Depuis tout petit, on ne sait pas pourquoi.
Léonard lui non plus n'a jamais su
mais jamais on ne le croit !
Jamais quand il disait qu'il avait vu quelque chose,
entendu quelqu'un ou fait quoi que ce soit
Jamais on ne le croyait !
Léonard trouvait
cela bizarre, et puis incroyable tout de même
et finalement insupportable
que jamais quand il disait quelque chose, On ne le croyait.
Alors, un jour, il a eu une idée
“ Je vais leur dire un mensonge
comme ça, ils me croiront,
et ensuite je leur dirais la vérité
Et tout rentrera dans l'ordre”.
C'est comme cela qu'il s'est mis à raconter qu’...
“… un soir de pleine
lune, alors que tout le monde dormait, j'ai entendu par la
fenêtre, un bruit... un crissement de pierre, quelque chose
que je n'avais pas l'habitude d'entendre, alors j'ai regardé par
la fenêtre.
Et là, j'ai vu que l'homme sur le cheval de pierre avait
bougé. Il avait mis ses deux mains au collet de l'animal qui
avait remué la tête puis la queue.
Moi-même, je me frottais les yeux tellement je n’en revenais pas.
C'est alors que le cheval s'est mis à se cabrer et l'homme a
pointé son doigt vers le ciel et d'un bond le cheval et son
cavalier sont descendus de leur socle et se sont mis à trotter
fièrement autour de la place avant de partir au galop vers la
forêt.
Personne ne pouvait
entendre le bruit des sabots parce qu'ils ne faisaient même pas
de bruit.
Je suis alors descendu sur le trottoir pour voir, pour savoir… et la
statue n'était plus là mais personne ne semblait s'en
inquiéter.
J'ai attendu... longtemps et, au moment où je m'apprêtais
à rentrer, je vis revenir le cheval et son maître. Ils
refirent le même parcours en défilant majestueusement
autour de la place avant de remonter sur la stèle et reprendre
la même position.
A ce moment-là, le cavalier s'est aperçu de ma
présence, il m'a fait un clin d'oeil en disant :
“ - Ah ! ça fait du bien de se dégourdir les jambes et
chut...”
Dans les secondes qui ont
suivi les revoilà transformés en pierre.”
“ - Menteur, menteur, tu nous racontes des histoires, Nanar ! ( tout le
monde l'appelait Nanar et Léonard détestait ça !)
Une statue qui se réveille, ça n'existe pas et tu ne nous
le feras pas croire !
- Je sais c'est incroyable !
- C'est surtout pas croyable et, de toutes façons, on ne te
croit pas ! Tu ne sais dire que des mensonges !
- D'accord, je vous raconte tout. Là, je vous ai raconté
une histoire pour vous prouver que d'habitude, je ne vous raconte pas
des histoires aussi farfelues et pour vous dire que j'en ai assez qu'on
ne me croie jamais ! - Ah oui, et bien maintenant, on te croira encore
moins, on ne te croira même plus du tout ! On le sait que tu mens
tout le temps, c'est comme une maladie chez toi, c'est chronique !
Allez va t-en, on veut plus te voir, on ne veut plus t'entendre... ! ”
Léonard pensait rétablir la situation et c'est tout
l'inverse qui s'est produit. Alors, il est parti, emportant une grande
tristesse et puis, de toutes façons, lui non plus ne voulait
plus les voir. Il a trouvé un petit bout de terrain et il a
commencé à cultiver son jardin. Au bout de quelques
temps, le jardin à commencé à donner.
Un jour qu'il ramassait les légumes, il a
fait une découverte extraordinaire: il a trouvé une
carotte qui avait deux bras ! et dans la même journée, une
énorme tomate en forme de coeur ! Il était si content
qu'il a couru chez ses voisins les plus proches en criant sa
découverte:
“ - une carotte à deux bras et une tomate en
forme de cœur? … et ta tête c'est un artichaut ! Non mais tu nous
prends vraiment pour des navets, Nanar ! Retourne donc
à tes patates, et ne nous embête plus avec tes sornettes !”
