L’AIR BLEU
Tout est en l’air
Il y a des oiseaux qui volent de travers
On ouvre la fenêtre
Un instant
Tu verras ta tête disparaître
Et tes mains suspendues derrière le coteau
Comme c’était dimanche
Il a fait jour plus tôt
Le soleil se dévide
On a mis des bouquets au creux des lampes vides
Et l’ombre est revenue par le dernier bateau
Maintenant je t’écoute
Avec toi
C’est un peu le grand vent
Sur la route
Et je colle à ta peau
À deux doigts de ton cœur
Il fait chaud
Bruits du cœur

VOIR VENIR
Il y a des mains des feuilles qui tombent
Ce soir un nouveau jour
Dans les draps du matin le sillon de l’amour
Les neiges déployées
Les cheminées d’usine
Celui qui marche au fond de l’ombre
Et qu’on devine
Un guichet de lumière
Une cloche en retard
Cet ami inconnu qui remet son départ
La même voix qui recommence
La même plainte
Et un silence
Toujours la même allure
Des bouquets de moineaux piqués dans les ramures
Morte saison

HEURE D’ETE
Toujours le ciel
On ne fait rien d’essentiel
On reste là des heures
A écouter le clapotis des vagues
sur son cœur
Et puis des enfants passent
Quelqu’un remue dans la maison
d’en face
Très loin de l’autre côté de la
mer
Ici c’est le même air
Qui continue
J’ai envie de sortir tête nue
Au soleil
Pour voir comment ça fait dans
les yeux
Les abeilles
Ton portrait sur la table
On entend des oiseaux chanter
dans les étables
Des mains se disputer les graines
sous le toit
Des coquelicots qui aboient
Je ferme les paupières
Trop tard
Je suis déjà dans la haute
lumière
De tes joues
Tout ce qui fait la nuit ne peut
rien contre nous
Ma vie en jeu

VISAGE OU PAYSAGE
Licorne qui dansais
à la flamme des cages
Avec les horizons tissés à ton
usage
Avec tous les sentiers
ruisselants sur ton cou
Belle étoffe de sang qui moules mon visage
Est-ce la pluie d’hiver qui perce
mes genoux
Les norois sont groupés au bord
de ma poitrine
Si je lève la main le soleil se
dessine
Une source jaillit quand je marque
le pas
Et dans mes yeux couverts d’une
étrange résine
Passent les voyageurs que tu ne
connais pas
J’ai ma force dans l’eau qui
tremble sous les pierres
Dans le vent qui secoue des
sierras de lumière
Dans la glaise dorée où grince
l’aviron
Et lorsque les cargos glissent
sous mes paupières
L’écume ensanglantée m’éclabousse
le front
Je suis l’homme des bords
étincelants du large
Loin des terres mon nom s’inscrit
en pleine marge
Mes bras depuis longtemps font
partie du décor
Et je gravis le ciel aussi bien que
les barges
De blé lorsque la nuit rejaillit
sur l’aurore
La Vie rêvée

ANTONIN ARTAUD
Avec tes yeux comme une sonnerie
bloquée Antonin
Comme un printemps foutu
Avec tes mains
Tes mains sur les barreaux de
l’asile
Tes mains sur les fils
électriques
Sur l’espagnolette sur la poésie
partout
Antonin partout
Tes mains sur ton front pressées
Sur tous les corps de jeunes
filles
Sur la campagne de Rodez
Tu pêcherais dans la rivière
Avec une arbalète Antonin
Avec toutes les femmes
À même le bocal Docteur
À même
À même la poésie Antonin
Et pas de camisole
Pas de frontières
Pas de répit surtout
Le Diable et son train

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