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Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poèmes - Coup de Coeur du Comité

NOVEMBRE 2015

JELAMIE
LUCIA  ENIU
JEAN-LUC PROULX
DANIÈLE CORRE
PAUL FARELLIER
ERIC DUBOIS
JOË BOUSQUET
ORLANDO DE RUDDER


JÉLAMIE


Jélamie, choix Éliette Vialle

Prends-moi encore.

Fais entrer en moi ton ardeur,
Goutte au sirop de ma moiteur,
Attise ma flamme.
Je veux me perdre en toi,
Que tu te perdes en moi.
Enchevêtrons nos corps.
Échangeons nos plaisirs sucrés.
Abreuve-moi de ta chaleur.
Distille en moi ta liqueur
Enivrante de ton plaisir mâle.
J'en serais l'écrin par mes orifices.
Allume toutes les fissures
De ma chair.
Éveille mes sens au repos.
Provoque en moi l'asphyxie.
Stimule ce lit  de séismes de corps
En sursauts successifs.
Des volcans de peaux irradiées,
Des tremblements de pores.
Montre-moi ce dont tu raffoles.
Offre-moi ces plaisirs, que l'on batifole.
J'ai ton nom sur les lèvres qui expirent.
Je voudrais le hurler pour qu'il respire.
Je voudrais entendre ton râle à nouveau.
La musique de mon prénom,
Époumoné à l'instant de ton plaisir
Qui déchire le silence de tes absences.
Je romprais tous mes tabous
Pour ces moments si doux,
Et pour me joindre à toi dans l'extase.

- Jélamie, publication Francopolis octobre 2015


JEAN-LUC PROULX
&
LUCIA   ENIU

Jean-Luc Proulx, poète québécois et Lucia Eniu, choix Gertie Millaire
Quelle vision retenir
Des matins ?
La montée du jour
Au travail
Venue ennuyer
Le chacun pour soi
Le lâcher aux bêtes
Inlassable batailleuse
Je la vois s'élever
- guetteur
En ces grandes armées d'être
Faisant route
Vers l'autre
Accompagnées de vérités
Indéfectibles
Sur le poème :
Soleil noir mélancolie
Soleil rouge féerie
Liant la manière en à finir
Avec l'unique parti

           *

Et tu te demandes quel passage redécouvrir, résolu


(poème tiré de son recueil, L'autre est ta demeure, éd. du Cygne)

***

LUCIA ENIU, poète roumaine

Café lunaire
 
Viens boire une tasse
De paroles dormeuses
Dans la pluie riante
De la lune gibbeuse,
Tandis que des mots,
Encore en coquille,
Attendent leur naissance
Au cœur de la nuit
Et que, dans les cendres
De la cheminée,
Entend-on gémir
Le non-dit rêvé.
Dans leurs paumes de neige,
Des clepsydres bleues
Couchées dans les draps
Dorés de la lune,
Porteront, hautaines,
La boisson des dieux
Dans des coupes ardentes
Sculptées par les dunes,
Des tas de mystѐres
Voilés, dévoilés,
Des étoiles en poudre
Et un  peu de café.          
                                       
Publications
- Voyage au coeur des Villes englouties
(Ed.Antipodes,coll 2011)
- L'imagerie objectale fétichiste sur Massimo Fusillo  (Littérature cinéma .visualité - Paris 2014 )


DANIÈLE CORRE

Danièle Corre, choix  Dominique Zinenberg

Dans un temps où
la parole était close,
j'ai laissé des phrases à finir
dressées contre les portes,

puis une langue étrangère
qui s'était déchirée
aux barbelés,

dont les syllabes tintent
sur mon corps
aux contrôles douaniers.

Sur le tapis roulant
des vérifications,
j'ai laissé canifs et ciseaux,

et le paquet des larmes,
objets prohibés.


              **

Tous les cris sont en place
figés dans l'air.

Ne bouge pas.
Retiens ton souffle.

L'édifice pourrait
prendre feu
comme torche de papier de riz,

sans laisser de carcasses métalliques
ni cette poussière d'ossements
qui ronge l'horizon,

comme torche de papier de riz,
laissé au vent sur le fleuve,
dans la déchirure incendiée de ses bras.

La terre garde
la raison et le doute.


               ***
Ce soir,
la durée s'est cassée
comme une assiette.

Je cherche dans les tiroirs,
ne trouve qu'heures pressantes,
halètement de course,

rien pour recomposer
l'espace des étés d'enfance
où le soleilsur le jardin
mûrissait des joies drues.

