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Pour citer quelques noms de la poésie palestinienne, les premiers qui me viennent à l’esprit sont Mahmoud Darwich, Samiih El Kacem, Mayi Ziyada, mais la liste est bien plus longue. Ce n’est pourtant qu’en 1967 que l’on commence à entendre parler de poésie palestinienne, au delà de la tradition orale et de la poésie arabe classique. Cependant, la poésie palestinienne contemporaine connaît ses origines dans les années 1930. C’est à compter de cette époque, et notamment avec la révolte généralisée de 1936 que le palestinien, et par-là même, le poète a sa propre conscience nationale. Cela ne veut pas dire qu’avant ces années 1930 la poésie n’existait pas sur ces terres. La tradition de la poésie orale était belle et bien présente mais aussi d’autres genres de poésie telles que la poésie épique, lyrique, amoureuse, satirique, religieuse ou profane. Pour reprendre un peu l’histoire, rappelons qu’auparavant nous ne faisions pas la distinction entre la Syrie, le Liban et la Palestine. On parlait seulement de poésie Arabe. Cette région du monde portait le nom de Ard Ach-Cham. Puis les colonisateurs ont érigé des frontières entre ces pays (la Grand Bretagne l’a notamment occupé pays à partir de 1918), leur donnant ainsi une identité propre. C’est à ce moment qu’émerge la conscience nationale et par là même la poésie palestinienne qui défend et illustre son identité propre. Une des particularités de la poésie palestinienne est que contrairement à nos pays occidentaux, où nous connaissons des querelles entre les poètes dit classiques et les modernes, dans ces pays, la résistance culturelle et la lutte nationale font que ces querelles demeurent loin des préoccupations des poètes. Les poètes des années 30 sont donc au cœur de l’histoire et c’est pour cette raison qu’ils sont considérés comme ceux qui ont donné l’impulsion à la poésie palestinienne moderne. A cette époque, le respect des règles de métrique et des formes fixes de la poésie arabe classique était strictement appliqué. Mais les poètes de ces années 30 ont commencé à présenter des textes « plus libres » sous l’impulsion du combat national et politique. On s’aperçoit aussi que le poète n’hésite pas à parler du « nous » plutôt que du « je », ce qui est un témoignage de cette conscience nationale. Poètes des années 1930 : Ibrahim Touquane, Abderrahim Mahmoud et Abdelkarim al-Karni. Voici un extrait de Abdelkarim al-Karni. Chaque fois que j’ai combattu pour toi Je t’ai aimée encore plus Y a-t-il une terre autre que cette terre Faite de musc et l’ambre ? Y a-t-il un autre horizon au monde Parfumé comme cet horizon ? (…) « Les années 1948 », En 1948, la Palestine est divisée. Pour une société essentiellement rurale, où la terre occupe une grande valeur, non seulement en terme de richesse, de puissance, mais sinon d’appartenance familiale et nationale, le coup est difficilement acceptable. Les palestiniens s’exilent alors vers les pays voisins ou vers d’autres continents. Les palestiniens s’éparpillent. C’est en effet en 1947 que l’ONU décide le partage de la Palestine entre un Etat juif et un état Arabe, partage rejeté par les arabes. En 1948 l’Etat d’Israël correspondant à la partie occupée par les juifs est proclamé. Tous ces éléments déstabilisants entraînent un nouveau tournant pour la poésie palestinienne. A partir de cette période nous pouvons distinguer deux catégories de poètes : les palestiniens dits de l’intérieur et les palestiniens de la « diaspara ». C’est aussi une époque difficile pour la poésie du fait du blocus culturel et de l’entreprise de déculturation menée par l’autorité occupante qui a d’ailleurs fait assassiner le poète Houmayd en 1950. Ces faits entraînent le développement de la poésie populaire et anonyme. C’est aussi à cette période que la poésie palestinienne rompt avec la poésie arabe traditionnelle. La poésie évolue davantage vers une poésie dans laquelle peut être perçue le drame personnel et national. Les principaux thèmes sont le désarroi, les interrogations sans réponses, le déchirement, l’exil, l’injustice, l’humiliation et l’oppression.. Les poètes qui ont marqué cette période sont entre autre : Fadwa Touqane, Yousouf al-Khatib, Tawfiq as-Sayigh, Kamal Nasser, Haroun Hachim Rachid, Jabra Ibrahim Jabra, Salma Khadra al-Jayyoussi, Michel Haddad, Mou’in Bsissou. La « poésie de la résistance palestinienne » ou « poésie de la terre occupée » Une autre période importante dans la poésie Palestinienne est la guerre de 1967. En 1967 la Cisjordanie et la bande de Gaza sont occupées par Israël à la suite de la troisième guerre israélo-arabe. Pour la plupart des palestiniens, le drame de leur pays a commencé à partir du moment où les terres ont été occupées par Israël. C’est aussi en 1967 que la poésie palestinienne atteint un niveau de maturité des plus élevé. Ceci car ces générations de poètes ont eu le