La langue de Travers(E) - Proposition
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Participation de Alice, Catrine,
Philippe
Mots des fils qui entremêlent le temps,
celui qui passe autant que celui de la nuit qui nous porte
et ces draps cousus et tissés par des mains-machine.
On écrit avec des mots et les mots tiennent entre
leurs lettres leurs sons, des images que nous connaissons
tous, qui reviennent à la lecture, insufflant à
l’imaginaire une dose , un potentiel d’existence…
voilà un réservoir « tissage »,
de l’usine à fils où draps viennent
au monde, où des hommes des femmes trimes sous la
bruyante colère des métiers qui serrent le
temps dans leur ventre
réservoir textile
apprêter, assouplir, chiffonner, envers, lingerie,
cotonnade, nouveauté, bure, écru, crêper,
froisser, drap, foulard, moire, épinglé, bobiner,,
tramer, ourdir, assemblage, navette, texture, maille, filure,
point, tisser, peigne, filer, peigner, entoiler, étoupe,
lin, renvider, coudre, faufiler, écheveau, bobineur,
brin, étirer, filasse,, fuseau, quenouille, doigté,
compte-fils, coudre, frange, natte, métier…
Voici les texte produits et offerts par les participants
à cet atelier
De ses mains il coud l’envers
d’une cotonnade. La texture douce des mailles,
l’assemblage des couleurs, les franges lui disent
sa mère et le métier sur lequel elle
tissait. Lui, petit regardait, découvrait le
monde au fil d’une trame que le bruit des navettes
ourdissait d’un claquement sec. Mémoire
tenue au fil d’Ariane des souvenirs effilochés.
Sait-on quand la main travaille seule, et que la langue
se délie dans la tête, que les mots se
défroissent lentement, que les images perdues
viennent remplir les accrocs que le temps étire
sans pouvoir renvider les fibres qui le portent chaque
jour debout. Sait-il où va le brin de l’écheveau
? Les heures couchent les draps de l’histoire
sur le métier, sur les pliures il compte ses
fils qu’il coud au revers de sa toile. En silence
il use de l’étoupe des mots comme on
ravaude sans cesse une ficelle qui fuit. De ses mains
il coud sur l’envers d’une cotonnade,
d’une cotonnade rêche, il coud les mots
que sa langue ne sait pas.
Chaque jour que dieu fait, la navette cogne le cadre
et revient, repasse encore et encore. Je regarde les
brins s’étirer sans romprent, et les
heures défilent, et les saisons accrochées
au jardin tamisent l’étoffe translucide
des jours. L’image s’effiloche dans le
miroir, parade un reflet épinglé sur
le cadrant de la pointeuse. Mes mains sont couvertes
de poussières venues avec les balles de cotons,
j’entends le bruit des bateaux frappant la houle,
le chuintement des alizés pris dans les hélices.
Mes yeux dessinent un tapis qui jamais ne sortira
de cette chaîne là. Rien n’en sortira,
sinon le temps reproduit à l’identique,
vulgaire drap où personne ne se couche. Une
bure, cet écheveau, grise et opaque, acide
sous le pas. Sous la langue tout cela tient pendu,
renvidé en permanence par la fatigue et le
bruit. La machine cause à notre place son bruit
de monstre affamé. Le compte-fil ne fonctionne
plus, usé à force de vouloir connaître
la consistance du jour, le regard vieux comme une
étoffe lustrée jusqu’à
la transparence, le souffle froissé pris sur
le fuseau qui débobine les heures, et les mots
qui se faufilent inexorablement sur l’envers
moirée de la nuit qui entoile nos regards.
Rien ne peut remplir les fissures qui grandissent,
aucune étoupe pas même celle des caresses
promisses et données, offertes et partagées,
douces et amères, il n’en reste qu’un
foulard étiré, aux mailles prêtes
à rompre. Il ne nous reste que cela. Un peigne
étriqué qui tente de glisser autour
des nœuds frisés sur l’assemblage
que le Chef Bobineur nous distribue.
Philippe
|
Pas de métier, pas de tissage, trop de couleurs
ou pas assez, les tissus se mélangent,s'enchevêtrent,
je démêle, je démêle, les
fils du destin, le fil de la pensée, des draps
de brume dans ma tête qu'une navette devrait
assembler, rassembler en une texture fine et souple
aux frontières bien dessinées, douce
au toucher.
Alice
|
Tisser
chaque jour l’ouvroir
d’un atelier
où se tissent les textiles de nos récompenses
coutures en chantier à la boutique de nos brides
ne pas courir, ni craquer
ne pas se répandre
être le manuel de ses affaires
renvider chaque ruse
laisser couler sur l’armature
les combines à brasser
ma carcasse enchaînée
à la texture
va-et-vient de négrier d’une navette
futile
un seul exemplaire, chaque jour
comme une fiche sur le balancement de nos profits
pas de piège à nouer
impossible de fuir, de se glisser sous le tapis
de mettre les bouts
rien pour détordre
juste récupérer les jetons de présence
sa paie, son châtiment
son loyer
une ressource dans sa boutique
et se carapater avec son arsenal et démailler
le déjà fait
pour broder ses tentures, son chemin
ses veines modes
où le sol se donne
l’âme au pas
où le souffle éperonne le tenancier
et de ses matières menées à cet
endroit là
sans armures
prendre le gabarit comme un tribut
et sur l’étai du faiseur
d’un coup de bec droit
sur l’arête d’un modèle comme
au studio
tu donnes, tu te donnes à toi
dans ta boutique
et tu brûles la politesse aux promoteurs de
tout poil
aux dévideurs qui rament, qui affabulent sans
suite
à ceux qui te promettent un linceul comme descente
de lit
tu sais l’artifice
tu travailles à façon
il te reste à tordre le cou en artiste aux
honoraires sans profits
de pister sans te défiler le prix de tes éperons
reprends et relis le manuel
et des cordes liant l’ossature de ta carcasse
ne t’échappe pas
c’est ton truc à tisser, ta porte à
toi
ton épinglette
tisses, tisses….Tu es l’araignée
collée à son fil.
