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Il y a cinquante ans mourait Jules Supervielle

par

Michel d'Oste


  


Jules Supervielle (16 janvier 1884-17 mai 1960) était un poète, écrivain et dramaturge  français. Il était né en Uruguay, à Montevideo.

L’année 1960 a été une année noire pour la poésie française. Le 20 avril disparaissait Paul Fort et un mois après Jules Supervielle.
Son souhait était de proposer une poésie plus humaine. L’écriture automatique, la dictature de l’inconscient qui régnait en maître à son époque étaient rejetés par lui. Il préférait les poètes modernes comme Rimbaud, Apollinaire, Baudelaire. Il se voulait attentif au monde extérieur. Dans les années d’après-guerre, il a anticipé  les gloires de René Char, Saint-John Perse, Ponge, Michaux. Puis, des poètes comme Bonnefoy, Guillevic, Frénaud, Follain ont reçu son admiration par leur manière simple et modeste d’aborder les choses du monde.


Il a été entouré de multiples successeurs comme René-Guy Cadou, Alain Bosquet, Claude Roy ou Jacques Réda.

Auteur d'une poésie très personnelle, hantée par l'angoisse de l'absence et le sens du mystère. Né à Montevideo, en Uruguay, issu d'une famille de grande bourgeoisie, orphelin huit mois après sa naissance, il fut élevé par son oncle et sa tante, et partagea sa vie entre la France et l'Amérique du Sud. Il se maria en 1904, et fut père de six enfants. Tandis que ses premiers poèmes sont d'une facture assez traditionnelle (Brumes du passé, 1900 ; Comme des voiliers, 1910), la fréquentation de Jules Laforgue le poussa à cultiver l'humour (Poèmes de l'humour triste, 1919). Il se libéra de toute influence à partir de Débarcadères (1922), le premier de ses recueils en vers libres, où se retrouve toutefois le goût pour les voyages qu'il partageait avec Valéry Larbaud. Après un roman fantastique (l'Homme de la pampa, 1923), Supervielle explora, dans sa poésie, le fond le plus obscur de sa personnalité (Gravitations ; le Voleur d'enfants ; le Forçat innocent ; les Amis inconnus ; la Fable du monde). Il publia aussi des récits (l'Enfant de la haute mer ; Boire à la source), écrivit pour le théâtre (la Belle au bois). La maladie le retint en Uruguay pendant la guerre, qui lui inspira des poèmes âpres et mystiques. Sa poésie devint ensuite plus facile d'accès et s'inspira de contes mythologiques (Robinson ; Shéhérazade). Il obtint le prix des Critiques en 1949, pour Oublieuse et celui de l'Académie française, pour l'ensemble de son œuvre, en 1955. Après quelques recueils moins inventifs, il trouva des accents nouveaux dans le Corps tragique (1959)

Parmi ses contemporains, Jules Supervielle a été un des rares à offrir une image du monde tout à fait conforme aux découvertes les plus récentes de la science : l’astronomie, la physique et la biologie ont été des sciences qui l’ont intéressé. (In Jules Supervielle, poète de l’univers intérieur, Paris, Jean Flory, 1939, Christian Sénéchal)

Sa poésie lie des images au  rêve, à la fantaisie, au mystère, à l’inconscient et à un Dieu inconnu. Sa poésie ne cherche pas à créer de choc : elle veut au contraire un dialogue perpétuel avec le lecteur, le moi, les bêtes et l’univers. Jules Supervielle veut donc être compris de ses lecteurs. Il cherche à se rendre accessible, « familier », au lecteur et il est facile de le montrer : Clarté du langage : vocabulaire simple, syntaxe et ponctuation précises,  présence fréquente du discours narratif. Les poèmes sont semblables bien souvent à de petites histoires ou fables. Comme si le poète ne perdait jamais de vue le fait qu’il parle au lecteur, que le poème lui est adressé un peu comme une lettre… Mais quand il aborde les mystères de l’existence son écriture perd de sa compréhension, il y a une certaine difficulté à saisir l’objet du poème, sensations fugitive… on ne sait. Lire le poème « Mouvement » dans Gravitations, où le poète se refuse totalement à livrer l’objet du poème.

