André Laude (1936/1995)
paya
un très lourd tribut pour se frayer un chemin de sueur, de sang
et de révolte sur les terres où la poésie n’a
guère droit de cité, dans les taudis de la culture
officielle. Jamais il ne renonça à pourfendre l’ennemi,
ce monstre bien-pensant qui prend possession des êtres humains
par
l’intérieur, qui assèche les cœurs, transformant
l’instinct de vie en terreur et immobilité. Ses colères
imprévisibles lui valurent rancunes et haines tenaces. Je me
souviens de sa silhouette rétive dans les rues de Paris à
l’heure froide du crime, avant que l’aurore ne découvre
l’horreur d’un quotidien d’esclavage et de fuite en avant
généralisée. Maraudeur imprégné du
vin salubre de l’imagination, il façonnait son suicide en
prenant sur lui le fardeau de l’humaine tragédie. Issu d’une
famille très modeste, vivant à Aulnay- sur -Bois, il ne
fut pas, bien qu’il l’écrivit à maintes reprises, le fils
d’Olga Katz, morte, d’après lui à Auschwitz.
Cette
mère qu’il s’inventa, comme il s’inventa mille et une autres
vies pour voyager toujours plus loin à travers les strates de
l’histoire, symbolisait au fond, cette détresse et cette
désespérance fondamentales du déséquilibre
existentiel entre néant et clarté.
André Laude avait soif de justice et de paix, soif d’un amour
immodéré rendu impossible par les conditions sordides
d’une économie en col blanc piétinant, sans états
d’âmes, les déshérités de la terre. Il
vivait à la pointe la plus aigue de la poésie. Je me
souviens de cet homme sauvage juste avant qu’il ne succombe
d’épuisement et de famine. Il se disait en tout et pour tout
coupable, en ajoutant : « J’avais la vocation de l’innocent
».
/André
Chenet
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