Une
Vie, un Poète
Pierre- Albert Jourdan
présenté
par Dominique Zinenberg
Pierre-Albert
Jourdan
Par-delà la vitre la branche bat le
ciel, attire le gouffre,
griffe le regard.
[...] L'intime , là , est cette fissure de larmes.
Ph. © Gilles Jourdan
Pierre-Albert Jourdan est
né à Paris le 3 février
1924 et s'est éteint le 13 septembre 1981 à Caromb
(Vaucluse).
Parallèlement à son travail de chef de service à
la société mutualiste de transports publics de 1947
à 1981, il écrit à partir de 1956, loin des
milieux littéraires.
Son oeuvre dont le premier recueil publié en 1961 ne connut
aucun écho fut écrite dans le silence et la
discrétion. Elle resta confidentielle , la plupart de ses
poèmes ne furent pas publiés de son vivant, sauf de
façon partielle dans plusieurs revues.
A partir des années 70, le poète est touché par la
voie spirituelle du bouddhisme Tch'an. Chacun des recueils qu'il
écrit alors est imprégné par cette pensée
qui s'insinue dans ses poèmes par allusions, citations,
aphorismes ce qui se traduit aussi formellement par l'abandon
progressive d'une forme poétique en strophes et vers au profit
de proses ciselées toujours ouvertes sur la nature, la
réflexion,
la fulgurance poétique.
L'entrée dans le jardin. (extrait1)
L'entrée dans le jardin. La distance à
franchir
est si courte qu'il est impossible de faire le premier pas. J'en suis
là, ténébreux, inquiet, instable. Je ne rallonge
pas ainsi la distance, comme on pourrait le supposer, mais je la
brouille considérablement. Ce soleil de fleurs et d'abeilles
luit doucement dans l'entre-deux.
Mais ce qui est gagné c'est que nous ne nous observons pas. Nous
nous tenons, côte à côte, en étrangers qui ne
parlent pas la même langue mais qui éprouvent l'un pour
l'autre une profonde sympathie.
Je pourrai vivre ainsi, avec les cendres de l'autre soleil dans les
yeux. Petit à petit je m'émonderais, je perdrais toute la
menace contenue dans mes gestes. Bouddha de bois qui couve l'incendie.
»
***
Yves Leclair a publié au Mercure de France les deux premiers
tomes de l'édition posthume et collective de ses oeuvres
complètes : Les Sandales de Paille, 1987 (actuellement
épuisé hélas!) et Le bonjour et l'adieu,
1991.
Il reste bien des inédits dont deux romans, un récit de
voyage, de nombreux essais et notes de lecture consacrés
à ses amis poètes ou à sa propre conception de
l'écriture.
On peut aussi rappeler la revue qu'il a lui-même
créé en 1974, « Port-des Singes » dont neuf
numéros ont paru jusqu'à sa mort.
Pierre-Albert Jourdan se consacra également tout au long de son
existence au dessin, à la peinture et à la photographie.
Il mourut prématurément d'un cancer des poumons.
***
Je viendrai mordillant une brindille de thym
fleurs minuscules d'un ciel accouru
ô terre en quelle nuit est né ce désir?
Je viendrai faire éclater ce cri
qu'il ne perde pas dans la longue fuite d'espace
quand se creusent et s'effacent les barrières...
Quand viendras-tu?
le chardon est jeté au feu
la poussière roule sous la porte
Ô paysage je t'ai rêvé trop démuni
traînant ma faim de toi
jouant de ce retour mais on ne guérit pas
de la blessure irréparable
un peu de vent qui frôle mon épaule
me lègue ton parfum
Le bonjour et l'adieu
(Mercure de France)
**
Quand l'été reviendra
le ciel des lavandes ô coeur!
Le poème aura accompli
un peu du chemin de poussière
la beauté n'aura cessé de veiller
à la consommation de ses registres
le lézard dressé auprès d'elle
mourra intouché dans ce feu
foulant les hautes herbes
je saisis l'amertume de l'air
l'âpre semonce
au levant le nom déjà s'efface
le ciel maternel soudain
par-delà les combes noires
(la paille dorée bientôt foulera
les terres patientes)
la pureté du silence
et les lèvres dans un souffle
formant un oui.
Le coeur d'octobre (1969-1970)
***
Vie
La vie, un étrange parfum la dévaste aussi
bien parce qu'elle est plus grande que ce maigre mot où l'on
prétend l'enfermer. Sachant de quelle ombre elle se nourrit, je
m'y suis étalé comme sur un pré abordant au
soleil. Dans ces carrés de terre, d'herbe, de flammes, j'ai vu
trembler un instant mes deux mains parce que toute naissance est
effroi. Prêt à bondir, mais tout resserré dans cet
enclos que je ne cesse de fortifier!
Vie! Si je hurlais, m'entendrais-tu? Tu n'as de nom en
vérité que ce pâle reflet mais qui te pressent en
ton entier se sépare de son monde. Et quand bien même il
peindrait les grilles, son pinceau colle au vide, son bras casse comme
la branche. Il n'y a rien ici, miettes, que l'oiseau-vie qui n'a
laissé de traces. Que ce simple cri ébranlant l'espace
quand la tête est trop lourde qui retombe sur l'oreiller.
De démissions en démissions tu es née
pourtant, vie. Si bref que soit ce moment il justifie cette
créance dont je désespérais, essayant de remonter
jusqu'à la source qui craque dans mes os, mon sang, vers ce
creux d'ombre où balbutie l'éternelle enfance de mon
âme.
L'espace de la perte (1972-1973)
recherche Dominique Zinenberg.
*
Voir plus sur cet auteur et aussi autres poèmes
sur les sites :
1.
- La Revue de poésie
& de critique d'Angèle Paoli
- La
pierre et le sel.
- Pierre-Albert Jourdan
L'écriture poétique comme voie spirituelle
d'Élodie Meunier, éd. du Cygne
***
|
|
Pierre-Albert Jourdan
présenté par Dominique Zinenberg
Francopolis
juin 2014
|