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Rencontre ... avec Marlena Braester
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Paris brille sous le soleil du mois d’octobre,
après la pluie qui lave les soucis et les préoccupations de
cette rentrée. Les rues sont pleines, les gens vont et viennent, je
trace mon chemin parmi la foule. Rue Vieille du Temple, dans le Marais, j’ai
rendez-vous avec Marlena Braester à 14h00 au Salon de la Revue.
Manifestation annuelle où sont représentées trois revues
des « écrivains israéliens d’expression française
» : «Continuum», «Poésie & Art»
et «les Cahiers Benjamin Fondane».
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Je regarde attentivement parmi la multitude de stands, et soudain nos regards
se croisent, l’attente a pris fin. Je découvre… Salutations d’usage,
sourire, intérêt et déjà questionnement. La rencontre
s’initie, le dialogue s’instaure rapidement, direct et chaleureux. Marlena
parle un français parfait, qui coule fluide, tel son écriture,
toujours concise et précise. Dotée d’un esprit vif et curieux,
digressif et analytique, nous discutons face à face dans un café
parisien, à l’abri de la pluie.
Le premier sujet abordé fut celui des racines
: née à Iasi, où elle a fait toutes ses études,
elle s’est d’abord mariée, est devenue professeur de français
et d’anglais et a quitté la Roumanie avec son mari en 1980 pour Israël.
Inscrite à l’université de Haïfa, en attendant la reconnaissance
de ses diplômes et l’équivalence, elle a suivi des cours de
linguistique et de littérature française qui la passionnent.
Puis une petite fille naît, en 1984, dans ce nouveau foyer sur cette
terre d’Israël. Elle a ensuite soutenu une maîtrise sur Paul Eluard
et Antonin Artaud, à Haïfa, et son doctorat en linguistique en
France sur « L'Ironie dans le fonctionnement du langage ». Maintenant,
faute d’élèves qui souhaitent apprendre le français,
Marlena enseigne l’anglais technique à L'Institut Polytechnique où
elle a le statut de « lectrice ». Français, anglais, roumain,
hébreu… dans une société multilingue et pluri-culturelle,
Marlena garde cependant son identité roumaine, je cite de mémoire
cette phrase : « nous parlons en roumain, mon mari et moi, et notre
fille nous répond en hébreu. » Rupture linguistique entre
les générations…
Le second sujet dont nous parlons est celui de la poésie.
Ecrivain, linguiste, mais aussi traductrice, Marlena Braester travaille –
bénévolement- pour le Centre de Recherches sur la Poésie
Francophone Contemporaine (CRPFC) de l'Université de Haifa. Ce centre
a été créé en 1998, dans le cadre des Centres
de Recherches de l’université de Haïfa, par le professeur Jacqueline
Michel (professeur en Lettres Modernes et spécialiste de la poésie
contemporaine) où Marlena dirige un atelier de traduction de la poésie
(francais-hébreu-francais).
Le CRPFC se présente comme un "lieu de poésie" ayant un double
but :
- contribuer à faire mieux connaître la poésie contemporaine
française / francophone, et israélienne (juive et arabe).
- Suivre le développement actuel de la création poétique.
L’atelier de traduction dirigé par Marlena occupe une place de première
importance dans les activités du CRPFC. Les sessions de travail rassemblent
régulièrement des traducteurs professionnels dont certains
sont aussi poètes, ainsi que des traducteurs-chercheurs dans le domaine
de la littérature moderne.
Ce centre publie la revue "Poésie & Art", dont le comité
directeur se compose des trois membres suivants : Jacqueline Michel, Marlena
Braester et Isabelle Dotan. Revue annuelle qui rend compte des rencontres
avec les poètes invités, et donne à lire quelques uns
de leurs poèmes (certains inédits) en version bilingue (français/hébreu)
pour la plupart. Cette revue présente également des articles
et des commentaires critiques sur la poésie contemporaine, et sur
des poètes connus ou à découvrir. Elle ouvre, ainsi,
ses pages à des voix poétiques à écouter, riches
dans leur diversité:
Elles proposent d’entrer dans des démarches créatives
dont chacune est marquée par l’originalité forte d’une pensée
qui la sous-tend. Des poètes s’expriment traçant des approches
et des saisies diverses de ce monde-ci, comme en témoigne pour chacun
d’eux, le choix de poèmes et de textes en prose poétique offerts
à la lecture. Dans ce champs d’une poésie à l’oeuvre,
viennent s’inscrire des articles critiques. Ils accompagnent ces voix poétiques.