Nanar est rentré tête basse tandis que l'histoire se
propageait dans tout le village. Tout le monde se moquait de lui. Il y
en a même qui sont venus en cachette lui glisser un mot dans sa
boîte à lettre.
On pouvait lire “
Nanar, sacré nain-bot, apprends qu'une carotte c'est long et
qu'une tomate c'est rond, tête d'oeuf ; méfie-toi, si tu
continues avec tes histoires, tu vas finir chèvre et tu
brouteras l'herbe !
PS: On a scellé la
statue pour qu'elle ne s'envole plus... ah! ah! ah!”
Léonard ne savait plus s'il était fou
de rage ou profondément triste. En tous cas, une chose est
sûre : personne ne le comprenait.
Il se demandait parfois pourquoi les gens étaient si
méchants, si différents de lui, si insensibles, mais y
penser lui faisait tourner le sang alors il repartait bêcher son
jardin ou, parfois, il prenait son sac, tirait le portail (qui
n'avait pas de serrure) et partait.
À force de voir que personne ne croyait en
lui, il aurait pu finir par douter de lui et ne plus avoir confiance.
Mais heureusement, il a choisi de ne plus les écouter.
Oh, bien sûr, les “ on dit “, les “ qu'en dira t-on ” il les
entendait :
“ Nanar, on dit que tu ne veux pas travailler … ”
“ On dit que tu ne veux pas faire comme les
autres...”
“ Tu n'arriveras à rien ! ”
“ Tu seras un bon à rien ! regarde -
toi, tu n'as pas de métier, tu n'as même pas de femme, tu
n'as pas d'avenir ! ”
“Tu
vis dans une bicoque que tu n'as même pas eu besoin de payer
tellement ça ne vaut rien ! ”
“ Tu vis une fois le jour, une autre la nuit ”
“ Un jour, tu manges à midi et l'autre
à 16 h! Et tu t'en vas sans savoir où, et des fois
pendant des mois ! Et tu reviens sans rien ! Sans le sou ! Avec tout
ton attirail sur le dos, on dirait un cloporte, un charlatan! Un
charlatan ! Même pas ! Tu es même pas bon pour vendre
quoi que ce soit ! Comment que c'est que tu vis, hein ? ”
Et
Léonard les laissait dire et jacasser, il leur offrait juste un
grand sourire au fond des yeux et rejoignait paisiblement sa cahute.
Son petit “ chez- lui”. Un abri de fortune au fond duquel se cache une
petite caverne
Un endroit fait de bric et de broc où tout se mélange
mais où chaque chose à sa place.
Chaque pièce était ingénieusement pensée et
aménagée en fonction de l'orientation du soleil et du
sens du vent. La cuisine donnait sur le jardin, bien pratique ; la
salle de bain était près de la pente pour que l'eau
puisse s'écouler vers le ruisseau et sa chambre avait un velux
au plafond qui donnait vue sur les étoiles. Juste à
côté, il avait ses ateliers : un pour les gros bricolages,
un autre pour les petites créations et un endroit fourre-tout.
C'est là qu'il entreposait tout ce qu'il trouvait et
récupérait : il l'appelait “ sa fabrique de stockage ”, “
son troc en stock ” c'est vrai que c'était un peu le bazar et
puis surtout c'était le seul endroit qu'on apercevait de la
route !
Alors forcément, ça faisait jaser !!
Parce qu'en plus,
Léonard, ne travaillait pas à l'usine, non. Il
travaillait chez lui dans ses ateliers : il réparait les
instruments de musique, il fabriquait de drôles de machines, des
marionnettes de toutes sortes et il écrivait… Des histoires, des
poèmes...
