Alain Faure
sélection
mai 2009
Il se présente
à vous
J’ai la radio
Qui chante
J’ai un frigo
En rente
J’ai
J’ai aussi un boulot
Ou c’est lui qui m’a
On ne sait pas
J’ai dans la tête
Une araignée
Elle est belle
Et prospère
Elle prend dans sa toile
Toutes les pensées
Qui défilent
Elle est belle
Et prospère
J’habite dans le frigo
J’ai la lumière
J’ai la radio
Et un boulot
Au bureau
Je fais le beau
Personne ne sait être drôle
Comme moi
« Epatant ! » dit Lise
La fille du chef
Que je voudrais marier
Un jour, oui
A force de la faire rire
Elle me reviendra
Et nous nous en irons
Dans le frigo
J’inviterai le chef
Et sa femme aussi
Quelques collègues
Et la lumière
Et puis nous pourrons boire
Mais hélas
Mon araignée l’alcool
Elle ne supporte pas
Alors par ma bouche
Elle sortira
Et sur la table
Elle se précipitera
Au grand dam des convives
Et chacun son araignée
La vomira
Et les araignées
Elles se dévoreront
Nos araignées
Et nous, nous serons blêmes
Dans nos costumes proprets
Au fond du frigidaire
Et le chef il dira
« Vous aurez une promotion »
Sa fille et moi fondrons
« Ce gigot est coton »
Et la chute du dollar
La flambée du peso
Le nouvel ordinateur
Qui fait le radiateur
Feront autour de nous
Comme une ronde
Doucereuse ronde
Ma fille a un fin cordon bleu
Vous avez le câble ?
Vous allez au ciné ?
A quelle heure vous vous couchez ?
Est-ce que vous croyez en Dieu ?
Que pensez-vous de la mort ?
Vous avez le cancer ?
Le câble ?
Non, non, non, je dirai
Non
Moi
J’écoute la radio
Qui chante
J’ai un frigo
En pente
Et la lumière
Et nos mots, nos mots
Ce sont des pierres
Et quand on ne s’en sert pas
Pour se les jeter à la figure
On en fait des phrases
Comme des murs
Qui nous entourent
Et nous étouffent
«Voilà le gâteau»
Et tout, tout
Le monde
Va s’en aller
Avec son araignée
Qui grimpera entre ses yeux
Et ils vont nous laisser
A demain dit le patron
A demain
On se serre la main
J’entends encore les voitures qui trépignent
Lise a déjà rangé la table
Plus personne ne nous dérangera
La nuit est douce et calme
On se couche
Je referme la porte
Une pâle chaleur nous étreint
Et la lumière s’éteint.
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