Aucune main ne rassemble
ne répare l'heure
tailladée d'instants.

J'attends que la nuit
jette le filet des voix
où fut tant de fois bercée
l'angoisse carnassière.

tirée de son recueil, Routes que rien n'efface


JOË BOUSQUET

  Joë Bousquet, choix Mireille Diaz Florian

J’écris pour être compris et non pas pour être lu.
Je notais hier que toute mon ambition avait été sans doute d’assigner son rôle véritable au langage. Je sais, ce soir, par quel biais ce jugement se rattache aux conclusions que demande une page comme celle-ci. Je voulais que le langage découvrît grâce à moi sa fonction réelle, qu’il se révélât comme une forme de la vie à lui seul. Aujourd’hui, je veux que la parole de l’écrivain soit un chemin à travers son inspiration.

(Traduit du silence)

Passer


Enfance qui fut dans l’espace
Un vol poursuivi jusqu’au soir
J’appelle ton ombre à voix basse
Avec la peur de te revoir

Sœur en deuil de tes robes claires
Ta fuite est l’oiseau bleu des jours
Que de son chant fait la lumière
Des gestes rêvés par l’amour

C’est par ton charme qu’une fille
D’un corps ébauché dans les cieux
A formé la larme des villes
Qui s’illuminent dans ses yeux

Et ce fut ton âme de rendre
Mon doute plus que moi vivant
Passerose aux ailes de cendre
Qui m’ouvrais ton cœur dans le vent
                       
(La Connaissance du  Soir)

**

Madrigal

Du temps qu’on l’aimait lasse d’elle-même
Elle avait juré d’être cet amour
Elle en fut le charme et lui le poème
La terre est légère aux serments d’un jour

Le vent pleurait les oiseaux de passage
Berçant les mers sur ses ailes de sel
Je prends l’étoile avec un beau nuage
Quand la page blanche a bu tout le ciel

Dans l’air qui fleurit de l’entendre rire
Marche un vieux cheval couleur de chemin
Connais à son pas la mort qui m’inspire
Et qui vient sans moi demander sa main

(La Connaissance du  Soir)
 **
Joë Bousquet, grièvement blessé au combat en mai 1918, est entré « dans une existence immobile » à 21 ans jusqu’à sa mort en 1950.
Traduit du silence est le livre issu de son journal intime, « long poème de sa vie intérieure ». La Connaissance du Soir est la seule poésie en rimes « qu’il ait consentie sous la pression de Jean Paulhan ». Il a été l’ami de Gide, Eluard, Aragon, Max Ernst.



PAUL  FARELLIER


Paul Farellier, choix de François Minod

Cela passait par la mémoire,
venait très doux

comme une main posée sur l’épaule,
une victoire distraite de l’absence.

Le matin seulement,
sur ses premiers pas,

une rouille fugitive
pour surprendre la saison.

Non l’avenir
qui se grime en promesse,
 

mais ce bord perdu
à rêver la saveur du temps.

Il aura suffi d’un assaut de lumière :

Débusquée,
               Cette mémoire,
Sa fleur secrète aux façons légères,

Aux atrocités…

Une fente a suffi dans la tête :
Une issue offerte

Au lézardé de l’été.

 *                                                          

A mon père

Maintenant
visage fixé :
un presque-sourire

où se découd la naissance
avec le rien de personne
apaisé peut-être d’un sens

 *                                                          

La brise de nuit,
la mer, ses redites,
le sans-fond
d’imprenable absence

et le phare sans promesse,
sans réponse,

sans bruit.

 *                                                         

Paul Farellier, in L’entretien devant  la nuit, Les hommes sans Epaules éditions, 2014

* Lauréat 2015 du Grand Prix de Poésie de la SGDL pour  l'ensemble de son oeuvre, L'entretien devant la nuit - Poèmes 1968-2013




BERIC DUBOIS


Eric Dubois,  choix  Dana Shishmanian

Fin d’été

Tu sais qu’il est temps de faire un bilan        le
sempiternel bilan de fin de saison        pourquoi faire
un bilan ?        faire un bilan        tes amis
disent que tourner autour de soi c’est comme
tourner autour du vide        si soi n’a pas de
contenu virulent        de contenu        mais
c'est la fin de l’été        l’heure des soleils tièdes, des
nuits plus fraiches et des baisers mous        l’heure
fragile où il faut assembler à nouveau ses forces pour
repartir, recommence        recommence
recommence     recommence        et tout est
encore léger    léger        léger            faire
un bilan     léger, léger



