UNE VIE, UN POÈTE

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Une Vie, un Poète

Ali Azayko,

 grand poète,  historien et militant amazigh marocain.

par
Ali Khadaoui, poète marocain



Dans la présentation de la rubrique « Une vie, un poète », les responsables de Francopolis écrivent :
« Une vie, un poète, pourquoi ? Parce qu’il y a des poètes, des poètes qui vivent une histoire s’inscrivant dans une langue, un pays, le monde. À travers la planète, des dizaines, des centaines de poètes ont connu ou connaissent un destin particulier, souvent lié à l’histoire de leur pays ou leur vie particulière. Une nouvelle rubrique, auprès des poètes dont le destin n’est pas sans rapport avec leur poésie. »

O combien, Mesdames et Messieurs, votre affirmation convient au grand poète, historien et militant amazigh marocain : Ali Azayko

L’histoire, la vie de Ali Azayko se confondent avec la cause amazighe dont il a été l’un des plus grands précurseurs, en tous cas, le premier détenu. Sa poésie, en langue amazighe, constitue en elle-même une révolution culturelle qui a marqué, et qui marque encore aujourd’hui, toutes les générations ultérieures.

Nous sommes en 1982, Ali Azayko était arrêté pour atteinte à la sécurité de l’Etat, jugé, condamné à plus d’un an de prison ferme. Quand on relit aujourd’hui l’article mis en cause et intitulé  « Pour une conception véritable de notre culture nationale », on ne peut qu’être révolté et médusé par cette grande injustice, par une perversion de l’histoire qui est allé jusqu’à au vouloir étouffer la vérité culturelle de tout un peuple. Ali Azayko avait tout simplement affirmé que la culture amazighe était une culture au même titre que la culture arabe, et qu’à ce titre, elle méritait le même respect. Il n’avait fait que réaffirmer un principe de la démocratie et de la modernité, reconnu par les instances des Nations Unies quant à l’égalité des cultures.

Mais si cette injustice a brisé la santé physique du grand militant, elle n’a rien pu contre la conviction de l’historien, contre la force de la poésie, ni contre la perspicacité et la persévérance du grand militant. La lutte quotidienne et acharnée contre la souffrance d’une maladie incurable contractée en prison n’a en rien altéré sa détermination dans la lutte pour l’amazighité, pour la liberté et la dignité des marocains en général. Parallèlement à son corps qui s’affaiblissait de jour en jour, une puissance intellectuelle et humaine, une fidélité sans concession pour ses convictions se dégageaient de l’homme comme une force invisible qui ne laissait personne indifférent.

Jusqu’au bout, Da Ali-pour les amis- restera fidèle à lui-même et à la cause amazighe : indulgent sur la forme, intraitable sur le fond: la vérité et les principes. En grand intellectuel, il avait l’assurance de celui qui sait, sans pour autant tomber dans la satisfaction des intellectuels médiocres. Il avait aussi l’ardent désir que tous, ou du moins, une majorité,  puissent avoir accès au même savoir, surtout à la véritable histoire de leur pays, une histoire volontairement falsifiée par l’historiographie officielle. Pour lui, l’ennemi no un de tous nos maux, c’est l’ignorance. Et, en premier, celle des intellos complaisants.

D’individuelle, la conscience de Ali Azayko va devenir collective. Le temps lui a laissé au moins le temps de voir qu’il n’était plus seul, que la force de ses idées a fini par s’imposer à la société entière et finalement à l’Etat qui s’était toujours affirmé en seuls termes d’arabo-islamité. Le Discours Royal d’Ajdir et la création de l’IRCAM en 2001ont été pour lui comme une revanche de l’histoire sur la simplification de l’histoire. L’officialisation de la langue et l’identité amazighes du Maroc en 2011constitue le couronnement d’un combat pour une cause juste, mené de manière pacifique et civilisée depuis les années Soixante.

Honorer la mémoire de tels hommes, connaître et faire connaître leurs multiples dimensions, est un devoir de mémoire. C’est aussi un plaisir et un privilège que de connaître des hommes de cette trempe.