Difficulté à cerner le sujet du discours, qui est  celui qui s’exprime dans le poème ? Il apparaît souvent fragmentaire, dédoublé ; sa mémoire est oublieuse, lourde de l’opacité de l’inconscient ; le « je » est traversé par des voix dont il ne sait d’où elles viennent… Voir en particulier les recueils Le Forçat innocent, Les Amis inconnus ou Oublieuse mémoire…

Confusion entre le réel et l’irréel, entre le rêve et la réalité : il faut relire les premières pages d’ « En songeant à un art poétique » (Naissances) ou plus simplement les poèmes où l’eau sous-marine devient une sorte de jardin d’éden où ressuscite un noyé (« Le survivant », dans Gravitations) ou tant d’autres encore…

Plus largement encore, « comprendre » ne saurait être un acte intellectuel, cérébral, car le poème selon Supervielle ne vise qu’à nous aider. Il n’est pas clos sur lui-même, il est une passerelle vers la vie et vers la mort ; il peut être donc, en ce sens aussi, incompréhensible, inexplicable. 

1960 : Au décès de Paul Fort, il est élu Prince des poètes* par ses pairs. Le 17 mai, il meurt dans son appartement parisien ; il est inhumé à Oloron-Sainte-Marie. En octobre, la NRF fait paraître un numéro spécial en hommage à Supervielle.

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Quelques un de ses poèmes :

C'est vous quand vous êtes partie

C'est vous quand vous êtes partie,
L'air peu à peu qui se referme
Mais toujours prêt à se rouvrir
Dans sa tremblante cicatrice
Et c'est mon âme à contre-jour
Si profondément étourdie
De ce brusque manque d'amour
Qu'elle n'en trouve plus sa forme
Entre la douleur et l'oubli.
Et c'est mon cœur mal protégé
Par un peu de chair et tant d'ombre
Qui se fait au goût de la tombe
Dans ce rien de jour étouffé
Tombant des autres, goutte à goutte,
Miel secret de ce qui n'est plus
Qu'un peu de rêve révolu.

Hommage à la vie

C’est beau d’avoir élu
Domicile vivant
Et de loger le temps
Dans un coeur continu,
Et d’avoir vu ses mains
Se poser sur le monde
Comme sur une pomme
Dans un petit jardin,
D’avoir aimé la terre,
La lune et le soleil,
Comme des familiers
Qui n’ont pas leurs pareils,
Et d’avoir confié
Le monde à sa mémoire
Comme un clair cavalier
A sa monture noire,
D’avoir donné visage
À ces mots : femme, enfants,
Et servi de rivage
À d’errants continents,
Et d’avoir atteint l’âme
À petits coups de rame
Pour ne l’effaroucher
D’une brusque approchée.
C’est beau d’avoir connu
L’ombre sous le feuillage
Et d’avoir senti l’âge
Ramper sur le corps nu,
Accompagné la peine
Du sang noir dans nos veines
Et doré son silence
De l’étoile Patience,
Et d’avoir tous ces mots
Qui bougent dans la tête,
De choisir les moins beaux
Pour leur faire un peu fête,
D’avoir senti la vie
Hâtive et mal aimée,
De l’avoir enfermée
Dans cette poésie.

*

La goutte de pluie

Je cherche une goutte de pluie
Qui vient de tomber dans la mer.
Dans sa rapide verticale
Elle luisait plus que les autres
Car seule entre les autres gouttes
Elle eut la force de comprendre
Que, très douce dans l’eau salée,
Elle allait se perdre à jamais.
Alors je cherche dans la mer
Et sur les vagues, alertées,
Je cherche pour faire plaisir
À ce fragile souvenir
Dont je suis seul dépositaire.
Mais j’ai beau faire, il est des choses
Où Dieu même ne peut plus rien
Malgré sa bonne volonté
Et l’assistance sans paroles
Du ciel, des vagues et de l’air.

