UNE VIE, UN POÈTE

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Une Vie, un Poète
André Laude

(1936/1995)


Lecture donnée au Festival insulaire d’Ouessant (2009)
par

André Chenet

André Laude (1936/1995)
paya un très lourd tribut pour se frayer un chemin de sueur, de sang et de révolte sur les terres où la poésie n’a guère droit de cité, dans les taudis de la culture officielle. Jamais il ne renonça à pourfendre l’ennemi, ce monstre bien-pensant qui prend possession des êtres humains par l’intérieur, qui assèche les cœurs, transformant l’instinct de vie en terreur et immobilité. Ses colères imprévisibles lui valurent rancunes et haines tenaces. Je me souviens de sa silhouette rétive dans les rues de Paris à l’heure froide du crime, avant que l’aurore ne découvre l’horreur d’un quotidien d’esclavage et de fuite en avant généralisée. Maraudeur imprégné du vin salubre de l’imagination, il façonnait son suicide en prenant sur lui le fardeau de l’humaine tragédie. Issu d’une famille très modeste, vivant à Aulnay- sur -Bois, il ne fut pas, bien qu’il l’écrivit à maintes reprises, le fils d’Olga Katz, morte, d’après lui à Auschwitz.

Cette mère qu’il s’inventa, comme il s’inventa mille et une autres vies pour voyager toujours plus loin à travers les strates de l’histoire, symbolisait au fond, cette détresse et cette désespérance fondamentales du déséquilibre existentiel entre néant et clarté.

André Laude avait soif de justice et de paix, soif d’un amour immodéré rendu impossible par les conditions sordides d’une économie en col blanc piétinant, sans états d’âmes, les déshérités de la terre. Il vivait à la pointe la plus aigue de la poésie. Je me souviens de cet homme sauvage juste avant qu’il ne succombe d’épuisement et de famine. Il se disait en tout et pour tout coupable, en ajoutant : « J’avais la vocation de l’innocent ».


/André Chenet





TRILLES DE TIGRES


Tigres de Java et Tigres de Rotterdam
Tigres de vents et Tigres de flammes
Tigres d’hiver et Tigres d’été
Tigres pour aimer et Tigres pour tuer

Tigres
incarnations violentes de la nuit
à l’heure où la tige
de la lune s’enfonce dans l’humus
de la maison des femmes

Tigres tyrans et Tigres à l’odeur de poudre
Tigres qu’on pond et Tigres qu’on éventre
Tigres comme des diamants abandonnés dans les hautes herbes
Tigres de sang et Tigres de verbe !


*


il pleut sur la forêt délabrée et sur les grands Tigres
mes compagnons de voyage
Le mot est un éclair et l’éclair une lame de faulx
Un fleuve débouche au creux de mes paumes Son nom est Tibre.

Pervers insolents
nous battons la campagne
Hier les fjords de Norvège
Demain l’Espagne

Nous ne sommes que rêves de juifs errants
nous avons brûlé à Auschwitz
mais nos fils dignes ont relevés l’épée de rubis
Vaillamment nous tenons tête à l’horrible nuit.


*


Et les oiseaux fourchus se nichèrent dans la gorge
des grands Tigres aux lueurs sombres
et les enfants s’agenouillèrent sur les tapis de prières
et il y eut grand vent à travers le royaume

Beaux et pitoyables étaient alors les hommes
la plupart avaient les mains coupées
Les mères désespérées étranglaient leurs enfants malingres
Pour beaucoup le meurtre écarlate était un violon d’Ingres.

Les Tigres respiraient encore
Les fleuves n’étaient pas encore clos
par des boues noires sèches et dures
Mon peuple gardait farouchement mémoire de l’eau.


*



A moi mes Tigres des terres du Christ
A moi mes Tigres farouches cruels
A moi dont les poumons déchiquetés saignent
A moi Roi nu dont s’achève lamentablement le règne

A moi mes Tigres de beauté
Mes Tigres de Brisbane et de Liverpool
Mes Tigres de haute mer et de houle
A moi mes Tigres aux lents regards blasonnés

Je vous appelle à l’aide
en cette dure nuit de pierre et de poussière
car les forces des ancêtres m’abandonnent
et mes yeux hurlent sous le feu et le fer

A moi mes Tigres
Escortez mon agonie
Je vous écoute Je vibre
Une fois encore je vis !



Poème publié dans 80 ANTHOLOGIE,
Ed. Le CASTOR ASTRAL
et L’ATELIER DE L’AGNEAU (1981)



***

Poèmes à lire sur le site: La Revue des ressources :
- Je m'appelle personne - Encre et sang - Le ver dans le fruit et plus....

Et un peu plus sur le poète sur site : Les amis d'André Laude




André Laude
présenté par André Chenet

 
Francopolis septembre 2012
 
 
 

Créé le 1er mars 2002

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