Franz BARTELT sur son trottoir
par
Paul MATHIEU
Le jour où nous
l’avons rencontré, il faisait si chaud que les oiseaux tombaient
comme des mouches. Saluer Franz Bartelt par une telle entrée en
matière s’inscrit décidément à cent lieues
de l’humour léger et décapant pratiqué d’habitude
par l’écrivain des bords de Meuse, mais cela permet une
entrée en matière un peu décalée qui colle
bien au sujet. À vrai dire, chez lui, à dix
kilomètres de Charleville, le paysage se hisse au niveau d’une
sorte d’art de vivre, à ce titre, approcher Franz Bartelt sur
ses terres constitue un privilège rare qui, au passage, explique
peut-être bien des choses. Mais c’est vrai qu’il faisait chaud
quand nous avons poussé jusqu’à sa porte. Un buste de
Jean-Baptiste Clément, un quai de Meuse, une rue en pente, un
paravent de fougères bleues et voilà l’entrée d’un
autre monde qui ouvre sur l’Ardenne mais aussi sur une imagination sans
borne. Et qui vagabonde sans cesse. Romans, récits, nouvelles,
théâtre, poésie… Le nocher des habitudes a vraiment
tâté de tous les genres avec des bonheurs jamais
démentis.
Si, en bon voisin de Rimbaud, Franz Bartelt se veut absolument moderne,
il faut toutefois l’entendre évoquer ses promenades dans les
Fagnes, la Gaume ou le long de la Semois: Je n’aime pas la marche dans les Alpes, précise-t-il, ça monte trop fort pour moi.
Plus largement même, il n’affectionne pas spécialement les
horizons lointains et rappelle volontiers combien il peine à
quitter les Ardennes: J’ai horreur de sortir loin, dit-il. C’est au point que je me suis rendu compte, l’autre jour, que je n’avais jamais été sur le trottoir d’en face.
Malgré tout, il avoue quelques lieux de prédilection
comme Venise ou comme Asolo, près de Trévise. Il est vrai
que le nom de ce patelin plaide dans le sens d’un attachement
inconditionnel puisqu’il vient de l’italien asolare qui veut dire
«musarder agréablement»… Tout un programme pour un
écrivain toujours à observer le temps qui passe et celui
qu’il fait: J’aime la pluie, dit-il, parce que c’est mon ordinaire. Voilà
peu, je me suis rendu compte d’un truc pas banal à ce propos.
Ici, dans les Ardennes françaises, le climat est humide et
froid. En Ardenne belge, ce n’est pas très différent.
Pourtant, sur un présentoir à Bohan on trouve des
lunettes de soleil quand, sur le même type de présentoir
à Charleville on n’a guère que des parapluies…
Les amours de Franz Bartelt se sont forgées au gré des
circonstances. Comme il a vécu longtemps à Givet, il en a
gardé une tendresse particulière pour la Belgique: C’était
comme une île. Au lieu d’aller au cinéma à
Charleville, on allait à Bruxelles. D’ailleurs je n’ai jamais
raconté d’histoires belges, parce que c’est un peu comme si je
me moquais de moi-même. Par contre, j’adore l’esprit belge qui
est un peu décalé ou, en tout cas, qui a une logique
particulière fondée sur l’autodérision et sur
l’absurde. Sur ce plan là, les écrivains belges ont un
sérieux culot. D’autre part, les Belges sont plus
attachés à la langue, ils mettent un point d’honneur
à la pratiquer sans fautes. J’ai eu beaucoup de coups de coeur
en parcourant la littérature belge. Ainsi, récemment,
j’ai découvert «Un mâle» de Camille Lemonnier.
Ça a un siècle et ça a gardé tout son punch.
Pas à dire, l’auteur ardennais a de solides liens avec
l’outre-Quièvrain. Il faut souligner que son premier texte
publié en revue l’a été à Virton, dans "La Dryade", un trimestriel animé pendant trente-trois ans par Georges Bouillon. C’était vers 1966, n’oublie-t-il pas de préciser, et ça reste peut-être la plus grande joie de ma carrière.
Pas étonnant du coup que Franz Bartelt évoque souvent la
Belgique dans ses récits et dans ses romans. On le voit
notamment dans "Le grand bercail", où il explore les souterrains
de la mémoire: Le premier souvenir que j’ai de la Belgique,
c’est un voyage scolaire du côté de la Semois. Nous avions
admiré le point de vue de Frahan et visité la salle des
tortures du château de Bouillon. Ça m’a poursuivi, parce
que les grands parlaient tout le temps de ça. Des années
plus tard, j’ai vu le château de Gand et, question salle des
tortures, c’était nettement plus impressionnant.