Mais quand on veut parler de la mort, de morts aussi vivants, les mots prennent peur, se figent, car les mots, eux aussi, naissent et meurent. Les mots, « puces » de la mémoire humaine, meurent quand leur transmission n’est plus assurée pour une raison ou une autre, quand une langue perd le contrôle de son propre destin. Et dit Jean Dutourd de l’Académie Française :
« Il n’y a pas de plus grande douleur, qu’une langue que tue brusquement l’histoire, devant les yeux même de ses poètes ».

Et Ali Azayko était un grand poète amazighe, et la langue amazighe était en péril. Fils du Haut Atlas, il a hérité des lieux de son enfance, une hauteur, une sensibilité et une endurance à toute épreuve. C’était un vrai montagnard et fier de l’être. A ces qualités héritées d’une nature et d’une culture merveilleuse et millénaire, est venue s’ajouter une formation scientifique et intellectuelle des plus solides.

Il aura été l’un des premiers-si ce n’est le premier- intellectuels marocains à remettre en question ce qui était perçu à l’époque par l’intelligentsia dominante, comme une évidence : le Maroc était un pays arabe à part entière, culturellement et politiquement parlant. Et toute l’histoire et la politique culturelle devaient aller dans le sens de cette évidence. En historien, Ali Azayko constata que cette « évidence était en fait une aberration de l’histoire » car ce n’était qu’une évidence idéologique qui ne résistait pas aux preuves que constituent les  données objectives, historique, linguistique et anthropologique. Et ces données attestent que la culture amazighe constitue le fond civilisationnel de toute l’Afrique du Nord, un fond millénaire où sont venus se déposer tous les autres apports extérieurs, mais apports qui n’altéraient en rien l’identité amazighe, identité ouverte et plurielle dans ses expressions, mais une et indivisible dans son essence et sa permanence. Ali Azayko a été, en quelque sorte, le Galilée de l’arabo-islamisme au Maroc, ce que le pouvoir de l’époque ne pouvait pas supporter.

J’ai eu l’immense honneur de connaître et d’admirer cet homme hors du commun. C’est l’un des plus imminents intellectuels marocain qui a disparu. Qui renaît, car notre société a cette fâcheuse habitude de ne reconnaître la qualité des hommes qu’après leur mort.  

 « Timitar : signes »19881, et « Izmuln : cicatrices » 1995, sont les deux recueils de poèmes en tamazight que le défunt nous a légués. Rien que ces deux intitulés nous donnent déjà un avant goût de ce qu’ils sont : des testaments renfermant toute la substance d’une volonté inébranlable d’être ce qu’il a choisi librement d’être : celui qui dérange, qui empêche les autres de tourner en rond, par devoir, pour la vie, la dignité de millions d’hommes et de femmes qui n’ont pas pu avoir le privilège d’apprendre,  de connaître. Celui qui voyait ce que les autres étaient incapables de voir, qui disait haut et fort ce que d’autres ne pouvaient pas dire. Dans ce sens, son combat était aussi un combat pour la liberté. Pour l’humanité.


Véritable pionnier de la poésie amazighe moderne écrite, libre, où transparaît la violence physique (expérimentée par le poète lui-même) et symbolique subies par l’identité amazighe tout court. C’est une poésie que je qualifierai d’innovatrice, d’engagée, qui rompt avec le registre oral sur le plan formel, mais qui, quelque part, rejoint et prolonge la tradition au niveau des valeurs:

Que loin du chemin amazigh,

nous sommes

dès le moment de naître.

Des données, les cicatrices;

Celles égarées;      

C’est de l’écrit.