*
Un peu de sable

Un peu de sable dans la bouche
Pour masquer le gout de l’ironie

Tes avancées en terre domestique
Se pétrifient dans le sable que tu chantes

Le passé n’a pas asséché tes blessures
C’est un chacal qui boit à l’outre de ton sang

Ta voix se perd dans les dunes
& le sable dans ta bouche
est comme une morsure

 
*
La nuit est blanche


La nuit est blanche
la partition se joue à huis clos
l’ange tient sa carte perforée en plein cœur des symboles

Quelle sensation qui fond se dilue se fixe me fait des
signes
pleins et déliés de fragiles esquifs des mots mêlés de
silence et de hasard

La page tournée se consume
je crois écouter sa voix


La partition se joue à huis clos
tout s’éclaire dans le vertige


Extraits du recueil anthologique LE CAHIER.  Le chant sémantique. Choix de textes 2004-2009, L’Harmattan, 2015 (collection Accent tonique). (découvrir et redécouvrir son cheminement en poésie.)


* Voir les photos Eric Dubois au Territoire du poème, 16 octobre 2015


UN COUP AU COEUR, des Membres de  Francopolis qui viennent d'apprendre par son amie Éliette Vialle, le décès d'Orlando de Rudder...(voir annonces)

Mélancolie d’automne
d'Orlando de Rudder

Je ressens, au fond de l’être, là où les profondeurs recèlent comme des poissons trop christiques et salés, des veules toute-puissances peu limpides à tout prendre, une mélancolie de derrière les fagots. Ça doit être l’automne aux langueurs d’ocre feuillu, de terre bien détrempée et de repas somptueux.

La lune s’amuse aussi à se faire assez rousse : Elle est pleine à craquer mais n’enfantera pas. Elle est trop solitaire ou quelque chose comme ça. Elle est splendide quand même .On se laisserait prendre à tous ces maléfices, carrefours, hécatombes, férocité de Diane et sorts jetés en vrac.

C’est pour ça qu’en ballade, entre chien et loup, je ressens ces poissons, ce gonflement du cœur qui comme un gland obèse effraierait l’écureuil. Ça bat comme une tocante et le temps passe, badaud. Il y a du mystère qui ne m’impressionne pas: j’en suis un pour moi-même et ça va comme ça.

Alors, ces sentiments qui nagent comme des perches, des carpes à farcir ou des brochets dentus, me jouent la carte austère du pendu tempérant, mélange de deux honneurs et de mauve et de treize ou encore de quatorze, ce qui fait un de plus. Encore- faut-il le dire ?- un tarot de casé !

L’arcane me renâcle et la lame me fend les prunelles intérieures du regard d’en-dedans: Mon corps veut se mentir et me faire croire encore qu’il y a de la jeunesse dans mes vieux os flapis.

Me voici aquarium de sentiments fluctuants, d’ « à quoi bon » acceptable, de nostalgie nappée d’un sirop bien épais de sureau ou d’érable.

J’aime bien mes souliers, double cœur à deux temps. Ils me permettent au moins de m’éloigner du bois. Et des mélancolies indicibles, poissonneuses qui me semblent cracra. Mais en rentrant chez moi je me déchausserai, décervelant ce cuir qu’il faut encore graisser. Et mes chaussures vides cesseront de penser.

Alors je verserai un alcool très brutal me faisant frissonner comme un tremble en émoi dans un verre de cristal, le dernier qu’il me reste du service à la con d’un mariage ancien. Tout ça pour secouer mon vague-à-l’âme odieux. Pour fabriquer céans un sourire forcé en mentant comme je peux. Puis je dirai sans force, et ça sonnera faux, que

- Moi, tout ça, bien sûr… Eh bien …

Ô silence clapoteux des poissons immobiles ! Reprenons, pas trop fort, la phrase interrompue :

…ça m’est égal !"

recherche, François Minod,
texte sur le Facebook d'Orlando

(suite à son décès octobre 2015)


Coup de coeur 
Éliette Vialle, Gertrude Millaire,
 
Dominique Zinenberg, Dana Shishmanian
 
François Minod, Mireille Diaz Florian
et spécial des membres pour le texte Orlando de Rudder

  
Francopolis novembre 2015

Pour lire les rubriques des anciens numéros :

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