La passion pour les fonds de terroir, ne doit pas cacher les autres
azimuts qui existent dans le jardin de F. B. Celui de la cuisine par
exemple. Il avoue même un culte inattendu pour l’épluchage
des pommes de terre. C’est cela aussi la magie Bartelt, l’éloge
des petites médiocrités quotidiennes. Ainsi, dans
"Plutôt le dimanche", quand il fait l’inventaire de ses plats
préférés genre boulettes frites ou cèpes.
La nourriture et les bières trappistes constituent une part
considérable de cet univers unique en son genre. Du coup, on est
vite tenté de lui demander ses recettes. Chez l’ami Franz,
pourtant, la cuisine se mijote dans le secret le plus total: Je ne fais jamais relire un livre; ma seule base de jugement c’est celle de mon éditeur. Discret
quant à ses méthodes de décoction, il avoue tout
de même que la littérature c’est comme la pâtisserie: Il faut rater beaucoup de choses avant de réussir un premier plat.
Le moins que l’on puisse dire, en tout cas, c’est que les
réalisations à la sauce Bartelt sont toujours savoureuses
et, même s’il en dissimule les ingrédients, on n’a jamais
de peine pour y retrouver la pointe d’humour qui les caractérise
si bien. Ainsi, dans "Les noeuds": Il délibérait sur
des sujets auxquels personne n’attachait jamais le moindre
intérêt et qui le mettaient, lui, dans tous ses
états, civils principalement. Et puisqu’il n’y a que le
premier plat qui coûte, autant se lancer aussi dans le
culinaro-littéraire pour mettre en forme une "Terrine Rimbaud".
Un boucher amateur de belles-lettres… mariage improbable, mais qui
tient la route en dépit de tous les qu’en dira-t-on.
Pas de mystère pourtant, chez Franz Bartelt, les choses se
veulent simples et franches. Même son intérêt pour
le polar qui lui vient tout naturellement de ses premières
lectures. Mais tant qu’à faire, il ne s’est pas
gêné pour exploser les règles du genre ni pour
sauter allègrement vers d’autres formes d’écriture. Je commence toujours par écrire un poème, confie-t-il. Même si j’en publie moins que des romans.
De fait, ses recueils de poésie révèlent tout son
talent dans ce domaine. Il suffit, par exemple, de suivre "Les
marcheurs" pour s’en convaincre: Reste-t-il assez de nuit pour écrire toute la lumière?
Une sacrée question et une belle leçon.
Paul Mathieu
– Article paru dans:
Automne 2008 -52 Revue
Traversées

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Extrait
Sous l'arbre
dans l'ombre couverte d'héliogrammes,
ce premier mouvement de ton corps
vers moi réécrit les signes du livre
d'avant les livres.
Je te lis nue d'entre les pages,
d'entre les lettres, pour que les mots
me viennent à la bouche
comme une salive.
Je t'apprends plus que je ne te prends
pour te réciter plus tard
dans le silence blanc.
Je ne saurai jamais rien de toi
que ce prélude à tous les chants,
ces poèmes décelés d'un baiser,
cette histoire que trop de lumière effacerait.
J'avance en toi comme dans un bois
sur des sentiers fleuris de mots,
au milieu des ruisseaux aux étoiles cueillies,
sous l'arbre
de l'écriture qui ouvre l'éternité
qu'on ne saurait vivre.
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Franz BARTELT - Bibliographie (non exhaustive – à partir de 2005)
Aux éditions Gallimard
Le jardin du bossu (roman, Série Noire, 2004, Folio 2006)
Le bar des habitudes (nouvelles, 2005, Folio 2007)
Chaos de famille (roman, Série Noire, 2006)
Pleut-il ? (chroniques, 2007)
Aux éditions Labor
Massacre en Ardenne (roman, 2006, réédition)
Les Bottes rouges (roman, 2006, réédition)
Aux Editions Galopin
La Beauté Maximale (roman, 2005)
Liaison à la Sauce (roman, 2005)
Aux éditions Liber Niger
Teddy (roman, illustration Blutch, 2005)
Aux éditions Terres Noires
Charleville-Mézières, absolument moderne (2006)
Aux éditions Rencontres
Tremblements (avec Marc Géranton, 2007)
Altamira éditions
Encrez libre (avec des gravures d’André Stas, 2007)
Le Dilettante
La belle maison (roman, 2008)
Les noeuds (roman, 2008)
La Fontaine
Les biscuits roses (2007)
Bayard Presse
A quoi ça sert, les parents ? (2008)
Editions La Branche
Nadada (roman, 2008).
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