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MAHMOUD DARWICH, PAROLES DE PROPHETE ?



Les étoiles n’avaient qu’un rôle :
M’apprendre à lire
J’ai une langue dans le ciel
Et sur terre, j’ai une langue
Qui suis-je ? Qui suis-je ?
[…]

Extraits du poème Dispositions poétiques, dans Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude, trad de l’arabe par Elias Sanbar, éditions Actes Sud 1996, page 79

Une vie, un poète, pourquoi ? Parce qu’il y a des poètes, des poètes qui vivent une histoire s’inscrivant dans une langue, un pays, le monde. A travers la planète, des dizaines, des centaines de poètes ont connu ou connaissent un destin particulier, souvent lié à l’histoire de leur pays ou leur vie particulière. Certains d’entre eux ont profondément marqué la littérature ou sont devenus de véritables légendes. Mon regard s’est donc tourné naturellement vers Mahmoud Darwich, poète de Palestine, poète de l’exil, chef de file de la poésie arabe contemporaine pour débuter une grande promenade, une nouvelle rubrique, auprès des poètes dont le destin n’est pas sans rapport avec leur poésie.


[…]
Un nuage dans ma main me blesse
Je n’exige pas de la terre plus que cette terre
Les senteurs de la cardamome et de la paille
Entre le cheval et mon père
Un nuage dans ma main m’a blessé
Je n’exige pas du soleil plus qu’une orange, et
L’or qui coule de l’appel à la prière
[…]

Extrait du poème Un nuage dans ma main, dans Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude, trad de l’arabe par Elias Sanbar, éditions Actes Sud 1996, page 19

La poésie de Mahmoud Darwich, souvent qualifiée de lyrisme épique, célèbre la terre du poète, La Palestine, avec tour à tour colère, peur, fidélité, soucis d’identité. Il est la personnification d’un peuple opprimé, son porte parole. Certains diront que cette écriture a une dimension politique, ce à quoi le poète répond « le poète n’est pas tenu de fournir un programme politique à son lecteur ». D’autres lui attribuent une image de prophète, de barde que le poète tente de chasser pour aller à la rencontre de sa propre voix. Quoiqu’il en soit, et un peu malgré lui, le message de Mahmoud Darwich tend vers l’universalité et l’humanisme.


père, dis-moi
est-il vrai que tous les hommes, en tous lieux
ont du pain, des espoirs
et un hymne national ?
Pourquoi donc avons-nous si faim
et chantons-nous, tout bas, des poèmes tristes ?
[…]

Extrait du poème Chanson naïve sur la Croix-Rouge dans Rien qu’une autre année, traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi, éditions de Minuit 1983, page 35

Mais pour mieux le connaître, revenons un peu à son histoire… Chassé à l’âge de 8 ans avec ses parents de son village natal, Birwa, il part pour le Liban. Un an plus tard en 1950, la famille est de retour mais Birwa a disparue et est occupée par des colonies israéliennes ; ils sont contraints de vivre en semi-clandestinité à Dayr al-Asad. La famille est donc devenue étrangère sur sa propre terre. Ca en fait beaucoup pour un petit enfant en soif de paix.

- Où me mènes-tu, père ?
- En direction du vent, mon enfant

[…]

- Qui habitera notre maison après nous, père ?
- Elle restera telle que nous l’avons laissée mon enfant

[…]

Extrait du poème L’éternité du figuier de barbarie, dans Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude, trad de l’arabe par Elias Sanbar, éditions Actes Sud 1996, page 27


j’ai en tête une chanson
sur ma ville natale
dors, ô ma sœur
que je puisse l’écrire
j’ai vu ton corps
soulevé par des chaînes
ruisselant de couleurs
et je leur ai dit :
Mon corps est là-bas
ils ont interdit la place de la ville
[…]

Extrait du poème La chute de la lune, dans Rien qu’une autre année, traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi, éditions de Minuit 1983, page 57


Mahmoud Darwich écrit donc très jeune, cherchant l’apaisement des mots dans la dureté de l’exil. Il sera ensuite emprisonné à cinq reprises entre 1961 et 1967 pour avoir exprimé la douleur d’un peuple, l’occupation d’une terre, l’espoir de liberté qui brille dans les yeux de chaque palestinien. Il partira vivre à Beyrouth, au Caire, à Tunis, à Paris pour revenir s’installer à Ramallah en 1996, quelques mois après le retrait de l’armée israélienne.

