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JOYCE MANSOUR, JOYAU NOIR DU SURREALISME
1928-1986

par

ANDRÉ CHENET


Joyce Mansour, égyptienne d'origine, née en Angleterre en 1928 et décédée à Paris en 1986,

cette somptueuse poétesse a fait partie des dernières grandes figures du surréalisme.



"Ne jamais dire son rêve

 à qui ne vous aime pas"

                Joyce Mansour

                In « Trou Noir »

"Partout l'homme se met à genoux
pleure et transpire
flétri par le deuil solitaire
"

Époustouflants de révolte flamboyante, d'un érotisme cinglant à couper le souffle, les poèmes et récits de Joyce Mansour brouillent toute analyse qui tenterait de s'y faire les dents.
Elle dégueule ce que des siècles d'ingurgitations malsaines ont déposé dans les tourbières léthargiques de la race humaine. Tout ce qui entrave le flot de lave de la vie, c'est-à-dire la passion de la liberté sublimée, est automatiquement enterré par une avalanche de sarcasmes dévastateurs qu'elle déclenche avec une gouaille pouvant atteindre les plus hauts sommets du raffinement poétique. André Breton ne s'y était pas trompé lorsqu'il l'invita à rejoindre le groupe surréaliste qui s'était reconstitué à Paris après la guerre, enrichit de figures fulgurantes telles que celles de l'énigmatique Jean- Pierre Duprey, de l'intransigeant Alain Jouffroy, de l'impétueux Jean Schuster, du ténébreux André Laude ; des centaines de jeunes poètes et artistes venaient renforcer l'éclat prestigieux de l'Etoile de l'Amour Fou. Isis mystérieuse au profil d'aigle, Joyce Mansour incendia immédiatement de son humour noir, au sens où l'entendait Breton, les frontières dogmatiques et aveugles où s'arrimait peureusement la civilisation occidentale, elle fit feu de tout bois, rejeta loin derrière elle les clichés de la mort en boîte, de la patrie épatée, de l'ordre indécrottable. Ne s'encombrant pas d'avantage d'illusions romantico-mensongères, elle puisa dans le refus de la niaiserie généralisée la force qui éclaira d'une lumière insoutenable.

Sa poésie et sa vie « sur-réelle ». Son cri railleur prolongé jusqu'à nous n'a pas d'équivalent dans la littérature. Compagne de Maldoror, pour le meilleur et le pire, elle essaime ses joyaux noirs dans les ornières métaphysiques de la Poésie : « J'arracherai la cuvette de ta bouche menteuse/ Je t'abandonnerai mon corps et tu le dévoreras/ Je suis ta soeur aux larmes de tourmaline/ Et ma faiblesse se nomme/ Tarentule »

Avec la mort, elle entretient une relation privilégiée : « La mort peut être nécessaire/ Aux autres/ Je hais les satisfaits/ Les stériles les nantis/ Une nuit suit l'autre sans connaître son visage… ».
L'horreur des vieilles religions éculées n'a plus qu'à bien se tenir, son humour fracassant et inconditionnel, ses blasphèmes sans la moindre retenue dissimulent très mal sa soif ardente de justice, son humanisme généreux ; elle en appelle à une « patience surhumaine » qui, partagée par le plus grand nombre, serait à même de nous guider vers une humanité de foudre, vers ces territoires où le désir d'aimer ne laisse plus aucune chance aux rapaces à crânes d'hommes qui démolissent actuellement les peuples et la planète qui les supporte. Elle fustige en nous tout ce qui se laisse happer par les croyances infectieuses et indigentes que nourrissent toujours tant de prêtres nécrosés, de juges et de policiers rigides ainsi que la puante majorité des politiciens et autres fripouilles criminelles de la haute « phynance » lesquels ne doivent leur pouvoir irresponsable qu'à la force d'inertie qui paralyse aujourd'hui les peuples « globalisés » dans les supermarchés de la fadeur informatisée. Rien ne pourrait être mieux à même de briser les liens de la lâcheté programmée que la poussée inéluctable du raz-de-marée que provoque immanquablement le verbe indomptable de Joyce. Pas de supercherie : le cri enfin délivré transmute la haine ambiante afin que rayonne l'amour hors- la- loi en lequel hommes et femmes  accéderont d'eux-mêmes à ce fameux "point d'incandescence" où se réconcilient et fusionnent les contraires, où rêve et nécessité s'accordent comme l'envers et l'endroit, la vie et la mort:
" Même morte je reviendrai forniquer dans le monde "

        Article paru dans le n°3 de "La Voix des Autres" _ 2004


À quoi bon les poètes en un temps de manque ?
L'oeil dérape la bouche pleine
Le temps s'échappe sur un fil à plomb
Au-delà de la houle
Flux et reflux marées mortes et menstrues
Vides et pleins
Creux
Crêtes
Écume
Heureuses bavures d'une bouche d'égout
La sècheresse précède le bâillement
Comme le rire le rictus ou l'orgasme la pluie
Mais si la terre des cimetières est riche de poètes ensevelis
Vois le ver sors triomphant du puits
Polype promu têtard qui se souvient de la boue
A quoi bon un clitoris d'ivoire sans horizon à l'écoute ?
L'inutile souffrance de la gencive sous la fraiseuse
De la haine
Ne saurait empêcher la naissance de la dent
Au contraire
A quoi bon des dents en un temps de famine ?
Peut-on mordre le mamelon sans perdre de ses plumes ?
A quoi bon le roc à la recherche du saindoux ?
La peur du ridicule freine les bras invalides
Celui qui doit crier
Domptera le vent courant
Celui qui exècre la vie telle qu'elle se meurt
Vomira son premier-né dans le sillon de la Roue
Et attendra tête baissée
Le sexe joyeux
Son retour


***


Donnez-moi un morceau de charbon
J'en ferai un aveugle
Donnez-moi un crâne épars sur le parquet
J'en ferai une descente aux flambeaux
Dans la fosse des passions durables
Donnez-moi un château mammaire
Je plongerai tête-bêche riant au suicide
Donnez-moi un grain de poussière
J'en ferai une montagne de haine
Chancelante et grave un arcane
Pour vous enterrer
Donnez-moi une langue de haute laine
J'enseignerai aux seigneurs
Comment briser leurs dieux de craie
Leurs pénis édentés
Aux pieds du grand corbeau blanc
Pourcoâ ?


***


Étrange bal où l'on ne danse point
Niez le vampire la preuve apparaît
Les rares déguisés sans bec à goître
Ni masque de velours
Traquent l'amour sous la paupière retombée
Exercice de tristesse
Le Pays Basque en septembre
Les écailles se resserrent
Le coeur se déplace
Lentement
Comme une truite au soleil
Sur le fond rocheux de la vie quotidienne
Évitez de marcher dans l'eau électrique
Fin du secteur souvenirs
L'engoulevent et le nain
Habitant de banlieue
Buveurs d'éther brûlant et clair
Courent les rues en costumes délétères
Le loup le vent la froidure
Singuliers voyageurs du dernier crâne empli du sang
Happent le sein fugace
Et passent sans musique au gré des mâchoires
Étrange bal où l'on laisse sa peau au vestiaire
La peur tient le haut du pavé


***

Quelques liens:

Écouter la voix de Joyce Mansour:

Biographie

                                                    



 Joyce Mansour

par André Chenet, tiré de "La voix des autres"
 
Francopolis mars2011
 

Créé le 1er mars 2002

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