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rencontre avec un poète du monde

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ARCHIVES : VIE – POÈTE 

 

Une Vie, un Poète :

 

Christiane Veschambre (II)

par Mireille Diaz-Florian

 

Parcours de Christiane Veschambre (suite)

 

 

    

 

Materia prima :

En mai ou juin, quand les pluies se font rares, Jean Louis Tourbin a commencé à creuser les fondations de sa maison. Il venait d’épouser Marie Louise Carfentan. Probablement avait-il hérité du terrain, qui ne valait pas grand chose, situé hors du bourg au lieu-dit Le nid-de-chien, en face d’une mare peuplée d’insectes, et en contrebas de la route d’où l’eau dévalait à chaque averse. Sur le côté, un chemin creux descendait vers le bourg.

Puis il a maçonné : fondations et soubassements. Il savait y faire puisqu’il était ouvrier maçon. On a ensuite commencé à extraire la terre, sur le côté de ce qui serait le pignon gauche de la maison, non loin du chemin creux. Elle était assez bonne, plutôt trop argileuse, on y ajoutait un peu de sable. C’était le bon moment, celui où elle travaille et monte en sève. Un homme creusait, cassait les mottes, divisait la terre avant de la relever en tas.

 

 

Marie Tourbin

Dans quelques jours, ce sera l’anniversaire de cette soirée, il y a trente ans, où j’ai écrit : »Je ne me souviens pas que Marie ait eu un corps aux formes vivantes, particulières ». Vous étiez morte, Marie Tourbin, depuis longtemps déjà et jusqu’à ce soir-là je n’avais pas su que vous étiez mon centre de gravité- ce qui me donnait poids sur terre, et consistance. La particulière consistance de cette première phrase et de celles qui ont suivi, je l’ai immédiatement sentie, et que j’allais m’y tenir, me tenir à vous, Marie, pour longtemps, j’ignorais de combien long ce temps mais justement je le sentais sans borne préétablie, inconnu. J’étais étrangère à ce que j’écrivais, à ce que j’allais écrire mais j’étais la seule étrangère capable de venir à votre connaissance.

 

 

Théâtres

De l’extérieur je connaissais la rue et le chemin creux. Tous deux capables d’accueil ; la rue quand elle prodiguait dans les crépuscules d’automne ses lumières électriques, vitrines et lampadaires penchés sur mon petit monde ; le chemin creux, antre pierreux et gras, frais et sonore dans l’été vertical, le chemin creux qui me remettait au monde- j’en ressortais luisante et m’essuyais à l’aire de terre battue.

Et puis le haut jardin. Lui ne m’accueillait pas. On montait vers lui, il nous laisserait entrer, aucune réticence, ni en lui ni en nous, mais il garderait ses distances naturelles. Il n’avait pas à les garder : il était naturelles distances.

Une montagne dans la ville-je ne savais pas ce qu’était une montagne. Je le découvrirais plus tard devant une fenêtre ouverte sur le premier matin d’un été dans les Vosges : il pleuvait et devant moi, derrière la pluie, quelque chose de massif et noir, rond, prenait la place de l’horizon.

 

 

Albedo

L’enfant est debout dans le matin. L’âge adulte invente l’aube comme prémisses mais pour l’enfant pas de journée au-devant d’elle, tout est prémices- et dans ce matin-là comme toujours l’enfant debout à la limite de l’ombre portée de la maison ne prévoit rien. Ne voit rien non plus : se laisse côtoyer par les odeurs de fleurs ou d’herbes chaudes, chausser par le roulis croquant du gravier, vêtir par l’habilleuse, lumière ou pluie.

Cependant : naguère encore, et depuis l’éternité, l’enfant cueillait et se laissait cueillir en chaque moment d’un être qui, imperceptiblement, est devenu de plus en plus- et souvent par soustraction- le sien.

L’enfant qui se tient debout, silencieuse dans le matin et va franchir avec la limite de l’ombre l’angle de sa maison, hésite. Les jambes qui dépassent su short ont perdu en plein, gagné en délié. Elle ne gagne ou perd qu’au Monopoly. Les jours de pluie.

 

 

Rubedo

Marie Pierre Baie, Hélène Fleuroy, Elisabeth Wissans, Laure Vacières

 Paule Arola, Françoise Prato, Annie Poulet, Monique Mégret, Catherine Terrandier, Lise Vieillefont

 Ghislaine Vaneck, Nicole Lanque, Marie France Cesson, Christiane Barbotan, Sylvie Gabelle

Annie Ramant, Marie Thérèse Manin, Régine Taburin, Liliane Scherrer

 et celles qui n’ont plus de nom. Il me suffit de m’attarder sur leur visage. Je contemple. Je contemple le regard vaguement triste de celle-ci, à gauche de Annie Ramant, sa bouche asymétrique, sa terne présence dont afflue en moi, à nouveau, le goût singulier- et son nom, son nom imprévisible unique et indivisible m’est redonné : Marie Hélène Maisonneuve. Qui ne sourit pas.

 

 

Légende

Le père a posé la valise douloureusement charriée pendant le voyage en train aux pieds de sa fille. Les livres  y sont restés rangés : il n’y a pas d’étagère où les aligner dans le petit meublé loué pour les vacances. Elle la laisse ouverte, consulte à nouveau les titres entassés, en choisit un dès le premier jour.

 Tous les après-midi elle lit . Ce qu’elle croit devoir lire. Ainsi, ce qu’elle lit construit autour d’elle la demeure de son privilège- et la longue jetée de son espérance. Devoir, privilège et espérance obscurcissent son esprit, tissent comme une taie sur ses yeux de lectrice- peu importe, elle ne lit pas pour savoir ce qu’elle lit.

Elle lit pour se dédier.

Presque tous les après-midi le père et la mère vont marcher : ils longent la rivière qui traverse le village et poursuit vers un lac, ou bien gagnent la montagne et ses forêts chaudes et vertes.

 

 

Puella

C’est un parfum bleu qui retient le foulard de mousseline sur les cheveux gonflés, laqués, légers… Laquée, légère, revêtue de la courte veste claire accordée à la jupe qui vient étroitement ceindre ses genoux, elle s’abrite des larges gouttes d’eaux fade et tiède. Derrière elle, sous la grosse pluie timide, s’émeut le parc, puissances vertes contre parfum bleu. Pour l’heure, parfum bleu gagne : il arme la jeune fille pour l’attente, sous l’auvent de la station, il se tient sans faiblesse contre sa joue comme un arbre de mai ; il s’élance pour traverser les années- mais c’est elle, la jeune fille, que les années traverseront. Parfum bleu, lui, n’est pas né pour connaître l’altération. Ni pour traverser quoi que ce soit, comme un dieu, étranger au temps et à l’espace. A elle il arrivera, longtemps après, de recevoir la grâce, de s’y soumettre, et parfum bleu touchera sa joue défaite par l’assiduité des jours.

 

 

 

 

Une vie, un poète

Christiane Veschambre (II), par Mireille Diaz-Florian

 

Francopolis novembre-décembre 2018