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Quelques un de ses poèmes :
C'est vous quand
vous êtes partie
C'est vous quand vous êtes partie,
L'air peu à peu qui se referme
Mais toujours prêt à se rouvrir
Dans sa tremblante cicatrice
Et c'est mon âme à contre-jour
Si profondément étourdie
De ce brusque manque d'amour
Qu'elle n'en trouve plus sa forme
Entre la douleur et l'oubli.
Et c'est mon cœur mal protégé
Par un peu de chair et tant d'ombre
Qui se fait au goût de la tombe
Dans ce rien de jour étouffé
Tombant des autres, goutte à goutte,
Miel secret de ce qui n'est plus
Qu'un peu de rêve révolu.
*
Hommage à la vie
C’est beau d’avoir élu
Domicile vivant
Et de loger le temps
Dans un coeur continu,
Et d’avoir vu ses mains
Se poser sur le monde
Comme sur une pomme
Dans un petit jardin,
D’avoir aimé la terre,
La lune et le soleil,
Comme des familiers
Qui n’ont pas leurs pareils,
Et d’avoir confié
Le monde à sa mémoire
Comme un clair cavalier
A sa monture noire,
D’avoir donné visage
À ces mots : femme, enfants,
Et servi de rivage
À d’errants continents,
Et d’avoir atteint l’âme
À petits coups de rame
Pour ne l’effaroucher
D’une brusque approchée.
C’est beau d’avoir connu
L’ombre sous le feuillage
Et d’avoir senti l’âge
Ramper sur le corps nu,
Accompagné la peine
Du sang noir dans nos veines
Et doré son silence
De l’étoile Patience,
Et d’avoir tous ces mots
Qui bougent dans la tête,
De choisir les moins beaux
Pour leur faire un peu fête,
D’avoir senti la vie
Hâtive et mal aimée,
De l’avoir enfermée
Dans cette poésie.
*
La goutte de pluie
Je cherche une goutte de pluie
Qui vient de tomber dans la mer.
Dans sa rapide verticale
Elle luisait plus que les autres
Car seule entre les autres gouttes
Elle eut la force de comprendre
Que, très douce dans l’eau salée,
Elle allait se perdre à jamais.
Alors je cherche dans la mer
Et sur les vagues, alertées,
Je cherche pour faire plaisir
À ce fragile souvenir
Dont je suis seul dépositaire.
Mais j’ai beau faire, il est des choses
Où Dieu même ne peut plus rien
Malgré sa bonne volonté
Et l’assistance sans paroles
Du ciel, des vagues et de l’air.
*
Plein ciel
J’avais un cheval
Dans un champ de ciel
Et je m’enfonçais
Dans le jour ardent.
Rien ne m’arrêtait
J’allais sans savoir,
C’était un navire
Plutôt qu’un cheval,
C’était un désir
Plutôt qu’un navire,
C’était un cheval
Comme on n’en voit pas,
Tête de coursier,
Robe de délire,
Un vent qui hennit
En se répandant.
Je montais toujours
Et faisais des signes :
« Suivez mon chemin,
Vous pouvez venir,
Mes meilleurs amis,
La route est sereine,
Le ciel est ouvert.
Mais qui parle ainsi ?
Je me perds de vue
Dans cette altitude,
Me distinguez-vous,
Je suis celui qui
Parlait tout à l’heure,
Suis-je encor celui
Qui parle à présent,
Vous-mêmes, amis,
Êtes-vous les mêmes ?
L’un efface l’autre
Et change en montant. »
***
Ses aphorismes :
*
Et si nous regardions la vie par les
interstices de la mort
*¸
Il faut pourtant accepter ce que le Bon Dieu ne vous envoie
pas.
*
Je suis un parfait honnête homme. Je me dégoûte complètement.
*
L'homme ne peut aboutir qu'à des à peu près.
*
Le silence est le meilleur avocat des morts.
*
Les filles - ça pose trop de problèmes, et ça ne les résout
pas.
*
Les souvenirs sont du vent, ils inventent les nuages.
*
Ô morts n'avez-vous pas encore appris à mourir?
*
On voyait le sillage et nullement la barque
Parce que le bonheur avait passé par là.
*
«Ah! Songeait-il, vivre c'est être de plus en plus
embarrassé.»
***
Son
œuvre poétique
Tous ces recueils sont disponibles
dans la collection : Bibliothèque de la Pléiade, aux éditions Gallimard, Paris, 1996.
- Débarcadères, Paris, Gallimard, 1922 et 1956, suivi de Gravitations, 1925
- Le
Forçat innocent, Paris, Gallimard, 1930, suivi des Amis
inconnus, 1934.
- La Fable du monde, Paris, Gallimard, 1938, suivi d'Oublieuse
mémoire, 1949.
- 1939-1945, Bibliothèque de la
Pléiade, 1946 et 1996, p. 405-469.
- A
la nuit, Bibliothèque de la Pléiade, 1947, puis 1956
et 1996, p. 471-481.
- Naissances, suivi de En songeant à un art poétique, Bibliothèque de la Pléiade, 1951 et 1996, p.
539-567.
- L'Escalier, Bibliothèque de la
Pléiade, 1956 et 1996, p. 569-589.
- Le
Corps tragique, Bibliothèque de la Pléiade, 1959 et 1996, p.
591-654.
Ses contes et nouvelles
- L'Enfant
de la haute mer, Paris, Gallimard, 1931.
- L'Arche
de Noé, Paris, Gallimard, 1938.
- Les
B.B.V., Paris, éditions de Minuit, coll.
"Nouvelles originales", n° 7, 1949.
- Premiers
pas de l'univers, Paris, Gallimard, 1950.
Son œuvre romanesque
- L'Homme
de la pampa, Paris, Gallimard, 1923 et 1951.
- Le
Voleur d'enfants, Paris, Gallimard, 1926.
- Le
Survivant, Paris, Gallimard, 1928.
- Le
Jeune Homme du dimanche et des autres jours, Paris,
Gallimard, 1952 et 1955.
Son œuvre théâtrale
- La Belle au bois, Paris, Gallimard, 1932 et 1947.
- Bolivar, Paris, Gallimard, 1936 et 1955.
- Robinson, Paris, Gallimard, 1948.
- Shéhérazade, Paris, Gallimard, 1949.
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*Il a reçu le titre : Prince des poètes (titre
honorifique officieux qui a été décerné en France à plusieurs poètes à la mort
de leur prédécesseur.)
Jules Supervielle est un auteur protéiforme, à l’œuvre
immense qui a fait l’objet de multiples exégèses et analyses détaillées. Je
recommande au lecteur intéressé par cet auteur de lire attentivement ce qui a
été écrit sur son œuvre et sur sa vie personnelle vécue entre deux patries, la France et la Bolivie. Cette double cultures l’aura
conduit tout au long de sa vie, lui donnant une dimension originale et forte
***
Sources :
Wikepedia
Univers free.com
Eternels éclairs