temps de prendre du recul par rapport aux faits marquants l’histoire de leur pays survenus quelques décennies plus tôt et ils peuvent donc en faire une analyse et en mesurer la dimension politique, sociale, culturelle, psychologique ou humaine. Puis Jérusalem, la Cisjordanie et Gaza sont occupées, c’est alors que les poètes palestiniens de l’intérieur et de l’extérieur se retrouvent. Et surtout c’est à partir de cette époque que la poésie palestinienne est reconnue. Cette période est caractérisée par un dépassement des exercices de style, une recherche de forme. La poésie palestinienne ne se contente plus de décrire mais tente de réinventer. Elle s’adresse à l’humanité toute entière, montre la responsabilité humaine dans la tragédie qu’elle inflige. La poésie arabe traditionnelle chantait l’amour, la lune, le plaisir. Les évènements qui ont marqué la Palestine ont laissé place à une nouvelle forme de poésie pour exprimer cette prise de conscience. Ainsi, Mahmoud Darwich dira : « O poètes de notre glorieuse nation Je suis l’assassin de la lune Dont vous étiez esclaves » Les poètes marquants de cette période sont entre autres : Rachid Housaïn, Salim Jabrane, Tawfiq Zayyad, Fawwaz’Id, Mohammed al-Qayssi, Mahmoud Darwich, Samih al-Qassim. « Le faux calme » : en 1993 des accords de paix ont été signés avec Israël. Une période de calme semble émerger mais elle est vite désenchantée par l’assassinat d’Itzahak Rabien en 1995. Aujourd’hui cette terre est plus meurtrie que jamais. Beaucoup de poètes connaissent l’exil. Voici quelques fragments, extraits au hasard de l’anthologie présentée par Abdellatif Laâbi, "La poésie palestinienne contemporaine", éditions Le Temps des Cerises. Je me suis longtemps demandé : Quand existera-tu ? Quand apparaîtras-tu ? Naîtras-tu de l’herbe Emergeras-tu de l’inconnu Ou n’es-tu qu’un impossible lendemain ? ... ( Samih al-Qassim) Le soleil passe les frontières Sans que les soldats Lui tirent dessus ... (Salim Jabrane) O agneau de Dieu qui portes les péchés du monde Distille nos larmes comme autant de mots Sauve-nous de l’exil de l’aphasie L’exil des désolations, nous sommes les porteurs de la mer De l’horizon, du ciel Les porteurs de la mort entre sommeil et sommeil. ... (Jabra Ibrahim Jabra) Et nous aimons la vie autant que possible Nous dansons entre deux martyrs. Entre eux, nous érigeons Pour les violettes un minaret ou des palmiers ... (Mahmoud Darwich) Les champs de mon sang Sont un verger qui exhale la haine La vaste et intégrale haine De ceux qui sont là-bas, sont ici De ceux que j’ai vus et n’ai pas vus La haine de Toi, toi Et de moi ... (Tawfiq as-Sayigh) (…) Et maintenant Que nous n’avons plus de chemin Je te rends mon bras, mon arme La compagnie des tranchées L’étoile du matin Je me rends à toi J’ôte la mèche de ma luminosité Et de mon ombre pâlissante Il n’y aura plus de genévrier Après cette soirée blanche… (…) (…) J’emporterai les chemins dans ma valise J’emporterai les palmiers Je cueillerai le matin et les plaines J’enfermerai les larmes dans les cahiers du soir Je fermerai les saisons. (…) (May as-Sayigh) Mes enfants naissent Les accueillent les larmes de l’amour Le frisson de la peur A la porte de la maternité Les attendent Les yeux des chiens enragés Les attendent Les plans de la liquidation physique Et de la vision lointaine de la mort (…) (Samih al-Qassim) La pomme de mon cœur J’ai peur qu’elle ne pourrisse Car je suis sans patrie (…) (Racim al-Madhoun) (…) O Palestine, regarde ton peuple Offrant la plus magnifique des images Au feu de la révolution et de l’éparpillement Il fait justice au monde Nulle patrie ne se libère si Le peuple ne se libère pas (…) ( Abdelkarim al-Karmi) (…) O lune niaise, maladroite Tu nous as trahis L’ennemi t’a vue, est parti à notre rencontre Il nous a rejoints alors que nous tenions à la main Une lune éclatante ( Mourid al-Barghouti) Avec quelle confiance Les étoiles Peuvent-elles briller Et les arbres nus Offrir leur ombre ? (…) (Mohammed al-As’ad) Tout est comme avant Depuis que nous sommes partis à la guerre Depuis l’enfance Peut-être que le soleil de ces années a éteint Le blanc des rideaux (…) (Ghassane Zaqtane) (…) Demain l’azur formera Presque par mégarde Un espoir immodéré Et notre saison contuse Expulsera le souffle Pour mieux le contraindre. (Ibrahim Souss) recherche et présentation par Cécile
Guivarch
pour francopolis, octobre 2004 ***
Liens La poésie palestinienne contemporaine, présentée par Abdellatif Laâbi, éditions le temps des cerises, La maison de la poésie Rhône-Alpes La Poésie palestinienne contemporaine, choix des poèmes et traduction par Abdellatif Laâbi aux Ecrits des Forges, Québec La littérature palestinienne après 1948 par par Salma Khadra Jayyusi LA POÉSIE PALESTINIENNE, Extrait de : " Les lèvres coupées " Palestine - Luttes et poésie - 1978 A.NI.F.P. |
Créé le 1 mars 2002
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