliette Guerreiro



photo Frédéric Boutier



Les Anges ont faim

Je ne veux pas les couleurs
Pas les croyances, pas l’autre
Boire la terre
Boire la terre indifférente
Je ne veux pas la terre
Pas la terre
Les amas, les sculptures d’os
Des fleuves de sang coulent
Jusque moi et je ne peux
T’oublier

Je ne veux pas la peau
Pas de sens, pas moi
Croire les rêves
Croire les rêves insouciants
Je ne veux pas des rêves
Pas les rêves
Des miroirs brisés entament
Fragiles, fragile ma joue
S’écaille et coule le bleu tout
Contre toi

Je ne veux pas le temps
Pas de volets, pas toi
Fermer les paupières
Fermer les paupières déliées
Je ne veux pas les paupières
Pas les paupières
Des tempêtes lissées courent
Tendues, tendu le sein
Brûlent nouées nos estomacs
Mutilés



**


photo Juliette Guerreiro


Essai sur une création

Les feuilles tremblent entre saisons - portent déjà la chute
Une part de jour une part de nuit – elles prennent forme d’éternité
De nous présents à l’envers de nos souvenirs - nous en parole
Elles murmurent à l’assaut à pleine lumière
Elles chutent

Une fontaine accueille à la surface leurs fines et fines nervures
Comme tes mains tracent mes oublis
Elles embrassent l’air divaguent les secondes coulent la perspective
Lente à l’intérieur rond d’un baiser
Plient
D’être ne plus être qu’un souffle – seul
Laissent
Toute chose à l’intervalle se remplir à gorge déployée
D’air
D’ombre d’une terre où nous serions moins absents.





photo Frédéric Boutier


lecture verticale de Juarroz


Une herbe pliée par le vent traverse la perspective d'un champ
Il y a des intervalles de silence de soi        en soi déplacé dans la courbe .... dans le vent
comme un apaisement

Nos belles transformations ne creusent ni dans l'en-dedans ni dans l'en-dehors
Il faut un grand espace de démesure
Quelque chose libre        il faut apprendre à tomber sans un bruit


**
 

photo Jean Fenech


Cadmos


Hors de soi au regard de tes pas dans tes insomnies de bruit
Tu empruntes des rêves des murs glissants d’eau dans un jardin de pierre
Les tables sont encore dressées et on entend dans les fontaines
Quelques rires - loin

Face les collines dans la lumière dans l’orage
Courent comme des vagues de morsures
Une main sur un fil tend derrière les herbes hautes
Un alphabet

et près d’un puits s’étirent les regrets d’Harmonie.






photo Juliette Guerreiro


Bomarzo

Quelque chose est retenu dans ton regard quand tu superposes dans le cadre - ombre et lumière - quelque chose de la perte à masquer
comme un tombeau de mémoire

C'est une mélancolie tue et toi
à la fenêtre qui crois surgir seul au monde.

Dis-moi qui te regarde ?





photo Frédéric Boutier


La lente décomposition de la trajectoire


Une fois encore - le canapé est d’un rouge que le soleil a brûlé
Sur la cheminée en pêle-mêle un vase de fleurs blanches, de l’encens et un parfum d’orient
Des Historia d’il y a plus de vingt ans et quelques chants baroques
-Ici rien n’a changé.
Débordée – des souvenirs comme des grains de poussières parfois la nuit
Quand on voudrait être neuf, des mots comme des pierres blanchies
Comme quand regardant l’Athanor de Kiefer la lente décomposition de la trajectoire des couleurs vous surprend
Quand comme la vie – cette impression est mesurable à une certaine distance et selon un certain  angle. On dit un choix.
Alors, choisir de s’assoir sous la rampe bien droit et regarder comment s’accordent la lumière d’une vitre c'est-à-dire le monde et l’œuvre qui fait face – à ce moment là – c’est assister la création.
C’est être témoin d’ici.





photo Jean Fenech


Thérapeutique de l’arbre


Porter comme dans le creux d’un nid
Comme glissant d’après ta voix
Porter à l’intérieur       à travers toi
Comme d’une même terre
Plonger comme prendre
Quatre fois comme deux comme nos mains
Donner comme naître d’un souffle   d’un
Engagement
Couvrir dedans comme dehors
De l’avant, de ce qui est, c'est-à-dire de ce qui se décompose -- hors de
toi
Plus grand qu'un espace unique
Formé de nous.





photo Frédéric Boutier

 
Dolmen

[Que je sois dans cette plaine ceinte de pierres, que ces pierres soient là ne revêt aucun mystère.]


Ces pierres me regardent
Elles me regardent moi
Un emprunt de regard
Je ne regarde pas la mer
Non, pas la mer !
Je regarde les pierres
Ces pierres me ramènent à la plaine
Nous – les pierres et moi – sommes pleines
Reconnaissantes
Dressées
Couchées
Confondues
Enfin.





photo Jean Fenech



De l’air dans les petites boîtes (extraits)

II –

Sais-tu que je voudrais m'éplucher d'autres - de cette peau héritée de naissance - comme d'une tragédie ?
Un jour, nous nous sommes correspondu et c'est le corps de nos mots - ton ventre - que je caresse – depuis.
Il y a, dans ce temps que je suspends, mars exhumé - alors pourquoi me troublerais-je d'autres quand il n'y a que toi?
Tu es toujours là au creux, dès lors mille visages nous guettent.
Encore, - ma cure – je rôle parce que tu m’existes à la portée, lorsque tout me semble lumineux – nos lignes courbes, mes tuteurs d’autres – je rançonne l’ombre de ma main pour tes alternances.
Ici, mon je est infini et c’est toi qui me lie vraisemblablement tandis que je me cogne, me transperce à la réticence d’un repli.
La vague qui me transporte – cette glèbe enfantée navrement – empoigne, s’empoigne, m’empoigne – lisse aux tréfonds de mes nesciences et j’attends que tu me témoignes :
Terra tenebrarum, à la soif des cycles des dire!

C’était au bord de la rivière comme au bord du monde – nous étions assis.
Les gens disaient, disaient à tout propos – nul besoin de dénommer - :
« Alter, toi qui passes, passe-moi de ton air - je !»
Relais cathodique, je filais des marathons de mots – quand toi - immobile au bord de la rivière comme au bord du monde – tu étais ma mémoire égrotante.



VI – Le rêve du Jointement


Le bord du monde à mon front, le bord se plie, le bord se froisse, plus de bord. Il sort.
Le monde sourit comme un pélasge au bord de mon front.
Se sont les mots qui soutiennent le ciel. Une voie et des voix.
Et le ciel est tendu à distance. C’est à dire par soi, et comment s’ouvrir soi sans ouvrir les mots ?
Le mot est sensible, parfois se quitte, parfois se soigne par son milieu.
Le corps s’harmonise, le ciel est bien haut.

Le bord du monde
Le monde sourit
Se sont les mots
Tendu à distance par soi
Le mot est sensible
Le ciel est bien haut
S’harmonise


                                                                                                                   Il sort
                                                                           Au bord de mon front
                                                                             Une voie et des voix
                                                                              Sans ouvrir les mots
                                                                           

Parfois se quitte
Le corps

                                                                              


Le bord se plie
Le rêve du jointement n’est.




Photos
 
Jean Fenech - Frédéric Boutier - Juliette Guerreiro

&

textes
Juliette Guerreiro


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OCTOBRE 2009


Créé le 1 mars 2002

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