Le Salon de lecture

 

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Vivre m’étonne et marcher m’interpelle

Patrick Joquel






Cependant trop d’uniformes contemplent mes veilles. Saturent mes sens. Toutes ces tensions. Hautes ou basses. Toutes ces pressions. Avec ou sans col. Tous ces dossiers à rendre au jour J. Toutes ces factures au jour F. Cash on D day. Toujours cette falaise du devoir. Air climatisé. Wifi à tous les étages. J’étouffe. Cet horizon bouché. Ces lignes continues. Avec leurs cats eyes. Leurs glissières sécurisées. Leurs radars automatiques. G.P.S. intégré. Caméras de surveillance. J’attache mon sourire automatique et je le règle au degré zéro de l’échelle du bonheur instantané.





Je cherche à m’extraire. Je quitte le cliquetis des caisses enregistreuses. Je délaisse les automates distributeurs de billets et de minutes téléphone. Je libère mon quotidien de ses œillères. J’oublie les voies à sens unique. Je saute hors des barrières de la routine. J’entre en moi. Je m’ensilence. En profonde intensité. Les yeux mi-clos. Muscles détendus. Corps au repos. Griffes rétractées. Esprit libre et ouvert. Le cerveau crépite d’inaudibles étincelles. Je pars en échappée belle. Sur l’impalpable sentier que dessinent les mots.           







Je ne suis pas forcément là où mon corps se rend visible. On dit souvent de moi « il est distrait ». On en rit. L’air de dire… Peu m’importe. J’arpente mes chemins de traverse. Debout par exemple sur les tapis roulants des couloirs du métro je déroule mes pistes intérieures. Je demeure tête hors tunnel. Dans un léger décalage. Quand la sonnerie des portes automatiques me ramène sous terre. Je regarde les yeux de la foule. Si peu de sourires. Si peu de complicité. Sous la mécanique pulse comme une drôle de peur.
 





Je vis mes jours en crête. J’ai la tentation de les tenir hauts. Au plus haut possible de la joie. Au plein ciel de mes bras ouverts. Au plus bel éclat de rire. J’aime les risquer dans le déséquilibre des pierriers. Les jouer en état de grâce. Je sais bien qu’à force de tutoyer quelques uns des bouts de ce monde je finirai par atteindre cet endroit et cet instant. Ce passage obligatoire. Cet ultime vide et son dernier pas. Un regard au revers de l’épaule. Un sourire. Un frisson. Un soupir… Volatile.







Quand j’atteins le seuil de légèreté je me faufile. Je me glisse à l’intérieur de ces espaces que l’écriture installe. Entre les mots du texte. En amont de ses pierres sèches. Ou en aval de ses plus enneigés silences. Il existe en ce monde au moins autant de réalités que de vies. Tant de parallèles borgnes… De perpendiculaires prédatrices. D’amoureuses tangentielles… Ecrire est un sésame. Un de ces tapis qui permettent de voler jusqu’au feu dérobé. En secret. De passer. En brèche. Juste à côté. Décalé d’un œil. D’un mot. Et d’inventer une histoire. Oui, comme une histoire.







Je quitte la pensée unique. J’abandonne les gestes uniformes. Les phrases trop étroites. Les règlements bien droits dans leurs bottes de cuir dur. Je renonce à tout langage binaire. J’oublie volontairement de cocher la bonne case. Je débranche le répondeur. Je me déconnecte de tout réseau. Hors de la toile. Hors des goudrons. J’écris dans les marges. J’écris entre parallèles et méridiens. Je commence enfin à comprendre que la ligne droite n’est pas obligatoirement le plus court chemin d’un point à un autre.








Je marche. Je suis mes pas. Pour ouvrir mes poumons je respire de frêles passerelles. Elles s’appuient sur le vide autant que sur la frange des mondes. Sur les blancs qui entourent chaque mot. Félin funambule et moqueur je traverse ainsi ravines et failles. Je franchis des seuils. Des brèches. Passe des cols de haute altitude. Des arches. Je m’approche du ciel. De ses bleus. De ses nuages. Je guette alors le poème. Je l’accueille autant qu’il m’accueille. J’expérimente la belle et jolie richesse partagée du mot hôte.







Professionnel du songe et de la légèreté le chat s’abandonne en toute confiance. Il joue l’équilibre. Avec patience. Il guette l’instant si bref de l’ouverture. Le chat tient le monde à portée de pattes. Entre douceur et poignard. J’aimerais rejoindre cet état de félinité absolue. Vivre au présent. Sans autres questions existentielles que celles des températures de l’air. Du thé. De la grâce. Et du hamac… Juste présent. Juste précis. Juste confiant. Et tellement joueur. Simplement présent, précisément précis, pleinement confiant et totalement joueur.







Il était une fois… Un petit bonhomme… Un petit surpris… Il pouvait demeurer immobile. Longtemps. A regarder le ciel arpenter les nuances de sa lumière. Il se régénérait à ses couleurs. Renouvelait son enfance auprès des nuages. « On » le disait rêveur… Pendant que ces « on » si bien pensants et tellement actifs se moquaient le petit étonné s’infusait dans la clarté lunaire. S’ancrait plus profond. Tournait avec le monde. S’ensilençait à ses mystérieux chants. Se nudifiait à ses vents. La vie le caressait. La vie le traversait. Jusqu’à l’envol.







Bulles de savon. Légères. Si légères planètes. Aux reflets changeants. Sphères. Tourbillonnantes sphères que les vents roulent. Enroulent. Déroulent. Et ré enroulent. Jusqu’au silencieux largage de leurs millions d’akènes. Tant de ces vaisseaux suspendus à leur temps flottent dans l’espace. Avec leur cargaison d’univers uniques et multipliés en infinités d’exemplaires. Tous prêts à libérer leur élan vital. À germer au moindre accueil. Tous prêts à ronronner. Ventre offert à la chaleur. À la douceur.




Images Nathalie de Lauradour


&
textes
Patrick Joquel


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novembre 2009
recherche Serge Maisonnier


Créé le 1 mars 2002

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