Faut-il assouplir ou chiffonner
? J’ai l’envers de ma cotonnade chamboulée,
ma lingerie en trituration, pas de nouveauté,
cette année est semblable aux précédentes,
à usage unique, et la bure râpe le dos
et chacun se crêpe le poil résiduel d’une
fourrure perdue, nous ne sommes pas fiers entre nos
draps froissés de tant de matins froids, et
ce n’est pas le foulard rouge d’un jour
de gloire qui effacera la mémoire épinglée
sur la moire débobinée, chaque jour
trame et ourdi l’assemblage hétéroclite
que les navettes invisibles du vent comblent de leurs
va et vient orgasmiques. Puis de filure en filure
chaque point noue ce que le peigne démaille,
et le calendrier entoile les résidus perdus
et cette bourre grasse comme une étoupe bouche
les orifices d’un souffle qui se renvide, qui
coud la gorge et faufile chaque muscle sur l’os,
sur cette écheveau d’une carcasse raide
à mourir, plus de brin à étirer
chaque main ressemble à une fillasse triste
sans plus d’envie de caresses, sans plus l’envie
de donner, tout par en quenouille plus de doigté
sur le compte-fil offert, il faut coudre, obturer,
consigner en dedans, oublier la frange, le regard
de la frange, de cette frontière posée
comme une natte accueillante, oublier ce regard et
ne plus savoir qu’autre chose existe, devenir
sans papier, confiner, inclus dans son sac de jute
ravaudé, repriser de mille façons, sait-on
encore de quel métier nous sommes, tant d’accrocs,
de démaillages intempestifs, de rafistolages
obstinés, d’exubérances échaudées,
étrécies, résistances aux apprêts
rigides, conformités de mode, mascarades sans
fin.
Philippe
|
* tu remettras cent fois sur le métier*
il pleut oui il pleut
aux revers des lingeries
sous les mailles les cotonnades
il pleut
des odeurs
se tissent lentes et chaudes
sur les peaux il pleut
tout contre à fauliler des bras à renvider
le coeur
s'y étoupent vos lins et vos bures et s'assemblent
rudes
cache-soie de gestes et crêpes incarnent les
fuseaux envers mais pour
par petits brins longuement par petits brins
les pluies et les fils étirent
les draps dans la filasse des aubes
des franges des nattes si souples ourdissent ce rêve
où
il pleut
il pleut ce grand écheveau des paroles
Catrine
|
il peut coudre sa frange et remettre sur le métier
ses nattes, il peut de son doigté exemplaire
tripoter sa quenouille, son fuseau, sa filasse, il
peut l’étirer le brin comme tout les
embobelineurs de son genre, ce n’est pas pour
cela que l’écheveau se defaufilera et
qu’il pourra coudre et renvider les choses dites,
les choses faites, les choses rencousues dans le fond
des mémoires, il peut proposer tous les fil
de lin et toutes les étoupes à boucher
comme il peut de nos faims entoiler le vide du silence,
et sonne maintenant, il peut peigner, filer, tisser
et chaque point ne dissimulera pas le vide entre les
mailles, il peut serrer la texture de nos paroles,
suer à la navette et ourdir sans fin tout les
faufilages inventifs qu’il sait, oui il peut
tramer toutes les filles de la terre, toutes, il peut
épingler sur son plastron toutes les moires
lustrées de ses ébats, tous les foulards
noués et parfumés, toutes les crêpes
froissées ou patinées, tous les draps
biens peignés et remis droit chaque matin,
il peut se vêtir d’une bure écrue,
d’une cotonnade douce pour lingerie, il peut,
il peut, il restera l’envers tout chiffonné
qu’aucune parole ne pourra assouplir, il peut,
il restera.
Philippe
|
Aux points d’illusion,
elle coud l’envers de la toile. Les doigts fins
et agiles tirent les brins écrus. Le drap neuf
s’allonge devant elle, un long fruit d’heures
de travail.
Son corps accompagne en silence le maniement de l’aiguille.
Et la coton-
nade épingle son histoire invisible sans ourdir,
sans tramer. Ce serait un foulard léger voletant
autour de ses épaules. Chaque jour, l’assemblage
des brins bobinent une nouveauté.
Le fuseau dévide son fil d’espoir. A
ses pieds, un écheveau bien ordonné,
celui de ses jeunes années. Il n’est
pas encore l’heure de renvider les mots, de
froisser son visage à chaque
passage de la navette, de créper la filasse
pour cacher la bure grise de son corps vieilli.
Il n’est pas venu le temps d’entoiler,
d’apprêter le tissu masqué des
félures. Pour l’instant, avec doigté,
elle compte les fils de la frange .Dans l’armoire,
sur le drap de mariage, s’ajoute celui du baptême.
Alice
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La
Langue de Travers(E) : qu'est-ce que c'est
?
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