t’aimer, ou ne pas t’aimer
je pars, je laisse derrière moi des adresses susceptibles de se perdre
j’attends ceux qui reviennent
ils connaissent les échéances de ma mort, et ils viennent
Toi que je n’aime pas lorsque je t’aime
les murs de Babylone sont étroits le jour, tes yeux sont larges
et ton visage se propage dans la clarté
Comme si tu n’étais pas encore née. Et que nous ne nous
soyons jamais séparés. Comme si tu ne m’avais jamais assassiné.
[…]

Extrait du poème Cantiques, dans Rien qu’une autre année, traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi, éditions de Minuit 1983,page 87

C’est son poème Identité qui dans les années 60, le fait entrer dans la légende. Identité dépasse les frontières et devient une hymne chantée par tout le monde arabe. La poésie de Mahmoud Darwich chante la patrie perdue avec l’utilisation du langage de tous les jours, des formules saisissantes, des mots qui frappent et martèlent le torse du monde.

Pays au point de l’aube,
Nous nous entendrons
Sur la part de terre dévolue aux martyrs.
Les voici égaux
Qui déroulent l’herbe
Pour nous rassembler !

Extrait de Etat de siège, traduit de l’arabe par Elias Sanbar, éditions Actes sud 2004, page 25


Le poète ne veut néanmoins pas être qualifié de « poète de la résistance » et ne souhaite pas que de son œuvre ne soit retenu que le côté politique. Il se dit poète de l’amour également. « Je voudrais être présenté au public israélien comme un poète de l’amour. Je veux que le public, tout le public, connaisse le poète qui est en moi, pas seulement le Palestinien qui est en moi » (Mona Choller, « Inscris ! Je suis poète », www.inventaire-invention.com, 2000).


Le cheval est tombé du poème.
Les Galiléennes étaient trempées
de papillons et de rosée,
qui dansaient sur les marguerites des près.

Les deux absents : toi et moi,
moi et toi, les deux absents.

Deux blancs époux de mouettes
conversent de nuit sur les branches des chênes.

Pas d'amour, mais j'aime
les poèmes d'amour
anciens qui protègent
la lune souffrante, de la fumée.
Poussées et tirées, tel le violon dans les quatuors,
je m'éloigne de mon temps
quand je me rapproche
Des reliefs du lieu...

Plus de place dans la langue moderne
pour fêter ce que nous aimons,
tout ce qui adviendra... fut.

Le cheval est tombé, baignant
dans mon poème
et moi je suis tombé, baignant
dans le sang du cheval...

Extrait de Le cheval est tombé du poème dans Ne t’excuse pas, éditions Actes Sud 2006, page 34


Pour s’affranchir de la pression collective, Mahmoud Darwich casse sans cesse le langage poétique employé par la poésie arabe. Il donne à lire dans chaque nouveau poème une rupture avec ce qu’il a pu écrire auparavant. Néanmoins ce n’est pas toujours sans difficultés car sa poésie donne à interprétation, la mère ou la femme deviennent la patrie, l’enfant devient le peuple. « On s’est habitué à penser que, pour moi, la femme, c’est la patrie. Il faut toujours que je prouve que je suis normal et que je fais l’amour avec des femmes, pas avec la terre ! » (« Mahmoud Darwich, poète de la Palestine », L’Humanité, op. cit.). C’est aussi que dans sa poésie, le lecteur peut avoir quelques peines à différencier l’intime du collectif, l’histoire du poète de celle de son pays, la rage de vivre du combat politique. Difficile pour Mahmoud Darwich de rester un simple poète lorsque son public l’acclame et voit en lui davantage un prophète en qui confier un peu d’espoir.


Ici, sur les pentes des collines, face au couchant
Et à la béance du temps,
Près des vergers à l’ombre coupée,
Tels les prisonniers,
Tels les chômeurs,
Nous cultivons l’espoir

Extrait de Etat de siège, traduit de l’arabe par Elias Sanbar, éditions Actes sud 2004, page 7


 


[…]
A quoi servirait le printemps clément
S’il ne tenait compagnie aux morts, s’il n’accomplissait,
Après eux, la joie de vivre et l’éclat de l’oubli ?
La clé de ma poésie serait là,
Ma poésie sentimentale du moins.
Et les songes sont notre seul mode de parole.
O mort, hésite et assieds-toi
Sur le cristal de mes jours,
Comme si tu étais l’une de mes amies de toujours,
Comme si tu étais l’exilée
Entre les créatures.
Toi seule es l’exilée. Tu ne vis pas ta vie.