Plein ciel

J’avais un cheval
Dans un champ de ciel
Et je m’enfonçais
Dans le jour ardent.
Rien ne m’arrêtait
J’allais sans savoir,
C’était un navire
Plutôt qu’un cheval,
C’était un désir
Plutôt qu’un navire,
C’était un cheval
Comme on n’en voit pas,
Tête de coursier,
Robe de délire,
Un vent qui hennit
En se répandant.
Je montais toujours
Et faisais des signes :
« Suivez mon chemin,
Vous pouvez venir,
Mes meilleurs amis,
La route est sereine,
Le ciel est ouvert.
Mais qui parle ainsi ?
Je me perds de vue
Dans cette altitude,
Me distinguez-vous,
Je suis celui qui
Parlait tout à l’heure,
Suis-je encor celui
Qui parle à présent,
Vous-mêmes, amis,
Êtes-vous les mêmes ?
L’un efface l’autre
Et change en montant. »

***

Ses aphorismes :

*
Et si nous regardions la vie par les interstices de la mort


Il faut pourtant accepter ce que le Bon Dieu ne vous envoie pas.

*
Je suis un parfait honnête homme. Je me dégoûte complètement.

*
L'homme ne peut aboutir qu'à des à peu près.

*
Le silence est le meilleur avocat des morts.

*
Les filles - ça pose trop de problèmes, et ça ne les résout pas.

*
Les souvenirs sont du vent, ils inventent les nuages.

*
Ô morts n'avez-vous pas encore appris à mourir?

*
On voyait le sillage et nullement la barque
Parce que le bonheur avait passé par là.

*
«Ah! Songeait-il, vivre c'est être de plus en plus embarrassé.»

***

Son œuvre poétique

Tous ces recueils sont disponibles dans la collection : Bibliothèque de la Pléiade, aux éditions Gallimard, Paris, 1996.

- Débarcadères, Paris, Gallimard, 1922 et 1956, suivi de Gravitations, 1925

- Le Forçat innocent, Paris, Gallimard, 1930, suivi des Amis inconnus, 1934.

- La Fable du monde, Paris, Gallimard, 1938, suivi d'Oublieuse mémoire, 1949.

- 1939-1945, Bibliothèque de la Pléiade, 1946 et 1996, p. 405-469.

- A la  nuit, Bibliothèque de la Pléiade, 1947, puis 1956 et 1996, p. 471-481.

- Naissances, suivi de En songeant à un art poétique, Bibliothèque de la Pléiade, 1951 et 1996, p. 539-567.

- L'Escalier, Bibliothèque de la Pléiade, 1956 et 1996, p. 569-589.

- Le Corps tragique, Bibliothèque de la Pléiade, 1959 et 1996, p. 591-654.

Ses contes et nouvelles

- L'Enfant de la haute mer, Paris, Gallimard, 1931.

- L'Arche de Noé, Paris, Gallimard, 1938.

- Les B.B.V., Paris, éditions de Minuit, coll. "Nouvelles originales", n° 7, 1949.

- Premiers pas de l'univers, Paris, Gallimard, 1950.

Son œuvre romanesque

- L'Homme de la pampa, Paris, Gallimard, 1923 et 1951.

- Le Voleur d'enfants, Paris, Gallimard, 1926.

- Le Survivant, Paris, Gallimard, 1928.

- Le Jeune Homme du dimanche et des autres jours, Paris, Gallimard, 1952 et 1955.


Son œuvre théâtrale

- La Belle au bois, Paris, Gallimard, 1932 et 1947.

- Bolivar, Paris, Gallimard, 1936 et 1955.

- Robinson, Paris, Gallimard, 1948.

- Shéhérazade, Paris, Gallimard, 1949.

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*Il a reçu le titre : Prince des poètes (titre honorifique officieux qui a été décerné en France à plusieurs poètes à la mort de leur prédécesseur.)

Jules Supervielle est un auteur protéiforme, à l’œuvre immense qui a fait l’objet de multiples exégèses et analyses détaillées. Je recommande au lecteur intéressé par cet auteur de lire attentivement ce qui a été écrit sur son œuvre et sur sa vie personnelle vécue entre deux patries, la France et la Bolivie. Cette double cultures l’aura conduit tout au long de sa vie, lui donnant une dimension originale et forte

***

Sources :

Wikepedia

Univers free.com
Eternels éclairs

                                        


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Créé le 1er mars 2002

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