Cherchant à les mieux "penser", ils tentent des chemins d’une meilleure
écoute." Jacqueline Michel in "Poésie & Art", n°6,
2004, extrait du prologue page 5.
L’écoute et l’attention sont grandes de part et d’autre dès
que nous abordons la parole poétique. Création par excellence,
et re-création dans l’exercice de traduction, cette parole poétique
nous subjugue totalement.
Marlena Braester est également présidente de l’Union des
Ecrivains Israéliens de Langue Française qui publie la très
intéressante revue "Continuum", revue à parution annuelle
également. Le comité de rédaction se composant comme
suit : Marlena Braester, Bluma Finkelstein, Monique Jutrin, Esther Orner
et Carmen Oszi. Quatre rubriques y sont développées : Hommage
– Voix majeure – Voix nouvelle- Poésie et peinture. Plus la rubrique
Informations.
A ce sujet, plusieurs articles sont publiés sur Agonia :
Editorial
Continuum n°1
La francophonie
en Israël
Editorial
Continuum n°2
Parution
Continuum n°2
(Dans le n°2 de "Continuum", 2003-2004,
Hommage à Claude Vigée, Voix majeure : Esther Orner, Voix nouvelle:
Cédric Cohen Skalli.)
En guise de conclusion, me revient en mémoire ce texte que Marlena
écrit dans "Continuum" :
"Le JE poétique, l’AUTRE du langage
Depuis Proust, on le redit de plus en plus souvent: "étrangère"
nous est la langue poétique. Jusqu’au moment où le poète
l’assume en tant que telle: poétique, elle lui devient de moins en
moins étrangère. Des paroles "différemment" conjointes,
un re-découpage de la signifiance, des rythmes qui s’éveillent,
une recherche menée dans le langage, une mise en regard – et une
poétique secrète est à l’oeuvre. Une langue poétique
a toujours la fraîcheur de l’aube primordiale, l’ouverture du commencement.
Le passage du roumain au français, je l’ai vécu dans le continu.
Linguistiquement parlant, je suis allée vers les racines d’une langue;
et à force d’en sonder les profondeurs, j’ai découvert la
source de plusieurs; pour un moment, les différences étaient
annulées; et ce fut le recommencement: dès ce moment "réfractaire",
ma langue fut déviée pour "couler de source" comme un flux
naturel vers le français. Les réverbérations du poétique
rendent scintillants les versants de la langue.
Le danger est de traiter une langue ("maternelle" ou pas, peu
importe) en tant que "transparence"; car, transparente, on ne la voit plus,
on risque de ne pas y distinguer les profondeurs, les épaisseurs.
C’est vrai: il y a une „langue mère”: parfois il y en a deux. Car
une autre peut nous adopter poétiquement et ce qui se tisse sous
notre plume a une texture différente.
Décisive est aussi la littérature que nous côtoyons.
Notre propre écriture naît souvent dans l’écriture de
l’Autre: un "dedans" que l’on est en train de sonder. Il peut nous arriver
d’être tellement pris "dedans", que notre écriture naisse de
cette terre poétique.
A la recherche de l’Autre de l’écriture, de l’Autre du langage,
le poète subit sans cesse la réfraction de la langue en langue
poétique.". (in "Continuum" n°1, 2002-2003, page 11)
Marlena, "la poétesse du désert",
aux racines roumaines, et que le français a adoptée linguistiquement.
L’art de communiquer avec l’Autre, d’adapter sa parole et de la lui porter
au travers de la création poétique.
Le jour s’est avancé, peu à peu, le temps nous fut compté.
Nous avons donc repris chacune notre trajet, laissant cet entretien ouvert
jusqu’à l’an prochain où nous avons pris rendez-vous pour
… le 15ème Salon de la Revue.
Multumesc foarte mult, Marlena, si pe curînd !
Correspondance : Marlena Braester, Altar 10/2 – Haïfa 92984 (Israël)
Téléfax : 972 04 8230557
E-mail : braester@internet-zahav.net
par Nicole Pottier
Responsable pour Agonia France
en partenariat avec francopolis
novembre 2004
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