Le Salon de lecture

 

Des textes des membres de l'équipe ou invités surgis aux hasard de nos rencontres...








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Ile Eniger

 

(un tableau D'EMILE BELLET)


"D'une île l'autre"




 





Une marge d'enfance et de larmes séchées transitent sur la page leurs théâtres muets. Petites chaises vides au milieu de la cour, aucun rire ne marche. La bougie s'est éteinte. On s'est moqué du rêve. De la magie enfuie reste un étonnement et cette marque brune sur la place du coeur. Un soleil s'est cassé dans le fond du jardin et les yeux des pensées le veillent tristement. Aux gorges des gouttières, des hoquets de sanglots acheminent le ciel. L'air siffle en vieil accordéon, et dans chaque silence des abeilles
s'agitent. Tout pèse tout à coup, le soir tombé sans cri, le plomb aux dents des ombres, le poing serré du froid sur le ventre des terres. Voyageur qui ne sait s'il doit suivre le vent, le funambule ajuste sa chaussure blessée.
Où le fil s'effiloche quelqu'un prépare une aile. L'arbre tourne la tête, il garde en floraison des étoiles lointaines.

*

Je t'attends sur la route, des rêves en fond de poche, des bracelets de mots, des brindilles de rires, une trace de miel à chaque fleur petite.  Tu tousses et dans ta voix j'entends des phrases miennes. Une lumière bleue à mes lèvres défaites comme un doigt de vin chaud. Tes traversées d'images reconstruisent le ciel. Ton bureau dans les arbres apprivoise l'oiseau. Tu
inventes des ponts pour décalage horaire. Quand de quelques jonquilles tu refais le soleil, je sais le bois coupé et le feu à venir.

*


Cette fille d¹étoiles cherche sa mère et sa planète. Le miroir salé la contient, la projette de sang et d¹eau. Au désert, elle gratte les sables qui recouvrent les noms. Elle connaît El Duende, le lutin, l¹esprit des hautes lunaisons. Dans sa poche un briquet pour rassurer ses peurs. Une ombre blanche pour ses nuits. Une margelle pour modérer le puits. Elle est de verre fin résistant aux tempêtes, d¹orages et d¹éclairs au tranchant des silex. Elle irrite et caresse. Apnée de fond, elle est du pur et de l¹impur.
Double des mots au centre de la main qu¹elle saisit comme une preuve, elle est femme de sel. Aucune de ses larmes n¹est volée à la mer, mais rendue.


Tu regardes, en arrière. Il pleut des visages, une neige tremblée,
mouchetée, lentement retombée sans autre effet que sa légèreté. Aucune marque. L¹ouvrage d¹une vie n¹a d¹empreintes qu¹au devant du rideau. Les mots clapotent bas, il faudra tendre la mémoire. La langue est incertaine, la traduction aléatoire. Gâchée de ciment inutile, le trou ne sera pas comblé. Derrière transporte des questions, la dernière mouture, tous les
travaux d¹adductions d¹autres. Au flou des images mêlées, couturées, transformées, capturées, l¹odeur d¹enfance fait brèche de lumière, et le rêve s¹agite. Tu regardes, reviens, tu ramènes une force qui rend chaque chose plus vraie. Tu regardes, reviens, tu es fragile de cette force qui au présent te fait vivante




 

 

 

Couvent de Vagnas, été 2004... Ile Eniger est au festival de  chansons de parole à Barjac, et le photographe Claude Aubry fait de sa voix des enregistrements :

écoutez  ce poème d'Ile Eniger dit par elle-même


 

 



C'est une petite fille assise sur le haut du mur. Chaque soir, le poids de la journée au bout des bras, elle attend. Dans la montagne, les bergers et les bêtes parlent. A la bassine de la mer se lave le soleil. Une demi-lune découpe le ciel. Des fleurs penchent sous les doigts du sommeil. Le jour se déshabille au terrain vague de la nuit. Et la petite fille regarde l'horizon. Elle attend un oiseau. Tous les soirs, ainsi, patiemment, elle attend un oiseau.

*


Tu dis les mots. Des vertèbres du ciel aux ventres des abysses remonte un chant puissant où tremblent les oiseaux. La fronde des jonquilles explosent les déserts. Un coquelicot cruente la pierre et le chemin. Des bouffées de jonquilles font l’espoir habitable. Tu dis les mots. Des orages illuminent la poussière et la marche. L¹escalier escalade sans plus se dérober. Le puits n’a que le temps de rassembler ses jupes.
J¹avais soif depuis longtemps.
La terre ne dort plus derrière ses yeux rouges. Les vieux murs se
déchaussent pour prier la lumière. Un rêve essaie ses pas de blanc convalescent. Sur la table de bois, la fleur d’une farine imagine le pain.
J’avais faim depuis longtemps.
Du premier au dernier, chaque geste est un fil, à coudre, à fabriquer, une étoffe à rincer. A rouler dans les prés, me vient un goût de miel, de pissenlits et de sauvage . Je cherche ma planète. Je cherche plus que l’or, plus que possible, plus. Les vieilles rouilles s’effritent en paillettes. La paille de tes mots protège mes hivers. Mais l’éclair ? Mais le feu ? Mais
l’aiguille qui blesse ?
J’ai peur depuis longtemps.
Tu dis les mots. Ils me ressemblent, ils me rassemblent. Les yeux dans le
soleil.


 



1)
C’est une force, une vigueur. Le fragile au bord, tout au bord.  L’épousée retroussée qui enjambe le vide et enlace le rêve. C¹est l’animale plénitude plus vaste que la peur et la raison mauvaises. Un sursaut, un orage, et l’inlassable horloge qui ne veut plus manger le temps sans le goût d'un baiser. C’est un regard avide sur un sourire nu, des mains qui reconnaissent
la texture des phrases. C’est vieux comme l’instant et neuf comme l’espoir, Et de sens reconstruit c¹est une soif d’aimer.
Je suis désir et j’enflamme le mot.
Du feu sur la neige.

2)
Il est minuit ou plus. Les citrouilles rassemblent les graines de magie. La terre se détache des semelles du jour. Sur le portail du rêve des cocottes en papiers mangent des graines bleues.

3)
Elle appuie fort ses mains, ferme les yeux, dit la formule. Et le mur tremble. Sur les feuilles de pierres s’écrivent des paroles. Chancelle la matière. Aimer brise l'incertitude et gomme l'acéré. Du bleu du feu et du dedans des soies qui crissent comme chutes de sables, elle fait un archet pour convaincre la vie. Chaque arbre est son violon. Rien ne lui cache les immenses. Elle appuie fort ses mains et appelle la louve, la jamais capturée. Et du ventre des terres monte ce chant puissant. Une femme debout.






 

Créé le 1 mars 2002

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