FRANCO-SEMAILLES
Danièle
Corre, Routes que rien n'efface, Editions
ASPECT. (2012)
présenté par Dominique Zinenberg
Quelques
pensées éparses
à propos de "Routes que rien n'efface" de Danièle Corre.
Dans ce recueil de poèmes
généralement courts et répartis en cinq pans
titrés :
« Pièces de soi» - « Ce qui a conduit
là » - « Des vœux dans les fontaines
» -
« De périls en pollens » et
« La maison blessée »
Ce qui filtre et s'insinue c'est un sentiment de
précarité. Le précaire prolifère et
lézarde le temps. Les saisons reviennent, elles sont neuves et
anciennes, éphémères et absolues comme les
présences, les temporalités routinières ou
festives, dentellières, couturières,
pâtissières, gourmandes ou bâtisseuses. « Sans
cesse il faut rebâtir » (p.33) : tout échappe,
tout se transforme, se déforme, les fissures, les craquelures
des pierres, des chemins, des souvenirs, tout est empreinte rappelant
au passant (que nous sommes tous) qu'il effleure des gouffres.
«
Nul ne sait/ l'incessant ravaudage/ des pièces de couleurs/ qui
font bonne figure/ au passant qui fredonne/ en effleurant les gouffres.
»(p.53)
La précarité des joies comme des peines
se traduit par l'écho des rires, le rappel de « vol de
pétales sous les voûtes de mai », l'adresse
presque péremptoire quoique tendre du poème de la page 72
qui commence ainsi : « Sais-tu que rien ne préserve/ni
de la mort ni de la joie, // que nous sommes toujours livrés/
aux quatre vents/
crucifiés/fortifiés/élimés/ravaudés/
traversés d'ondes passantes/ ... » Elle est menace,
certes, déchirure , elle fait violence à la vie, mais
elle est la vie qui bondit, ruisselle, fonde, illumine : « Tu
m'écris/ mille étoiles tombent/ de l'enveloppe. // C'est
la beauté du monde/ qui se déplie/ sur ce trottoir
où je marche/ en te lisant. » Les parcelles de joie
jaillissent pures, intenses et deviennent l'étai qui permet de
supporter la fragilité, la friabilité de ce qui est.
On sent aussi dans ce recueil l'accent de
l'exil. Que de routes empruntées qui séparent de
« la terre première », que de chemins fuyants, de
gares, de paysages survolés se déployant, signant
l'éloignement des lieux terreux de l'enfance ! Toutefois s' il
ne se dégage pas de l'exil la note unique, attendue de la
nostalgie c'est grâce à la puissance du langage qui ranime
le passé avec des visions concrètes et fraîches de
l'enfance étourdissante, spontanée, turbulente et aussi
parce que la vie présente contient un nuancier de joie qui
prospère jusque dans l'avenir : « Le fleuve nous porte/
vers d'autres rives,/ d'autres visages... // Nous
déploierons autour de nous/ le tissu des vastes cités,/
les joies chamarrées/ conservées/ dans le coffre des
voyages. » (p.69) On remarque bien que les premières
strophes sont au présent et que la dernière introduit un
futur prometteur où tout un champ sémantique de la
profusion est donné à entendre.
Danièle Corre, dans ce recueil, est dans le
tissage, la couture textuelle, le ravaudage, fugitive vision de femme
derrière la fenêtre, résignée
peut-être et s'activant aux travaux de couture, lointaine
descendante de Pénélope mais « qui a
cessé d'attendre, / tu tailles à grands coups de ciseaux
/ les voiles légers des maternités/ qui
s'empèsent/ les ligatures des heures, les pansements de la
prudence. », figure suggérée et non
nommée mais qu'on retient grâce à la
présence quelques poèmes plus tard d'Ulysse :
« Ulysse nu au corps ruisselant, / tu offres/ mesure de
toi/ à mes mains consentantes, espace de ton être/
à ma maison ouverte. » et parce que le poète
nous a déjà prévenus page 50 : « Le monde
parfois/ se rétrécit/ l'épopée tourne court
». Oui, l'épopée tourne court ; il n'en reste que
des traces infimes parcourant le temps et faisant lien ténu au
même titre que la conversation – art de parler ensemble et nom
d'une pâtisserie : « Délice de la glace royale,
/ pellicule de sucre / croisillonnée de pâte
feuilletée/ du gâteau rond le bien nommé/ «
conversation » » (p.89) car ce qui cimente la
bâtisse intérieure est fait des riens de la vie comme des
plus subtiles connaissances et tout ne rayonne qu'en envolées de
mots, palabres, « conversation ». Et le recueil tout entier
est ce partage chamarré, multiple, contrasté se risquant
avec grâce et simplicité à ressaisir la peine
comme la joie.
Voir quelques poèmes de cette auteure dans la rubrique Coup de coeur
(Dominique Zinenberg)
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présentée par Dominique
Zinenberg
Francopolis novembre 2015
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