Jamais, les voisins ni les gens du village n'étaient
entrés chez lui. Léonard s'était bien gardé
de les inviter, les ingrats ! Pourtant, il y avait souvent des gens qui
venaient, des étrangers qui demandaient leur route dans un
mauvais français “ La maisonnée de Léonard,
siou plaît ? ”. A chaque fois, la nuit se remplissait de
musique et, de la grotte, on entendait les rires des gens qui
festoyaient.
D'année en année, sa maison fleurissait de
nouvelles créations : des sculptures, des mosaïques, des
tableaux ornaient désormais le jardin. Les chats y
avaient trouvé demeure depuis longtemps et les arbres ont
bien poussé. Les villageois étaient de plus en plus
méchants car leur curiosité n'était jamais
satisfaite. Ils émettaient les pires théories sur cet
original allant jusqu'à parler de magie noire ou de sectes. Ils
avaient même décrété que ce lieu
était maudit et strictement interdit aux enfants. Mais
forcément, dès qu'ils commençaient à
courir, les enfants, la première chose qu'ils faisaient,
c'était d'y aller : c'était leur grande aventure. Ils y
étaient toujours bien accueillis et gardaient cette visite comme
leur Grand Secret.
Le temps passait, les
enfants grandissaient, oubliaient leur Grand Secret et devenaient comme
les autres adultes, Léonard lui aussi se fit vieux et par un
soir de pleine lune, il vint à mourir.
Ce furent les cris déchirants des chats qui alertèrent
les villageois.
Il était étendu dans son lit avec un léger
sourire au coin des lèvres, comme si le bonheur l'avait
emporté avec lui.
Au chevet de son lit, on trouva deux photos : celle d'une carotte avec
deux bras et celle d'une tomate en forme de coeur.
L'annonce de sa mort
créa un grand émoi dans tout le village. Oh ! ce
n'était pas la tristesse de sa mort, mais de voir arriver
toutes ses voitures, tous ces gens de toutes les couleurs, venus des
quatre coins du monde, et même la presse et la
télévision, les villageois n'en revenaient pas.
Pour la première fois, tout de noir vêtus, ils ont pu
visiter la maison sous prétexte de rendre une
dernière visite au défunt. Tous s'y sont rendus,
même les plus impotents et les plus malades. Ils furent tous
d'accord pour convenir que, vu de l'intérieur, l'endroit
était très charmant et bien agréable. Mais ce qui
les surprit le plus, ce fut de découvrir qui était
vraiment Léonard.
Cet homme était admiré et reconnu pour ses
qualités humaines et artistiques. Ses écrits
étaient publiés de par le monde et ses contes voyageaient
toujours.
Sa vie était un univers unique et poétique. Ses
marionnettes avaient ébloui et fait rêver de nombreux
enfants.
Parmi tous les gens
présents, seuls les villageois pouvaient se reconnaître
entre eux. C'étaient les seuls vêtus de noir et qui
faisaient mime de pleurnicher dans leur mouchoir tandis que les autres
conversaient tout naturellement en se remémorant des moments de
vie en compagnie de Léo. Car pour les gens d'ailleurs,
Léonard, c'était Léo le Magnifique.
Les amis de Léo ont dressé une grande table, les
musiciens ont sorti leurs instruments et la fête
commémorative a résonné.
En sortant de la maison sur le seuil de la porte, il y avait une
alcôve où était déposée une petite
boîte et juste au-dessus on pouvait lire “ Le grand secret de
l'humanité ”
Beaucoup sont passés sans même la voir. Pourtant sur la
boîte était inscrit “ La chose la plus précieuse au
monde ”. Il suffisait juste de l'ouvrir pour savoir...
Les villageois, qui décidément ne comprenaient rien, se
sont évaporés sans se faire davantage remarquer.
La maison de Léo
est devenue aujourd'hui un lieu de travail pour les artistes et de
nombreuses compagnies viennent y préparer leur prochain
spectacle.
Alors, si vous non plus, on ne vous croit pas, il vous suffit de
continuer à croire en votre étoile ou en votre histoire,
elle vous mènera sur les chemins de la liberté !