Le script

N’a point livré

Ce qu’est le remède de l’écriture…


Ces vers d’Azayko tiré de Izmuln, traduits par Ha Oudadess, appartiennent bel et bien à un autre registre que celui des rways ou des imdiazn. C’est un registre écrit empruntant les règles de versification non pas à la poésie traditionnelle avec ses règles strictes, mais à la poésie moderne dite libre. Sur le plan esthétique, la disposition des strophes, la métrique, les rimes, la ponctuation, les groupes sonores, la violence du vocabulaire utilisés (izmuln: cicatrices), leur répétition pour insistance et mise en valeur, la violence des images, certaines inattendues (« s’ils lisent… les cicatrices; des fleurs sous … la peau… ») tout cela fait une poésie forte et belle à la fois mais qui ne rompt qu’en apparence avec la poésie traditionnelle. Le succès de ce recueil auprès des lecteurs amazighes a été à la hauteur des espérances du poète qui était obsédé par le temps contre lequel il avait engagé une course impitoyable. Il était hanté par le devenir de l’amazighité, devenir qui ne pouvait plus être assuré par l’oralité traditionnelle. Sa poésie a inspiré tant de jeunes chanteurs, de cinéastes et hommes de théâtre.

Repose en paix, Da Ali, tu l’as mérité amplement. Nous sommes nombreux à jurer fidélité à l’engagement, aux principes et à la générosité qui sous-tendaient ton combat. Et que vive Tamazight et la liberté, car l’une ne va pas sans l’autre. Quand on parle de la mort, les mots se font tout petits, car les mots vivent et meurent aussi. Demeure alors la poésie, seule expression pour dire l’absence, évacuer la douleur. Demeurent alors les mots, seuls capables par leur magie mystérieuse, de dire, de nommer les choses et les êtres, et surtout, de donner aux vivants, la force de  continuer à vivre, malgré… C’est pourquoi Imazighen d’autrefois, dansaient et chantaient leurs  morts. Avant que les prêcheurs ne déclarent « haram »poésie et danse. C’est peut-être ce que voulait aussi dire Azayko dans ces vers traduits de l’amazigh :

 

« Amazigh est le verbe en moi

Mais nul ne le reçoit

Ces vers emplis de sens, qui, dessus, qui voudrait danser…

Amazigh pourtant, amazigh mon parler franc

A peine aura-t-il brisé  entre nous la coquille, que vos cœurs flamberont

Comme autant d’astres unis dans notre part des cieux… »

Biographie et œuvre du poète :

Né en 1942 à Igrane n Tounight, dans le Haut Atlas, Provine de Taroudant.  

Etudes primaires dans le village de Tafenkoult, secondaire à Marrakech. Il perd son père dans un accident de bus en 1952.  Etudes universitaires à Rabat où il obtient une licence en histoire, puis à la Sorbonne où il obtient un Doctorat de troisième Cycle en Histoire Sociale sous la direction de Jacques Berque.

Parcours professionnel : Instituteur, enseignant d’histoire dans le secondaire puis à l’Université.

Parcours militant : Parmi les fondateurs de l’Association Marocaine pour la Recherche et l’Echange Culturel (AMREC) en 1967 ; parmi les fondateurs de l’association « Amazigh » en 1979 avec Mohamed Chafik, un ami de longue date. Parmi les fondateurs de l’association « Connaissances et Culture) en 1972 ;

Prisonnier d’opinion : 1982 ;
Membre du Conseil d’Administration de l’IRCAM (Institut Royal de la Culture Amazigh), Chercheur détaché au même Institut (2001-2004)
Mort à Rabat le 10 Septembre 2004, enterré selon ses vœux au sommet d’une montagne de son coin natal.


OEUVRES

Poésie :    Timitar (signes)1988,      
               Izmuln (cicatrices)1995 ;

Histoire :   « L’histoire du Maroc ou les interprétations possibles » 2002

Autre :      « Exemples de toponymes et noms marocains » 2004


Véritable trilingue, Ali Azayko a publié dans (journaux, revues académiques …) des dizaines d’articles à caractère scientifiques (histoire-anthropologie) ou de vulgarisation (cause amazighe) en langues amazighe, arabe et française.


Voir le complément - Poème de
Athanase Vantchev de Thracy


Présenté par Ali Khadaoui

 
Francopolis décembre 2012
 
 
 

Créé le 1er mars 2002

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