Ta vie n’est que ma mort. Tu ne vis ni ne meurs
Et tu enlèves les enfants à la soif du lait pour le lait.
Jamais tu ne fus
L’enfant bercé par les chardonnerets.
Jamais les angelots et les bois du cerf distrait ne t’ont cajolée
Comme ils nous ont cajolés, nous,
Les hôtes du papillon.
Toi seule es l’exilée, ô malheureuse.
Aucun homme ne te serre contre sa poitrine,
Qui partage avec toi
La nostalgie de la nuit écourtée par la parole libertine
Fusion de la terre et du ciel en nous.
Tu n’as pas donné naissance à un enfant qui vient à toi, implorant :
Mère, je t’aime.
Toi seule es l’exilée, ô reine des reines.
[…]


E xtrait de Murale, Editions Actes-Sud , page 29-30


Références

Pour un aperçu l’histoire qu’a pu vivre Mahmoud Darwich je vous invite à lire ou relire l’article que j’avais rédigé en octobre 2004 pour Francopolis : La poésie palestinienne


Bibliographie de Mahmoud Darwich

• Ne t'excuse pas, Paris, Sindbad/Actes Sud, 2006
• Etat de siège, Paris, Sindbad/Actes Sud, 2004
• Murale, Arles, Actes Sud, 2003
• Le lit de l'étrangère, Arles, Actes Sud, 2000
• Jidariyya (Murale), 2000
• La terre nous est étroite, et autres poèmes, Paris, Poésie/Gallimard, 2000
• Sareer El Ghariba (Le lit de l'étrangère), 1998
• La Palestine comme métaphore, Paris, Sindbad/Actes Sud, 1997
• Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?, Arles, Actes Sud, 1996
• Au dernier soir sur cette terre, Arles, Actes Sud, 1994
• Une mémoire pour l'oubli, Arles, Actes Sud, 1994
• Chronique de la tristesse ordinaire, suivi de Poèmes palestiniens, Paris, Cerf, 1989
• Plus rares sont les roses, Paris, Minuit, 1989
• Palestine, mon pays : l'affaire du poème, Paris, Minuit, 1988
• Rien qu'une autre année, anthologie 1966-1982, Paris, Minuit, 1988
• Fi wasf halatina, 1987
• Dhakirah li-al-nisyan, 1986
• Hiya ughniyah, 1986
• Madih al-zill al-'ali (Une eulogy pour le grand fantôme), 1983
• Qasidat Bayrut (Ode à Beirouth), 1982
• A'ras, 1977
• Ahmad al-za'tar, 1976
• Tilka suratuha wa-hadha intihar al-ashiq (C'est son image et c'est le suicide de son amant), 1975
• Muhawalah raqm 7, 1974
• Uhibbuki aw la uhibbuki (Je t'aime, je ne t'aime pas), 1972
• Les poèmes palestiniens, Paris, Cerf, 1970
• Allocutions & textes de Mahmoud Darwich
• Ahmad al Arabi Opéra poétique écrit par Mahmoud Darwich, Composé et dirigé par Marcel Khalifé
• Al-'Asafir tamut fi al-jalil (Les oiseaux meurent en Galilée), 1970
• Yawmiyyat jurh filastini (Journal d'une blessure palestinienne), 1969
• Akhir al-layl (La fin de la nuit), 1967
• Ashiq min filastin (Un amoureux de la Palestine), 1966
• Awraq Al-Zaytun (Feuilles d'olives), 1964
• Asafir bila ajniha (Oiseaux sans ailes), 1960
• Et la terre, comme la langue un film de Simone Bitton et Elias Sanbar


Ressources bibliographiques


  • Mahmoud Darwich dans l’exil de sa langue, François Xavier, aux éditions Autres temps, 2004 : François Xavier nous offre une biographie et une étude critique de la poésie de Mahmoud Darwich, à lire absolument ! (une critique de cet ouvrage sur http://www.oulala.net/Portail/article.php3?id_article=1289)

  • La poésie palestinienne contemporaine, choix des textes et traduction de Abdellatif Laâbi, aux éditions Le Temps des Cerises, 2002

  • Le poème arabe moderne, anthologie établie et présentée par Abdul Kader El Janabi, préface de Bernard Noël, éditions Maisonneuve & Larose, 1999


    Sites à visiter

    Le site de François Xavier consacré à l’œuvre de Mahmoud Darwich http://mahmoud-darwich.chez-alice.fr/accueil.html

    Pour télécharger gratuitement le premier chapitre du livre de François Xavier, Mahmoud Darwich et la nouvelle Andalousie : cliquez ici

    Un article sur la poésie de Mahmoud Darwich sur le site de Michel Maulpoix

    Mahmoud Darwich, « Pour moi la poésie est liée à la paix », entretien par Muriel Steinmetz sur le site de l’humanité

    Mahmoud Darwich, un poète rentre d’exil, article paru dans le Le Monde



    Cécile Guivarch
    pour Francopolis
    septembre 2006

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    Créé le 1 mars 2002

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